Proportionnalité et opportunité en police ?

Ces deux termes ont été évoqués par nos élus cantonaux vaudois et municipaux lausannois en marge du rassemblement d’un millier de personnes pour un match de football illégal le 21 mai passé au nord de Lausanne.

(3 minutes de lecture – le masculin est compris dans le texte – 99ème blog)

Analyse dans Le Temps

Reportage sur RTS

La ou les police-s (lausannoise, régionale et cantonale) ont renoncées à intervenir. Plaidant, en les circonstances, un rapport de proportionnalité inadéquat et un manque d’opportunité.

La police neuchâteloise jugea, elle aussi, qu’il ne valait mieux pas mettre en péril sont rapport de force face à environ 250 jeunes fêtards s’étant rassemblés dans la nuit du 9 au 10 mai passé à Auvernier.

C’est quoi ces notions de proportionnalité et d’opportunité en police ?

Comme déjà expliqué à plusieurs reprises dans ce blog, nous avons confié à nos polices deux pouvoirs exceptionnels leur permettant de servir et protéger nos personnes – à commencer par les plus faibles d’entre nous, voir préambule de notre Constitution – et nos biens.

Deux pouvoirs équilibrés par deux maîtrises, afin d’éviter les abus. Il s’agit du principe des contre-pouvoirs si cher à notre démocratie helvétique.

Le premier pouvoir est coercitif. Détail sur ce tableau. Ce pouvoir n’est autre que l’application de la loi. En contre-pouvoir ou en maîtrise, l’habilité de proportionnalité lui fait face. C’est cette proportionnalité qui protège l’individu interpellé (présumé innocent jusqu’à l’éventuel jugement), la policière elle-même et les personnes avoisinantes. Ceci dit, ce pouvoir est ambivalent car il peut confondre la police au militaire et parce qu’il est progressivement supplanté par la robotique et les technologies… qui pourraient remplacer, à terme, la policière par une machine… peu réjouissant.

Le deuxième est discrétionnaire avec la notion d’opportunité en cas de manifestation ou d’attroupement (dans le jargon policier, on parle de maintien de l’ordre). Ce pouvoir est de loin le plus intéressant car il donne une marge d’appréciation et de discernement à l’agente de police. C’est dans l’exercice de ce pouvoir que réside tout ce qui fait qu’une police est une police… civile et de paix.

Pourquoi la liberté d’appréciation policière sauvegarde notre paix civile ?

La police n’est pas une force d’application définitive. La police s’inscrit le long d’une chaîne de contribution sécuritaire et délivre ses résultats à l’organe judiciaire, bien distinct et séparé. La police ne saurait être ou devenir une force d’opposition ou une pseudo armée d’occupation comme c’est le cas dans certaines banlieues françaises. Dans tel fait, elle a déjà perdu ses prérogatives. Seule l’armée pourrait alors lui succéder*.

La police est avant tout une force de libération

La police est l’expression d’un subtil équilibre – que nous qualifierions, en Confédération suisse, de consensus – ; et d’une cohabitation entre l’individu et sa fonction de policière, puis entre cette dernière, ses capacités professionnelles et le tout-public. C’est dans ces articulations ou contractions que se cachent les exigences mais aussi les dilemmes éthiques des policières.

Ce n’est pas parce que je suis policière que je ne commets point d’erreur, ni que je ne transgresse pas la loi, parfois. Dès lors, il m’appartient, comme policière, de préserver un rapport privé sain à ma fonction étatique et publique. De la même façon, en ma qualité de policière, je veille au lien que j’entretiens avec les tiers et leurs contradictions. Leurs contradictions pouvant être aussi les miennes. Et cela est possible que si je dispose d’une marge de manoeuvre, sur le champ de mon exercice professionnel, qui me permette, par exemple, de renoncer à intervenir face au rassemblement d’un millier de jeunes. Ce, dans le but de ne point laisser dégénérer une situation déjà tendue.

Dans mon for intérieur, toute policière que je suis, je perds peut-être une bataille de conscience avec moi-même, mais je gagne la paix avec une population que je sers et protège toute entière.

 

*en temps de paix, l’armée peut effectivement venir en aide auxiliaire des polices mais pas se substituer à elles.

Post-Covid-19

Contre vents et marées

Comme d’autres analystes de terrain, je prépare mon déconfinement professionnel et mon retour physique dans les centres d’intervention. Exercice tendu. Nombre de mes bénéficiaires (inspecteurs sociaux, ambulanciers, policiers, etc.) sont extrêmement fatigués, au bord du gouffre, elles et ils tentent de récupérer les fatigues lancinantes de la crise. À cela, il faut ajouter les cumuls des programmes, usuels et compensatoires. L’implosion pointe son museau.

(2 minutes de lecture – image d’accueil : tableau d’Auguste Mayer – bataille de Trafalgar, 1805)

Les premières réponses à mes sondages de restauration professionnelle sont éloquentes. En résumé : comment se servir de cette transformation de vie pour renaître plus fort, mieux préparé ?

Il nous advient, à mes partenaires et moi-même, d’intégrer les phénomènes de rupture, de changement managérial et de refondation professionnelle à nos programmes d’accompagnement et de formation, dès la semaine prochaine.

De nos expériences, un maître-mot s’impose :

Contre-pouvoir

Le contre-pouvoir est la clé de voûte de toute organisation démocratique vivace.

Maintenant que le Covid-19 s’estompe temporairement, et avant que son clone ne surgisse, ou que le désordre supplante le virus en France et ailleurs et que nos libertés individuelles compensent nos absences temporaires, vérifions l’état de santé de nos contre-pouvoirs politiques et institutionnels.

Justement, le contre-pouvoir tient le premier rôle dans l’excellent plaidoyer tricolore de Vincent Lindon. L’acteur français soulève des propositions concrètes et alimente le débat public. Vidéo de Vincent Lindon ici.

Exemple local

Ce même contre-pouvoir a manqué à l’ordre des avocats vaudois. Un contre-pouvoir capable de recueillir en toute indépendance et en toute confidentialité les cas d’harcèlements sexuels. Et, il manquera encore et toujours si d’autres avocats sont nommés pour traiter le problème. Vous savez, les fameux cordonniers les plus mal chaussés… Car le contre-pouvoir nécessite d’être naturellement étranger et détaché (sans parité professionnelle) de son environnement institutionnel ; libre dans son discernement, ses convictions intimes et ses déclarations publiques.

Le contre-pouvoir est distinct de la personne de confiance

La personne de confiance instaurée par l’arrêt du Tribunal fédéral le 12 mai 2002, et qui, en substance, impose à chaque entreprise de nommer une personne de confiance lorsqu’un doute subsiste sur les risques de protection de la santé et de l’intégrité personnelle de ses employés. Cette personne de confiance est nommée à l’interne de l’entreprise ou dans un voisinage professionnel proche. Elle doit répondre à plusieurs critères préalables. Voir le blog Le Temps de Cécile Laffont (GRH) qui présente les contours de la personne de confiance.

Le contre-pouvoir, finalement, c’est quoi ?

Le contre-pouvoir puise ses racines en dehors des sphères d’influence de l’entreprise. En police, par exemple, une inspection générale des services (IGS) ne saurait être suffisamment objective, neutre et indépendante face à l’institution qui l’emploie si par mésaventure cet organe devait dénoncer des abus de pouvoir.

Nommons les contre-pouvoirs qui nous sont utiles et qui garantissent la fabrication de notre démocratie malgré les restrictions de liberté temporaires, malgré les crises sanitaires, malgré les pénibilités économiques.

Tel est le défi de la restauration sociétale et du changement managérial post-Covid-19 qui nous attend.

Bonus : RTS du 7 mai 2020 “Enfants des années 30, Noam Chomsky et Edgar Morin redoutent un après-Covid totalitaire.”