Ouagadougou, Mogadiscio, Davos et optimisation fiscale

Pas un jour ne se passe sans qu’il y ait des attentats. Oui, c’est la guerre, une guerre d’une autre sorte sur tous les continents, mais spécialement en Afrique. Ouagadougou, 15 janvier, 30 morts dans un hôtel dont deux compatriotes valaisans; Mogadiscio, 21 janvier, au moins 19 morts dans un restaurant. Les agresseurs sont tous des islamistes radicaux. Au lieu de nous habituer à ces horreurs, tentons de comprendre un peu pourquoi cela arrive.

Cellules wahhabites en Afrique

Depuis 30 ans, l’Arabie Saoudite finance des cellules en Afrique, diffusant le Wahhabisme, un Islam radical, rigoriste, intolérant, qui aliène les femmes et la pensée africaine”, explique un ancien de la Coopération suisse. “Avant, partout, chrétiens et musulmans vivaient en paix dans le respect les uns des autres. Aujourd’hui, tout a basculé dans la haine, ce que déplorent de nombreux musulmans africains qui sont aussi visés comme les Occidentaux”. En effet, l’Arabie Saoudite a financé 50 000 Imans qui se sont infiltrés partout, y compris en Europe: écoles, universités, mosquées, clubs, etc. Au fond, l’Arabie Saoudite essaye de rattraper “le retard” puisque depuis le XIXe siècle, les missionnaires chrétiens ont fait la même chose, mais pas avec de l’argent. Une sorte de revanche islamiste… Ajouter à cela la pauvreté issue de l’éclatement de la solidarité tribale, le chômage des jeunes, la corruption des élites, les changements climatiques,  ainsi tous les ingrédients  sont là pour radicaliser les plus vulnérables. A une rencontre au Centre international des Conférences de Genève le 18 janvier dernier pour discuter avec l’ONU et différents représentants de l’encyclique du pape François sur “Protéger notre maison commune”, celui de la Lybie s’est exclamé: ” Est-ce que le Jésus des chrétiens ne pourrait pas faire cesser la corruption ?”.

Evasion fiscale et optimisation fiscale

Pour l’ouverture du Forum de Davos le 20 janvier, l’ONG Oxfam a offert un “cadeau empoisonné” sous forme d’une révélation fracassante. Le 1 % des plus riches détiennent désormais 50,1 % du patrimoine mondial et leur enrichissement ne profiterait pas aux plus pauvres. Entre 2000 et 2015, la fortune des plus riches a augmenté de 44 %… Oxfam liste plusieurs raisons dont la principale tient à un modèle économique, sorte de “fondamentalisme de marché” qui empêcherait une redistribution plus juste et plus efficace. L’enquête menée par Oxfam sur 200 entreprises montre que 9 entreprises sur 10 parmi les partenaires stratégiques du Forum de Davos sont présentes au moins dans un paradis fiscal. L’optimisation fiscale est devenu pour les grandes sociétés une pratique “légale” courante, mais condamnable, parce qu’elle prive les Etats des pays riches et des pays pauvres de ressources essentielles pour réduire les inégalités. Certes avoue Oxfam, des progrès fantastiques ont permis de réduire de moitié le nombre de personnes vivant au-dessous du seuil de l’extrême pauvreté entre 1990 et 2010, mais les inégalités se sont creusées dans tous les pays, ce qui a quand même empêché 200 millions de personnes de sortir de cette pauvreté.

Combattre les inégalités, pas les riches

Ce sont les inégalités qu’il faut combattre, pas les riches. C’est un appel lancé aux dirigeants de Davos pour qu’ils s’attaquent vraiment à ces obstacles: les multinationales privent les Etats, et donc les citoyens,  de 100 à 200 milliards de recettes d’impôts chaque année”. Plus de justice fiscale réduirait le nombre des djihadistes. Un énorme défi pour les dirigeants africains souvent désemparés.

Hommage à Ruqia Hassan

Alors que nous reparlons des journalistes de Charlie Hebdo morts assassinés il y a un an, n’oublions pas les courageux journalistes syriens qui ont été exécutés au cours de 2015. La journaliste indépendante syrienne Ruqia, 30 ans, rouge à lèvres et visage encadré par un foulard noir cerné d’un bandeau doré, a été maintes fois menacée par les djihadistes.

Née à Raqqa

Née à Raqqa et d’origine kurde,  ayant étudié la philosophie à l’Université d’Alep, elle a toujours refusé de quitter sa ville natale passée alors sous l’Etat islamique en 2014. Autant anti-Assad que anti-Daech, elle racontait de l’intérieur le quotidien des habitants. En réaction à l’interdiction de Daech de se servir des lieux wifi à Raqqa, elle avait rétorqué sur Facebook: “Allez-y, coupez nous l’accès à Internet, nos pigeons voyageurs s’en moqueront !”

Cinq autre journalistes syriens

Selon Delphine Minoui (Istanbul), cité par Le Temps du 7 janvier, elle vient tristement rallonger la liste des journalistes syriens enquêtant sur toutes les exactions commises par Daech. Cinq sont connus, mais il y en a sans doute plus, les familles craignant d’en parler par peur de représailles… L’annonce cette semaine du décès de Ruqia Hassan suit celui  d’un autre journaliste syrien, Naji Jarf à Gaziantep, ville turque frontalière de la Syrie. Il venait de réalisé un documentaire sur les violations des droits de l’homme commises par Daech à Alep. Fin octobre, les corps de deux autres reporters syriens décapités avaient été retrouvés à Sanliurfa en Turquie. L’un collaborait à un réseau d’activistes qui enquêtait sur “Raqqa massacrée en silence”.

“Je garderai ma dignité”

Lucide, Ruqia Hassan savait que son tour viendrait, mais elle refusait de partir: “J’ai reçu des menaces de mort. Et quand Daech va m’arrêter et me tuer, c’est OK, parce qu’ils vont me décapiter, mais je garderai ma dignité, c’est mieux que de vivre humiliée par EI”.

Assis confortablement dans nos fauteuils, ayons une pensée de profonde admiration pour ces courageux journalistes syriens qui offrent leur vie pour faire éclater la vérité. En serions-nous capables ? Rendons leur hommage à notre manière en accueillant généreusement des réfugiés syriens  en Suisse pour que leurs morts portent au moins des fruits.