Afrique du Sud: “So help me God” !

                                         

Il est vraiment important de rendre hommage à deux figures du syndicalisme en Afrique australe tant leur parcours politique se ressemble, mais pas leurs destins. Il s’agit de Morgan Tsvangirai, du Zimbabwe, mort d’un cancer à 65 ans dans un hôpital de Johannesburg, et Cyril Ramaphosa, ancien syndicaliste, 65 ans également,  devenu président  de l’Afrique du Sud après la démission forcée de Jacob Zuma. Morgan Tsvangirai a lutté toute sa vie pour la démocratie et le multipartisme, bête noire du dictateur Mugabe que les sbires ont emprisonné à plusieurs reprises, torturé et menacé de mort. Lors d’un accident provoqué par ses assassins, il s’en est sorti, mais sa femme est décédée ce qui l’avait beaucoup affecté. En 2008, il avait gagné le premier tour des élections, et a proposé une union nationale avec le parti de Mugabe, la Zanu-PF. Des violences ont alors éclaté faisant 200 morts, ce qui l’a persuadé de se retirer.

L’ensemble de la classe politique a salué sa mémoire, à commencer par le président Emmerson Mnangagwa (ancien militaire) qui a succédé  à Mugabe il y a trois mois. L’Union Européenne a loué son courage et  de même Boris Johnson, le ministre britannique des Affaires étrangères. Morgan Tsvangirai est mort pauvre, alors que Mugabe reçoit 3 millions de rente par année et la promesse qu’on ne touchera pas à ses nombreuses propriétés dans un pays qu’il a ruiné.

Cyril Ramaphosa, lui aussi syndicaliste de la première heure,  était même venu en Namibie alors sous mandat de l’Afrique du Sud, pour parler de son travail et aussi se renseigner sur les syndicats namibiens qui existaient déjà. Nelson Mandela l’avait pressenti pour lui succéder, mais les vieux cadres de l’ANC (African National Congress) refusèrent, préférant Thabo Mbeki plus manipulable.   Ramaphosa  préféra alors se tourner vers le privé où il fit fortune tout en restant fidèle à l’ANC qui l’a élu président en décembre dernier. Il a ainsi barré la route à Nkosazana Dhlamini Zuma, médecin, ex-femme de Zuma et qui a été présidente de la Commission de l’Union Africaine (2002-2014). L’ancien président sud-africain avait tout tenté pour qu’elle soit élue présidente de l’ANC et puisse ensuite devenir présidente de l’Afrique du Sud et le faire bénéficier d’une impunité pour ces multiples scandales. Lui aussi était en train de dévaliser l’Afrique du Sud avec la complicité de la famille indienne les Gupta. Le clan Zuma est aux commandes de nombreux postes stratégiques et il sera sans doute difficile à Ramaphosa de les faire travailler pour le bien de tous les Sud-Africains et non pour eux-mêmes. Sa prestation de serment était empreinte de modestie, d’humilité et du désir de faire du bien pour tous les Sud-Africains : « So help me God ». Son discours sur l’Etat de la nation au Parlement au Cap a été longuement ovationné par tous les partis. Il a jusqu’aux prochaines élections en 2019 pour réussir son pari. Mais des partis ennemis sont tapis dans l’ombre, dont les Combattants pour la liberté du trublion Julius Malema.

Pourquoi donc, dans le cas de Tsvangirai, son destin a-t-il été si tragique alors qu’il avait toutes les capacités pour gouverner, et dans le cas de Ramaphosa, il a pu accéder à la présidence au même âge ? C’est le problème de nombreux pays d’Afrique : RDC, Burundi, République centre africaine, Guinée Bissau, Cameroun, Tchad, etc. qui sacrifient des gens plus compétents qu’eux et aussi une partie de leur jeunesse qui, faute de travail, doit émigrer. Ces présidents sont aux mains de multinationales puissantes et de pays étrangers corrupteurs, de vrais vautours,  qui les aident à se maintenir en place avec leur clan afin de bénéficier des faveurs nécessaires pour piller les ressources de ces pays où les chacals collaborateurs sont partout.

 En Afrique du Sud, la démocratie est enracinée depuis longtemps,  les institutions sont stables, la société civile bien éduquée, du moins une bonne partie. Si l’ANC a accepté de démissionner le président Zuma, c’est pour regagner des voix perdues par les extravagances et les scandales du gouvernement. Cette victoire de la démocratie et de l’Etat de droit aura sans doute des répercussions positives sur tout le continent qui aspire à une vraie indépendance. C’est aussi ce AAque souhaite l’Union Africaine. Lors du remaniement de son gouvernement le 26 février, le président Ramaphosa, conscient qu’il faut maintenir un équilibre,  a réintégré deux ministres que Zuma avait limogés, Pravin Gordhan aux Affaires publiques (particulièrement minées par Zuma), et David Nhdlanhla aux Finances qu’il connaît bien. Mais il a gardé David Mabuza à la vice-présidence, qui s’était illustré par des manipulations de votes et même des assassinats, et l’ex-femme de Zuma Nkosazana-Dhlamini Zuma, dans l’équipe de la présidence. Un signe prometteur entre tous : le Rand est considérablement remonté.

Sous le Rwandais Paul Kagame, une nouvelle Union Africaine ?

La 30e session de l’Union Africaine (UA) qui s’est tenue les 28 et 29 janvier 2018 à Addis-Abeba s’est terminée, selon le communiqué, par des décisions « remarquables » qui paveront le chemin de l’agenda jusqu’en 2063 : continuation de la lutte contre la corruption,  réalisation d’une seule compagnie aérienne sur tout le continent, vitale pour atteindre une « Afrique intégrée, prospère et paisible » d’ici 2063. Elle favorisera le tourisme industriel, la croissance économique, la création d’emplois. 23 états sur 55 se sont déjà déclarés prêts à réaliser cet objectif.

Succédant au président guinéen Alpha Condé, le président rwandais Paul Kagame a été élu à la tête de l’UA. Il a la réputation d’être autoritaire, efficace et excellent stratège, ce qui lui permettra d’affronter les dossiers chauds : la corruption donc, la sécurité et la paix en Libye, en Centre Afrique, en RDC et au Burundi, au Soudan du Sud et dans la zone sahélienne frappée par des attaques récentes. Il souhaite la mise en place de la libre circulation des personnes (avec un seul passeport africain comme en Europe) et le libre-échange. Il saura sans doute redonner un élan à cette institution qui ronronnait dans son coin. Malgré les mots blessants de Donald Trump envers Haïti et les pays africains (« ces pays de merde »), il est le seul Africain à l’avoir rencontré au Forum de Davos avec lequel il s’est « bien » entendu. Le Rwanda est très proche d’Israël qu’il s’est abstenu de condamner à l’ONU sur la question de la reconnaissance de Jérusalem comme capitale. Il ouvre ainsi la porte aux Israéliens qui sont d’ailleurs déjà très présents sur le continent là où il y a des diamants…Le Rwanda entretient également d’excellentes relations avec la Chine, l’Inde, les Emirats Arabes Unis et Singapour.

Les Américains  ont aussi des visées en Afrique, mais sont plus discrets que les Chinois. En effet, ces derniers ont construit en 2012 le magnifique bâtiment de l’UA « don de la Chine aux amis de l’Afrique ». Mais récemment, des informaticiens ont découvert que tout le bâtiment était truffé de micros et autres instruments informatiques et que les serveurs transmettaient tout à Shanghai depuis 6 ans… Ce sont des ingénieurs algériens qui ont effectué les réparations. Mais la secousse a été sérieuse pour les chefs d’Etats et ministres africains peu au courant de ces méthodes informatiques ! Un ancien fonctionnaire de l’OUA (1963-2002) ne s’est pas énervé : «Les Chinois sont là 27 heures sur 24, on laisse faire et on ne dit rien ». Selon Le Monde, d’autres puissances ou organisations internationales avaient ou ont encore leurs services secrets pour espionner.

L’UA, qui était jusqu’à présent sous perfusion des bailleurs de fonds internationaux devra, dès 2018, financer 40 % du budget de l’institution – 770 millions de dollars – ce qui sera difficile, car à part l’Afrique du Sud, l’Algérie, le Nigéria et l’Egypte, les autres pays sont de mauvais payeurs. Certains arrivent même aux rencontres bisannuelles avec des sacs plein d’argent ! Mais le président Kagame, et le président de la Commission de l’UA, le tchadien Moussa Faki Mahamat, veulent y mettre de l’ordre et améliorer la gestion. « Sans indépendance, l’Afrique n’est rien du tout, avec son indépendance, elle peut être tout », affirme le Tchadien. Les rémunérations des 1174 employés de l’UA restent basses, loin de celles des fonctionnaires de l’ONU, 5000 $ par mois, à moins d’être  à la tête d’une des 7 commissions de l’UA qui couvrent tous les domaines importants du continent.  Cela procure ainsi la possibilité à l’UA de se profiler au niveau international et c’est aussi ce que recherche Paul Kagame : hisser le continent africain au même niveau institutionnel que l’Europe. Cependant, il est vrai que tous les fonctionnaires ne sont pas modestes. La Sud-Africaine, Nkosazana Dlamini-Zuma, ex-femme du président Zuma, qui était à la tête de la Commission de l’UA (2002-2014), recevait 3 millions de dollars de son pays en plus du salaire de l’UA. Cette générosité s’expliquait par le fait que le président Zuma comptait sur elle pour gagner l’élection de la présidence de l’ANC, puis celle du pays. Zuma ayant été forcé par son parti de démissionner le 15 février 2018,  Cyril Ramaphosa, un ancien syndicaliste puis homme d’affaires, est élu président de l’ANC, puis de l’Afrique du Sud. Il a été longuement ovationné au Parlement du Cap lors de son discours sur l’état de la nation. La démocratie et l’Etat de droit ont vaincu le désordre. Cela aura sans doute des répercussions positives sur l’UA et le reste du continent, surtout en RDC où l’Eglise catholique défie ouvertement le gouvernement Kabila qui emprisonne ses prêtres et jette des bombes lacrymogènes dans les églises en pleine messe.