L’économiste sénégalais Felwine Sarr exigeait dans son livre « Afrotopie » (2016) un tournant civilisationnel (voir NZZ 12.09.20). Il faut baisser, selon lui, les différentes manettes de la locomotive de croissance, pour avoir enfin le temps de penser où nous devons aller… Evidemment il ne pensait pas, il y a quatre ans, qu’une pandémie allait forcer le monde à une pause, et maintenant, on peut même penser que l’appel révolutionnaire provenant du continent africain pourrait donner le ton globalement.
Depuis plusieurs années, des philosophes et des politiciens africains débattent d’une période postcoloniale et demandent un « reset » pour construire un monde économique et des sociétés plus intégrées, plus égales, et plus durables, comme l’a expliqué le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres. On entend les mêmes exigences du Forum de Davos qui invite, pour le début 2021, à une rencontre mondiale des actionnaires (stakeholders) qui doivent penser à un « Great Reset ». Il s’agirait de jeter les bases d’un contrat de civilisation mettant au centre la dignité humaine et la justice sociale et non pas en premier lieu le développement économique. Inimaginable il y a encore une année !
C’est un nouvel espoir pour le continent africain que la locomotive occidentale axée sur le profit prenne une autre direction qui ressemble à la philosophie humaniste de l’Ubuntu sud-africaine où le choix de la solidarité permet la participation au bien-être de tous. Mais la crise du Covid va-t-elle même pousser à l’application des idées extrêmes du Camerounais Achille Mbembe qui exige lui une « justice compensatoire » des ex-colonies ?
En avril 2020, une centaine d’intellectuels africains ont co-signé une lettre ouverte du prix Nobel de littérature Wole Soyinka du Nigeria (1986) à leurs dirigeants et élites, les invitant à ne plus être des spectateurs passifs, à avoir plus de compassion envers leurs peuples, à cesser leurs égoïsmes et leurs suffisances, qu’ils mettent en place ensemble des mesures solidaires. Après la pandémie, la coopération au développement à l’égard surtout d’une population jeune (60 %) et les richesses du sous-sol ne créeront un bien être partagé et une reconnaissance internationale que si les 54 états auront pu rassembler ensemble tous leurs potentiels, une tentative déjà dirigée par l’Union Africaine (UA) sous l’impulsion du président rwandais Paul Kagame, reprenant un essai plus ancien du président sud-africain Thabo Mbeki « Renaissance », vouée à l’échec rapidement.
Il est vrai que l’OMS n’enregistre « officiellement » que 5 % de personnes infectées ce qui serait dû à la jeunesse de la population de moins de 25 ans. Mais néanmoins les menaces des conséquences de la pandémie mettent la politique africaine sous pression : exportations de matières premières, investissements étrangers, remises de dettes…Les intérêts nationaux, les luttes pour le pouvoir (Côte d’Ivoire aujourd’hui), la concurrence, continueront d’imprégner les relations internationales malgré les exigences environnementales et une meilleure répartition des biens. C’est seulement sur la base d’actionnaires convainquants pesant de tout leur poids dans la balance, que les Africains pourront aussi participer au Great Reset, à la même hauteur que les autres. Et pas seulement dans l’espoir d’un fonctionnement moralisateur de la politique et de l’économie. Mais les multinationales et autres investisseurs joueront-ils le jeu renonçant cette fois à leurs énormes profits, Chinois compris ? Pas sûr. Nous venons d’apprendre que la compagnie canadienne ReconAfrica a l’autorisation de forer pour du gaz et du pétrole dans une des plus belles régions entre le Botswana et la Namibie.