Oui à la police !

En démocratie suisse, malgré des dysfonctionnements cachés, il n’y a pas meilleure préservation de la paix que nos polices.

Grandir nos polices et résoudre leurs problèmes implique de devoir résoudre trois facteurs de déstabilisation.

Les voici.

Mon 100ème blog

(Le féminin est compris dans le texte, 3 minutes de lecture)

3 facteurs de déstabilisation

J’identifie trois facteurs principaux qui freinent les réformes de nos polices suisses.

Représentativité étatique

La police (dans ce qu’elle regroupe comme entités géographiques et thématiques), et nulle autre organisation, est répondante, garante et première représentante officielle des Droits de l’Homme. Notre Constitution fédérale et nos constitutions cantonales se mêlent, mot pour mot, aux valeurs fondamentales et universelles décrites dans les Conventions internationales des Droits de l’Homme. C’est à elles que tout policier prête serment.

Les Droits de l’Homme sont donc l’ultime référence du policier.

Malgré cela, lors de mes analyses de pratique, nombreux sont les policiers à défier l’Etat qui les emploie. Cette dichotomie est répandue en police depuis deux décennies au moins. C’est précisément la raison pour laquelle, le Conseil fédéral, dès 2003, a instauré le cours Droits de l’Homme comme prioritaire et déterminant dans le cursus du Brevet fédéral de policier et des certifications post-grades. C’est encore notre autorité fédérale qui a plaidé l’engagement d’intervenants extérieurs aux polices pour l’enseignement de ces branches comportementales. L’organe exécutif fédéral ayant toute conscience d’un urgent besoin de réforme en la matière.

La trop faible considération des Droits de l’Homme en police est le facteur 1.

Mais, ce facteur de représentation étatique ne suffit pas à comprendre le déni de plusieurs commandants de polices face à aux problèmes qui les affectent de l’intérieur.

Paradigmes inversés

Quand j’évoque cette inversion des paradigmes, je pense à la formation initiale. Un seul pourcent (1%) de son agenda est dévolu à l’exploration et à la pratique concrète de nos valeurs fondamentales, celles qui façonnent notre Confédération depuis des siècles. Imaginez-vous un référentiel métier humain de service et de protection qui ne dispose que de 45 heures de cours éthique et Droits de l’Homme sur un total de 1’600 heures.

Avec ce seul pourcent même un sirop n’a pas de goût.

Personne n’en voudrait.

Je précise, ici, que depuis octobre 2019 la nouvelle formation de base du policier suisse a vu sa durée doubler de 12 à 24 mois. Malgré cela, c’est encore la moitié du temps dévolu aux futurs travailleurs sociaux ou au personnel soignant.

Conservons les 1’600 heures pour les techniques et tactiques d’intervention, plus un nombre important d’heures pour la police de proximité et autant pour la psychologie. Enfin, attribuons au moins 1’000 autres heures aux Droits de l’Homme et à l’éthique appliquée, incluant pratiques médiatrices, résolution de problèmes, cohabitation genres, minorités, migration, etc. Alors, nous verrions les profils de sélection de nos futurs policiers se métamorphoser.

Cette formation par trop minimaliste et trop peu comportementale eu égard aux autres professions équivalentes en termes de complexité, de polyvalence et d’étendue des savoirs, est le facteur 2.

La remise en question

Nos polices sont-elles racistes ?

Nos polices suisses ne sont pas racistes. Sur un plan institutionnel, les personnes morales que sont nos polices ne sont pas racistes. C’est le contraire. Par contre, bien des individus aux relents racistes s’y cachent et pire, s’y sentent à l’aise, probablement plus qu’ailleurs.

Pourquoi ?

Parce que nos polices, telles que construites et telles que gérées, ont peine à se remettre en question. Rien n’est fait, dans la gestion des ressources, pour promouvoir la transparence, l’aveu de faiblesse et l’innovation. A cela, nous devons considérer les pouvoirs exceptionnels et exclusifs dont elles sont affublées et vous avez tous les ingrédients de l’immobilisme. C’est dans cette forme de sclérose que se cachent les abus. Les sociologues parlent alors de sous-culture lancinante. Nombre d’études scientifiques détaillent les multiples facteurs de ce repli. J’en ai largement fait écho dans mes blogs (Université de Lausanne, exemples : thèses du Dr. David Pichonnaz 2017 ou de la Dr Magdalena Burba 2019). Une fois l’aspirant (dénomination évocatrice) policier élu et successivement qualifié ou non, promu ou non et gradé ou non par ses pairs, toute introspection viendra perturber et contrarier cette quête. Le retour sur soi, le doute et les erreurs seront perçus comme une défaite ou pire, une trahison. Imaginez-vous, dès lors, ce que représente, pour un jeune agent, la dénonciation d’une dérive interne ?

Toutes les institutions à caractère humain recèlent naturellement des dysfonctionnements. Dès lors, ce qui compte, ce sont les capacités entrepreneuriales à les réguler, les remédier et les résoudre. La reconnaissance de l’erreur et son traitement permettent de progresser.

C’est dans cette volonté de résolution, à l’appui des valeurs de l’Etat de Droit décrites plus haut, que tout se joue. Une entreprise de l’économie privée dispose de pouvoirs circonscrits par son environnement légal, régulés par les exigences de sa clientèle, la rentabilité et la concurrence. La police, quant à elle, se couvre du devoir de réserve même lorsque ce n’est pas nécessaire et n’a pas à se soucier de rentabilité ni de concurrence. Elle est garante de l’application des lois, point barre. Elle bénéficie alors du meilleur bouclier de protection qui soit dans un Etat de Droit, pour le meilleur comme pour le pire.

Fort de ses prérequis, aucune transformation managériale ne peut s’imposer en police, du moins sans la pression publique. Ainsi, nos polices sont confortablement à l’abri de toute obligation de se réformer pour survivre, contrairement au secteur privé.

L’incapacité managériale de se remettre en question est le facteur 3.

Suivons l’exemple du CHUV

Voyez, le CHUV, qui, le lundi 26 novembre 2018 lance sa campagne de prévention des abus sexuels au sein de son organisation, reconnaissant par la même occasion les problèmes qui l’affectent. Voici ce qu’en disait son directeur RH, Monsieur Racciatti : “Moi, je ne sais pas ce qui se passe dans les autres secteurs, je ne sais pas si le milieu médical est plus sexiste que d’autres. Ce que je peux vous dire c’est que dans l’institution du CHUV ça existe… et puis qu’on a décidé d’y remédier. Ce qui nous distingue peut-être des autres secteurs, c’est que nous on en parle et ouvertement.”

Vous avez déjà entendu un commandant de police reconnaître de telles difficultés ? En Suisse romande, je les compte sur les doigts d’une main.

Est-ce pour autant que les professions oeuvrant au sein du CHUV ont été décriées ou dénigrées depuis ?

Tout au contraire.

Encore deux mots sur l’indice de satisfaction…

… souvent évoqué dans l’esprit du : « circulez, y’a rien à voir… ».

Un tel indice ne vaut rien par beau temps, pas mieux que toutes ces statistiques sur les criminalités que critiquait de l’intérieur le regretté Olivier Guéniat, chef de la Police judiciaire cantonale neuchâteloise, intervenant universitaire et Docteur en criminologie.

L’indice de sympathie à l’égard des institutions suisses mesuré chaque année au sein de l’EPFZ et de son Académie militaire place au premier rang la police, devant les autres institutions. Ce ranking est établit auprès d’une population d’usagers qui n’a pas – ou très rarement – accès aux salles d’audition, ni ne siège à l’intérieur des véhicules de patrouilles, ni n’a accès aux conversations téléphoniques, ni n’est présente dans les recoins et rues aux heures nocturnes, etc. Un indice qui n’éclaire pas les zones d’ombre, encore moins celles d’organisations traditionnellement étanches.

Conclusion

Grandir la police et sa fonction démocratique en considérant ces trois facteurs :

Facteur 1. Repositionner les Droits de l’Homme comme critère de référence absolue lors des recrutements, avant toute autre considération et toute autre attribution.

Facteur 2. Renforcer et doubler les formations comportementales en maîtrise des techniques et tactiques. Non l’inverse.

Facteur 3. Instaurer d’urgence des espaces managériaux de remise en question et de proposition constructive, libres, confidentiels, protégés et indépendants.

 

Compléments :

Aux Etats-Unis, l’urgence de réformer la police. Valérie de Graffenried, Le Temps du 7 juin 2020

Je préconise une réforme de fond de nos polices suisses depuis 1993 avec l’appui croissant de policiers. Mais, je m’oppose tout aussi fermement à la suppression de celles-ci. C’est une question qui m’est posée depuis quelques jours… Notre tissu fédéral helvétique est bien distinct de celui des US. Après le meurtre de George Floyd, la police de Minneapolis fait exception à mon postulat. Dans tel cas, j’appelle aussi de mes vœux son démantèlement car le mal est par trop enraciné.