Les sociétés pétrolières européennes, le Nigéria et Boko Haram

Il n’est pas étonnant que Boko Haram (“l’éducation européenne est un péché”) ait pris pied au nord du Nigéria, essentiellement musulman,  depuis plus d’une décennie. Le gouvernement nigérian dit ne pas avoir assez d’argent pour financer l’éducation et la santé des 182 millions d’habitants dont 110 millions vivent avec moins de un dollar par jour. Onze millions d’enfants ne vont pas à l’école et 15 enfants sur 100 meurent avant l’âge de 5 ans. Voilà engendrés tous les ingrédients pour favoriser la naissance de Boko Haram. Comment cela est-il possible étant donné les richesses pétrolières de ce grand pays ? La corruption d’abord, bien sûr, mais encore ? Les grandes sociétés pétrolières européennes Shell (Grande-Bretagne et Pays-Bas), Total (France) et ENI (Italie) ont bénéficié depuis 1999 d’énormes réductions d’impôts, 3,3, milliards de dollars, alors qu’à partir de 2005, elles faisaient des profits ! Cette somme représente 2x le budget annuel de la santé du Nigéria.

L’opacité est de règle

Unies dans un consortium (NLNG) qui produit du gaz liquéfié, les trois compagnies continuent ainsi de jouir de réductions d’impôts malgré leurs profits habituels. Ces allégations ressortent des rapports annuels de deux organisations ActionAid et SOMO (Centre de recherche sur les multinationales, Pays-Bas). Elles ont été vérifiées par des experts fiscaux en Europe et au Nigéria, et ont été envoyées début 2016 aux compagnies du consortium NLNG qui n’ont pas réfuté ces recherches. Auparavant, ActionAid avait déjà révélé que les pays en voie de développement avaient perdu en tout 138 milliards de déductions d’impôts.  La charité voudrait que ces compagnies contribuent au développement des pays où elles opèrent et qu’elles publient des rapports transparents indiquant leurs profits, les impôts qu’elles payent et les déductions. Mais elles n’en sont pas là. L’opacité est de règle.

Le basculement dans Boko Haram

On comprend donc mieux pourquoi au Nigéria, des gens privés d’éducation et de soins, vivant dans l’ignorance et l’obscurantisme, ont basculé dans les tentacules de Boko Haram, et ceci avec l’aide indirecte de grandes compagnies pétrolières européennes et la complicité des élites nigériannes. En plus, une nouvelle loi est en discussion qui donnerait des réductions d’impôts à encore plus de compagnies ! ActionAid au Nigeria a demandé au Parlement nigérian d’abroger la loi générale sur les réductions d’impôts afin que les compagnies actuelles contribuent enfin au développement du pays. ActionAid aux Pays-Bas, de son côté, a demandé au gouvernement hollandais de discuter avec Shell pour faire cesser ces réductions d’impôts excessives dans les pays en voie de développement. Plusieurs organisations font actuellement campagne pour plus de justice concernant les réductions d’impôts. On attend les résultats…

 

Djibouti, capitale de la Chinafrique

Vous doutez encore de l’emprise de la Chine sur l’Afrique ? C’est pourtant chose faite. Après avoir amélioré ou construit des ports sur l’Est du continent, et via Le Cap jusqu’en Namibie et en Angola, la Chine a aussi construit des routes, des ponts, des voies de chemins de fer, majoritairement avec ses propres ressortissants. Elle termine maintenant son étau par le port de Djibouti. Il devrait accueillir d’ici fin 2017, 10 000 militaires chinois. Officiellement pour ravitailler en nourriture et carburant leurs escortes navales dans le Golfe d’Aden et dans les eaux somaliennes (voir http://chinafrique.info). Evidemment cela doit aussi permettre à ses sous-marins nucléaires de se rendre maître de toute la région Est de l’Afrique. La France, les Etats-Unis et le Japon disposent déjà de bases militaires à Djibouti. La France paie 30 millions d’euros chaque année pour sa garnison de 2700 hommes, le Japon et les Etats-Unis chacun 30 millions de dollars pour leurs bases… La base américaine de Djibouti (4000 hommes) a même dû déménager d’Obock sur son autre base de Camp Lemonnier pour faire de la place aux Chinois qui ne paient rien, mais construisent toutes les infrastructures nécessaires pour relier Djibouti au reste de l’Afrique, et surtout pour son commerce avec l’Ethiopie (minerais). Le président de cette Cité-Etat, Ismaïl Omar Guelleh veut transformer son petit pays en un Singapour de la Corne de l’Afrique.

Alliance stratégique chinoise

La Chine poursuit ainsi sa stratégie maritime déjà bien avancée dans la Mer de Chine et ses environs lointains, irritant notamment les Japonais, les Coréens du Sud et les Philippins, de même que les Indiens, forçant l’Inde, inquiète, à augmenter son budget militaire pour acquérir aussi des sous-marins comme si elle n’avait rien de mieux à faire. C’est dans une ancienne zone franche de 48 km2 que la construction d’une plateforme de transbordement pour le commerce Chine-Afrique a commencé. Selon le Monde (25.1.2016), plusieurs accords économiques et militaires ont été signés. Un des accords porte sur la mise en œuvre d’un cadre légal permettant un afflux rapide de banques chinoises à Djibouti et prévoit la création d’une Chambre de compensation qui permettra de ne pas perdre des devises dans les échanges avec la Chine. Ceci sans passer par le dollar américain. Pékin et Djibouti sont en train de sceller une alliance stratégique majeure qui fera de ce petit Etat une étape obligée de la Chine dans sa fameuse “route de la soie” reliant la Chine à l’Afrique en passant par le Golfe arabique. Un projet estimé à 48 milliards de dollars par la presse officielle chinoise. Pour les Emirats arabes et surtout les Etats-Unis, l’arrivée des Chinois dans cette région complique la donne et provoque une recomposition des alliances diplomatiques autour de la Mer rouge. Les Occidentaux redoutent de voir Djibouti tomber dans l’orbite de Pékin et de perdre ainsi un pays-clé au carrefour des grandes routes maritimes.

Dépendance croissante de l’Afrique

Si le nouveau président de l’Union Africaine Idriss Déby a récemment déclaré que le continent africain devrait être moins dépendant de l’extérieur, il ne semble pas en suivre le chemin. Le vide laissé par les anciennes puissances coloniales a vite été rempli par la Chine qui avait aidé des mouvements de libération. Elle achève ainsi sa toile d’araignée économique, politique, financière (monnaie chinoise), militaire et même religieuse (Confucius est enseigné dans plusieurs universités) sur tout le continent. Les droits de l’homme ne sont pas prioritaires selon Xi Jinping. Une recolonisation spectaculaire en un temps record ! La Chine s’assure ainsi l’approvisionnement de toutes les ressources minérales dont elle a besoin pour son propre développement, y compris des céréales pour sa population et de l’ivoire pour ses riches. L’Afrique est en train de perdre sa liberté.