Le juge Raymond Zondo a été déclaré «héros de la Nation». Il fait partie de
ces hommes (et femmes) exceptionnels dont ce grand pays a le secret qui ne
veulent pas le laisser disparaître dans la corruption et le pillage. In
fatigable, il a commencé ses travaux il y a dix ans pour montrer comment
une clique de truands les deux frères Gupta, ont fait main basse sur l’État
sud-africain avec la complicité de l’ancien président Jacob Zuma,
détournant 3,5 milliards de dollars (Le Monde Afrique).
C’est le 22 juin que le juge Zondo, à la tête de la commission d’enquête sur
la «capture d’État», a remis les deux derniers volets de son énorme rapport
au Président Cyril Ramaphosa (plus de 5000 pages). Il n’épargne personne,
ni l’ANC (le parti de Mandela au pouvoir depuis 1994), ni le Président lui-même
(l’affaire de cambriolage).
Il faut se souvenir de l’intronisation de Mandela en 1994 par un juge blanc
à Prétoria devant une foule accourue du monde entier. Mandela lui même
un «héros», 29 ans de prison, a bénéficié de l’aide de plusieurs anges-
gardiens
qui l’ont aidé à monter les marches de la présidence : entre
autres : le CICR et ses visites de prison, dont Nicolas de Rougemont (fils de
Denis de Rougemont l’Européen),
constitutionnel de l’Université d’Afrique du Sud, Marinus Wiechers, qui
lui a fait passer ses examens en Relations internationales en prison (il était
déjà avocat), ensuite Frederik de Klerk qui a compris ses compétences
pour lui succéder ; sa femme qui ne l’a pas suivi, a été assassinée. Enfin et
non des moindres, des Namibiens au pouvoir depuis 1990 qui l’ont
persuadé de faire le pas de la présidence.
L’Afrique du Sud, tant critiquée, était ainsi à son apogée. Mais les loups
étaient à l’affût… Jacob Zuma, sans éducation scolaire formelle, n’a pas été
à la hauteur, il est devenu la marionnette des frères Gupta issus d’une
famille richissime d’origine indienne. Ils l’ont manipulé comme un pantin.
De ce fait, la Commission du juge Zondo va refaire ce que la Commission
Vérité et Réconciliation de l’évêque Tutu et de Mandela 30 années plus tôt,
avaient entrepris, et qui avait démontré, TV à l’appui, ce que la politique
d’apartheid, notamment la Police, avait fait subir au peuple noir consterné
de tout apprendre. Une Mama africaine s’est exclamée à la déposition d’un
policier blanc : «Pauvre type» ! La commission du juge Zondo a aussi
provoqué une catharsis collective. – Trois cent témoins ont pu raconter
devant la TV, comment des gardes de corps de cadres ont dû transporter
des sacs pleins de cash, par exemple, ou comment des lanceurs d’alerte ont
été réduits au silence par des membres de l’ANC qui peu à peu a
commencé à perdre ses membres aux élections. Corruptions et pillages à
l’ordre du jour!
En 2018, le président Zuma a été démissionné par le Parlement. Les deux
frères Gupta, Atul et Ragesh, -le troisième Ajay n’est pas impliqué à ce
stade-, ont disparu de la scène et ont été retrouvés à Dubai début juin 2022
et arrêtés grâce à Interpol. Le gouvernement sud-africain en a demandé
l’extradition, «mais cela va être compliqué avoue-t-il, car ils doivent
d’abord passer devant un juge de Dubai. Tout cela pourrait durer des
années». En plus ils ont un ami sur place à Dubai, Al Zarooni, qui a un
commerce sur la rue de Bourg à Lausanne, Charles King SA, qui vend
officiellement des vêtements, mais peut faciliter des transferts…
Cette histoire incroyable, révélée par un juge sud-africain, résilient et
incorruptible, sert d’exemple non seulement pour le peuple sud-africain,
mais aussi pour d’autres pays d’Afrique. Il montre que la démocratie a
bien fonctionné à toutes les étapes difficiles. On ne peut que s’en réjouir,
car cela prouve que l’impunité n’a pas le dernier mot.