Les évêques kenyans: “Le cancer de la corruption tue notre nation”

Dans une déclaration très courageuse sur l’état de la nation le 12 avril dernier, la Conférence des évêques kenyans n’a pas mâché ses mots pour condamner les maux dont souffre le Kenya, “boostée” qu’elle était par la récente visite du Pape François. En effet, il avait été profondément choqué par la situation d’extrême pauvreté dans les bidonville, le chômage des jeunes, le peu d’intérêt pour l’environnement et la corruption généralisée en système. Les évêques ont rappelé les sacrifices de ceux qui se sont battus pour l’indépendance du Kenya (1963) et le rêve qui les animait de créer une nation souveraine où chacun est traité avec égalité et dignité. Ils ont brossé une tableau sombre de la situation et des forces occultes qui la minent.

La corruption détruit tout effort

Lors des élections de 2007,  des milliers de personnes avaient été tuées et d’autres déplacées ce qui avait valu au président actuellement en exercice, Uhuru Kenyatta, d’être condamné par la Cour pénale internationale (CPI). Mais faute de preuves suffisantes difficiles à obtenir, l’accusation a été levée récemment.” A ce jour, rappellent les évêques, les victimes n’ont toujours pas reçu de compensations, peu ont été relocalisées, et aucun effort de réconciliation n’a été entrepris dans le but de construire une nation solide comme le voulaient nos fondateurs.  La corruption tue notre pays. La majorité des Kenyans n’arrivent pas à vivre décemment. Nos jeunes n’ont pas de travail et s’ils en ont, ils doivent payer pour le garder. Certains groupes de jeunes corrompus par des leaders véreux, se radicalisent, sont poussés à des activités culturelles immorales et décadentes à faire du commerce de la drogue.”

“Chaque jour, ont-ils poursuivis, on entend des révélation sur des vols dans les caisses publiques par des fonctionnaires hauts-placés ou sur les tricheries dans l’éducation où des responsables ont même vendu les feuilles d’examens ! Notre pays est tombé bien bas… Même le Judiciaire et la Commission électorale indépendante sont touchés par cette maladie, et aussi la Police et les institutions politiques. Où allons-nous ainsi ?”

L’amour de l’argent est la cause de tout mal

“Dans notre société, c’est l’argent qui est devenu le dieu pour beaucoup et leur philosophie est de gagner le plus d’argent possible, aussi rapidement que possible et de n’importe quelle manière. Nous en appelons à la conscience de chaque dirigeant de toutes nos institutions  de se souvenir de leur devoir de participer à la construction de notre pays. S’ils coulent, nous coulons tous. Nous en appelons aussi aux autres religions et confessions pour combattre ce mal “.

Ce cri d’alarme des évêques kenyans sur l’état de leur nation n’est pas isolé. Il reflète celui de nombreux pays africains, comme d’ailleurs en Amérique latine (Brésil), en Europe de l’Est et ailleurs. La mondialisation économiques a créé des dégâts sociaux très graves là où il n’y a pas de filet de protection par les assurances sociales comme en Europe occidentale et provoqué le recul d’une démocratie naissante par manque de repères. Les grandes multinationales, plusieurs gouvernements étrangers, n’ont fait que de déchirer le tissu social africain basé sur la solidarité. Pour celui ou celle qui a connu l’Afrique il y a 50 ans, le recul humain est désastreux. Le libéralisme économique tel que pratiqué aujourd’hui est inacceptable. L’Europe doit montrer l’exemple de ses valeurs en train de se perdre aussi pour renforcer l’Afrique. Elle lui doit bien cela.

Nigeria: les repentis de Boko Haram

Bonne nouvelle: le 6 avril dernier, l’armée nigériane a mis en place un camp pour les repentis de Boko Haram (= l’éducation occidentale est un péché). Elle veut les aider à se réintégrer dans la société. Ils auront une formation professionnelle pour pouvoir contribuer plus tard à la croissance du pays qu’ils ont voulu détruire. En effet, des dizaines d’islamistes ont été capturés ces derniers temps ou se sont rendus à l’armée au nord-est du pays.

Une réinsertion possible ?

C’est une initiative courageuse. Depuis 2009, Boko Haram a tué environ 20 000 personnes dans le nord du pays, musulman, alors que le sud est chrétien en majorité. Ils ont capturé des milliers de femmes et d’enfants, brûlé de nombreux villages, écoles surtout, et fait fuir plus de 2,6 millions de personnes dans les pays voisins. Peut-on penser qu’une réinsertion soit possible ? Justement, il faut réparer les injustices. La pauvreté, l’analphabétisme, les déficits dans l’éducation et la santé, le manque de travail, l’immense corruption des élites et du gouvernement sont à l’origine de leur terrible déviance. Une corruption où les multinationales européennes du pétrole sont impliquées (voir blog du 28 février 2016). Jusqu’à présent le gouvernement nigérian a dit ne pas avoir suffisamment d’argent pour financer l’éducation et la santé des 182 millions d’habitants dont 110 millions vivent avec moins de un dollar par jour; 11 millions d’enfants ne vont pas à l’école et 15 enfants sur 100 meurent avant l’âge de 5 ans. Ce sont là les ingrédients qui ont favorisé la naissance de Boko Haram qui a fait allégeance à l’EI (Etat islamiste).  –  Shell (GB et Pays-Bas), Total (France) et ENI (Italie) ont bénéficié depuis 1999 d’énormes réductions d’impôts, 3,3 milliards de dollars, alors que depuis 2005, elles faisaient des bénéfices. Ont-elles par ailleurs contribué à des projets d’éducation ou de santé ? Comme tout est opaque, on ne peut le savoir. On peut en douter. Quoi qu’il en soit, cette somme représente 2x le budget annuel de la santé au Nigéria !

La bonne direction

Combattre l’analphabétisme, éduquer, donner enfin une formation aux jeunes, améliorer leurs conditions de vie, faire payer les multinationales, c’est miser sur l’avenir d’un pays qui par ailleurs est très riche en ressources. Mais ce sera un combat de longue durée. Il est intéressant de constater que des Imans en Irak se soient rendu compte qu’ils doivent mieux instruire les jeunes sur le sens de leur religion, dépolitiser l’Islam, mettre en garde contre les vidéos violentes, expliquer que le fondamentalisme n’est pas la solution. Deux initiatives donc qui vont dans la bonne direction, ce que ne font pas les bombardements qui tuent tant de civils. Et comprendre combien nous sommes aussi responsables, par nos multinationales et nos investissements soit disant “légaux”, de telles dérives.