… que se passe t-il dans la tête d’une policière confrontée à la face sombre de notre société ?
(2 minutes de lecture – Le féminin comprend le masculin)
Selon les témoignages ainsi que les avis d’expertes recueillis au sein de – l’excellente ndlr. – émission “Dans la tête d’un… ” diffusée, sans poisson, le 1er avril 2020 sur RTS 1 : des hauts et des bas…
Policière : c’est encourir le risque de se noyer dans son propre destin professionnel
L’écart est vertigineux entre la représentation fantasmée de certains spots de recrutement et la réalité quotidienne au sortir de la formation initiale de policière. Les convictions vacillent.
Les formations initiales et continues ne préparent pas suffisamment la future policière, de même que l’expérimentée après 4, 5 ou 6 années, à la gestion de ses émotions, à la régulation de ses états d’âmes, à l’hostilité de certains publics révoltés ou en détresse. Engoncée au sein d’une organisation généralement ultra-formelle et stricte, ultra-hiérarchisée et superposée de couches de services stériles et interminables, la policière encourt le risque de se noyer dans son propre destin professionnel.
Remèdes
Pour y remédier, j’entrevois trois pistes :
1. En formation : renforcer ou introduire les thématiques et les méthodologies propres à la relation d’aide, à l’observation géopolitique, à la remise en question, à l’innovation et à la collaboration pluridisciplinaire. En clair, doubler le temps de formation initiale, de 2 à 4 ans ; à l’image des travailleuses sociales, des ambulancières, des soignantes, etc.
2. Renforcer l’autonomie des agentes, cultiver l’erreur comme outil de gestion et de perfectionnement et encourager les initiatives originales. En bref, s’engager en recherche action & développement et offrir des espaces de vidage et de réhabilitation.
3. Prévoir qu’après 5 ou 6 ans d’exercice, la policière puisse être invitée à séjourner temporairement dans un autre service de l’État communal, cantonal ou fédéral ; pour changer d’air et se ressourcer. Exemples d’employabilité : les services hospitaliers, l’accueil et l’accompagnement des migrants et des requérants d’asile, les secours d’urgence pré-hospitaliers (ambulances), le travail social hors murs, l’instruction publique (prévention et instruction routière), les offices de tourisme, la protection de l’environnement, l’accueil de nouveaux habitants, etc.
Mieux comprendre son environnement sociétal permet de durer dans son job, de nuancer ses préjugés et d’élargir son horizon pour mieux respirer. Au contraire, l’isolement corporatif pervertit le pouvoir que détient la policière dans l’exagération et l’abus. Cet enfermement favorise des comportements sectaires et de compromission malsains et dangereux pour notre démocratie.
Que respire, respire la profession de policière !
Visionner “Dans la tête d’un…flic” sur RTS 1 ici
Visionner “Dans la tête d’un…flic” sur mon site fredericmaillard.com ici
Je suis un peu étonné que la policière soit présentée sous l’angle d’une femme qui devrait être un bon policier. Je ne doute pas qu’elle doit avoir une résistance et une bonne forme physique, et il n’est pas discriminatoire de le mentionner, simplement parce que le corps féminin est dans la grande moyenne moins fort et endurant que le masculin. Ceci pour dire que la parité réclamée en 2020 dans quasiment toutes les professions, n’est à mon avis pas applicable pour la profession de policier/policière, ce métier qui s’apprend mais qui exige certainement plus que d’autres « d’être fait pour cette activité journalière ». J’ai entendu des policiers en congé me raconter leur épuisement, les moments de détente avec leur famille pas toujours faciles à vivre pour pleinement en profiter, et le peu de reconnaissance qu’ils reçoivent le plus souvent de la population, mais… ils aiment leur travail. Sous cet aspect, les policières peuvent être mises dans le même panier, ni moins fortes ni plus fortes.
Je ne suis pas l’expert qui accompagne les patrouilles, les questionne, détermine les manques et propose les remèdes. Je n’ai que mon observation au cours des interventions des patrouilles qui venaient à quatre, sur mon appel quand j’estimais que ma voisine était en danger dans des moments où son ami ivre entrait dans une phase de violence. Il m’a fallu une année pour comprendre qu’il ne s’agissait pas vraiment de disputes, pour les policiers qui débarquaient il ne pouvait donc pas être facile de comprendre la situation et agir positivement en conséquence. Ils pouvaient repartir en donnant le message simple « Maintenant vous restez calme, on ne va quand même pas chaque fois revenir ! » Ils ont pu au contraire réaliser où était le problème et agir positivement pour avertir et sanctionner l’homme menteur, comédien, qui menaçait son amie de vengeance si elle se plaignait en présence des policiers. J’en viens donc à parler des policières qui étaient souvent de l’équipe, ce sont elles qui ont compris le plus vite la situation, et pu prendre en charge séparément la jeune femme, pendant que son ami était emmené, protestant d’une grande injustice. J’ai donc découvert pendant ces cinq ans où je subissais moi aussi des tensions, la participation efficace de ces femmes fortes à leur manière. Aurait-il été alors été approprié de relever que pour être un bon policier, leurs collègues masculins devraient acquérir les qualités de ces dernières pour combler un « manque » ? Il serait peut-être positif pour cette profession de considérer qu’une policière reste une femme, et qu’elle a bien sa place pour apporter sa part entière. La somme des qualités essentielles fait le policier idéal qui n’existe pas, mais les patrouilles que j’ai vu agir m’ont fait penser que c’était les qualités réunies de chacun qui faisait leur force.
Bien que je ne partage pas toujours vos analyses, elles nous poussent à s’interroger sur ce métier indispensable et passionnant, qui nous tend un miroir sur les maux et les changements qui traversent nos sociétés.
Je vous rejoins sur le besoin d’une formation plus longue qui ouvrirait de nouvelles portes pour les futures fonctionnaires de police en renforçant des modules qui existent déjà et en abordant d’autres, ceci en approfondissant les bases académiques et scientifiques. Un point à relever toute fois, soit le candidat suit cette formation sans garantie d’un emploi au terme de ses études soit il s’agit d’un programme qu’on suit après sélection. Dans le premier cas, l’étudiant en « policélogie » prend le risque de décrocher un diplôme peu utile sur un marché du travail en mutation et, dans l’autre cas, l’état de devoir financer des aspirants pendant 3-4 ans. Une solution « à la Suisse » serait d’avoir un cursus relativement académique/scientifique pour les deux premières années avec à la fin du quatrième semestre une épreuve de sélection pour pouvoir intégrer la troisième année véritablement axé sur le travail effectif de police, avec une promesse d’engagement et une allocation mensuelle. La quatrième année étant finalement un stage pratique. En cas d’échec à l’examen de sélection, il est toujours possible de se rediriger vers un bachelor en lien ce qui a déjà été étudié.
Si on ne peut qu’adhérer à une plus grande autonomie pour les personnes exerçant (de manière raisonnable) cette fonction, je relèverai qu’à l’heure des « bodycams » et autres outils de surveillance, c’est cela qui est le plus menacé. Si rendre des comptes est naturel et salutaire, la pression permanente d’avoir ces moindres faits et gestes sous la loupe, qu’elle soit celle de la hiérarchie ou celle du public, aura un effet inhibitoire sur la volonté et la capacité du policier lambda à être créatif.
Un « changement d’air » est aussi une piste intéressante pour garder ceux qui, à un moment ou l’autre de leur carrière, souhaiterait temporairement mettre de côté la réalité du terrain pour apporter leurs connaissances à d’autres services publiques. Ceci devrait néanmoins s’accompagner d’une valorisation de l’expérience acquise lors de ses « séjours ».
PS : C’était une émission très intéressante et pédagogique, aussi pour les proches
Bonjour Raphaël,
je vous remercie pour votre commentaire de qualité auquel, globalement, j’adhère.
Métier existentiel, en effet.
Votre solution “à la Suisse” est celle qui prévaut dans les discussions que j’ai avec les politiques ou les policiers innovateurs, intégrant en cela plusieurs voies alternatives. Actuellement, cette profession ne compte pas moins de 120 métiers, y a de quoi faire pour certifier plusieurs degrés ou organiser des passerelles d’études. Le Bachelor devrait clore ce processus, avec possibilité de poursuivre un Master.
Je plaide plus d’autonomie, mais vous l’aurez lu ou entendu (précédents blogs Le Temps), je reste réfractaire à la normalisation des bodycams, précisément pour ne pas défier cette liberté d’autonomie et restreindre la créativité comme vous l’écrivez. Les Bodycams peuvent être utiles dans des missions spéciales et notamment dans l’étude et l’amélioration des comportements mais ne sauraient aliéner le policier et lui assigner le rôle du robot irréprochable.
Le policier peut commettre des erreurs et reste humain. Je fais le pari, qu’au sein d’un management plus coopératif, transversal et pluridisciplinaire, le policier n’a pas besoin de contrôle technologique et numérique pour se réguler et être régulé par ses collègues. C’est lorsque la défiance règne, en plus des cooptations et qualifications de gradation – qui vous exposent à la revanche ou à la redevabilité – que chacun se couvre et couvre les erreurs des autres. Je condamne fermement cette forme mafieuse qui régit encore dans certains services de polices.
Le changement d’air valorisé est une méthode appliquée dans plusieurs pays scandinaves. Et, si je peux me permettre, aussi utile pour que le policier assermenté, un jour, réalise, un autre jour, que les pouvoirs qui lui sont attribués ne lui appartiennent pas mais lui sont confiés par délégation.
Le policier n’en n’est que le dépositaire. En prendre conscience le long de sa carrière c’est prévenir, pour certains, nombre d’abus.
L’émission “Dans la tête de …” RTS est forte de pédagogie et d’explicatifs utiles, en effet, et plusieurs extraits sont utilisés dans les formations d’adultes.
En tout cas, une belle occasion de les féliciter et de les remercier, comme tous ceux qui sont au front en ce moment, en Suisse et dans le monde entier!
Oui Olivier, tu as raison, les féliciter et les remercier !
@ Dominic : je trouve votre commentaire vraiment intéressant, parce qu’il me semble présupposer que l’auteur du billet parle de femme policière, du moment qu’il est rédigé entièrement au féminin.
Or, Monsieur Maillard précise en introduction que “Le féminin comprend le masculin”, ce qu’en tant que femme j’apprécie tout particulièrement (je suis fatiguée que le langage épicène soit “évacué” simplement en indiquant en débutant un texte par l’indication “le masculin comprend le féminin”). Je rêve du Moyen Àge où l’accord se faisait indifféremment avec le terme le plus proche.
Quant au fond, j’ignore encore à mon – presque – grand âge s’il existe des qualités typiquement masculines ou féminines. Mais j’ai souvent constaté que pour comprendre une situation, il faut savoir faire un pas de côté, sortir de son schéma de pensées. Et cette compétence n’est pas genrée.
@ Frédéric Maillard: encore une fois, un article fort intéressant. Ah la Just Culture, ou culture de l’erreur… On en parle beaucoup, notamment dans le monde de l’aviation où les compagnies aériennes et celles de contrôle aérien encouragent leurs collaborateurs à relater leurs erreurs. De ce que j’en sais, lesdit.es collaborateur.trices s’en gardent bien car il.elles n’ont aucune, absolument aucune garantie qu’il n’y aura aucune suite. C’est un outil fabuleux pour s’améliorer, qui exige que la hiérarchie soit d’une loyauté infaillible.
Question : pensez-vous vraiment qu’un.e policier.e serait d’accord de travailler sur un autre poste quelques temps pour changer de contexte ? A travers les interventions de leurs syndicats dans les media, j’ai plutôt l’impression qu’ils sont férocement attachés à leur routine et privilèges.
Belle soirée
N’oublions pas l’étymologie du mot police qui renvoie inévitablement à politique. Laissons donc à ceux-ci la réflexion et à ceux-là l’exécution.
Oui, sauf que ceux-ci, en démocratie semi-directe, c’est nous – par eux, donc mêlons-nous de ce qui nous regarde. “Si tu ne t’occupes pas de politique, c’est la politique qui s’occupera de toi” disait Henri David Thoreau.
J’ai, en effet, constaté lors de mes séjours dans de nombreux pays “fragiles politiquement” qu’il n’était pas dans notre intérêt – celui du peuple – que la police s’occupe de nous.