Le pape François en Irak: un peu d’histoire

Il a du courage, mais il fait le voyage, et ce, pendant le Covid… A défaut de statistiques précises, on estime à environ 400 000 le nombre de chrétiens dans ce pays du Moyen Orient, en gros l’ancienne Mésopotamie, berceau du christianisme (La Croix 1er mars). Ils constituent ainsi 1% des 40 millions d‘Irakiens. Les deux-tiers d’entre eux sont catholiques (chaldéens et syriaques), les autres latins, arméniens et surtout orthodoxes. Ils sont presque tous implantés dans le nord du pays (plaine de Ninive et Kurdistan irakien), mais aussi à Bagdad où ils étaient un million après la chute de Saddam Hussein. « Avant la guerre du Golfe (1991), le pays comptait 1,2 à 1,5 millions de chrétiens, c’est-à-dire 4-6 % de la population. L’intervention américaine a largement contribué à exacerber leur vulnérabilité, explique le cardinal Louis Sako, patriarche de Babylone des Chaldéens ». Ils ont été soupçonnés par les musulmans de « collaborer » avec l’occupant occidental. Beaucoup émigrèrent alors, principalement de Mossoul et Karakoch, qui ont fondu de 50 000 à 5000 âmes. Mais 40 % sont revenus dans les localités de la plaine de Ninive, depuis le départ de Daech en 2017. Différents responsables religieux invitent à manier ces chiffres avec prudence. « Les chrétiens ne sont pas une bulle », affirme Mgr Pascal Gollnisch, directeur de l’œuvre d’Orient à Paris, qui rappelle que les premières victimes de Daech ont été des musulmans. Et qui ajoute, « C’est l’ensemble du peuple irakien que François tient à rencontrer pour reconnaître les souffrances endurées collectivement au cours des quatre décennies de guerre et de violences ». En fait, ce sont les Américains qui sont responsables du départ des milliers de chrétiens – pour du pétrole – qui aujourd’hui, n’est plus aussi recherché… Mais Daech les a aussi fait fuir.
Au cours d’un important sommet « privé » de son voyage, François rencontrera à Nadjaf, le grand ayatollah Ali Sistani (90), lieu du tombeau de l’imam Ali qui joue le rôle de « Vatican » des chiites. Ainsi, après avoir rencontré à plusieurs reprises au Caire, à Rome ou à Abu Dhabi, le grand iman d’al-Azhar, Ahmed al-Tayyeb, autorité spirituelle pour une partie des sunnites, il rencontre le 6 mars à Nadjaf l’une des grandes figures du monde chiite, l’ayatollah Ali Sistani. Une grande personnalité du chiisme que les papes précédents auraient bien voulu rencontrer. Une voix qui compte en Irak. Son statut de marja-e-taglid (source d’imitation), le plus élevé dans la hiérarchie cléricale chiite, lui vaut un immense respect des fidèles. Son rôle est devenu déterminant depuis l’invasion américaine et la chute de Saddam Hussein en 2003. Il a vécu les persécutions du parti Baas (parti politique arabe socialiste et laïc).
Le chiisme imprègne aujourd’hui les institutions religieuses de l’Irak. Ali Sistani appelle à la résistance contre Daech en 2014 alors aux portes de Bagdad. Des milliers de miliciens rejoignent l’armée irakienne pour combattre l’état islamique de Daech. L’ayatollah Sistani ne veut pas d’une République islamiste comme en Iran, mais un Irak indépendant. En tant que chiite, il ne croit pas à un califat comme celui qu’ont institué les sunnites à la mort du prophète Mohamed. Il refuse le velayate-faqih (la tutelle des jurisconsultes), donc la fusion religion et politique de l’ayatollah Khomeini. Il ne croit pas à la primauté du religieux sur le politique et défend une citoyenneté commune transcendant les clivages religieux et ethniques qui déchirent l’Irak actuel. François et l’imam al Tayyeb, sunnite, de la grande mosquée du Caire, avaient signé une déclaration de fraternité humaine respectée jusqu’à présent. Avec l’ayatollah Sistani, on peut espérer que c’est une première étape.
La rencontre entre ces deux hauts responsables, l’un chrétien, l’autre chiite, est très importante et symbolique. Pourtant, dans les milieux pauvres et peu éduqués du chiisme, traîne encore la conviction que les chrétiens sont impurs et certains clercs tiennent des propos haineux dans leurs prêches, et aussi contre leur chef Ali Sistani. Parler avec un chrétien ne peut pas rester sans conséquences. En effet, des roquettes d’origine iranienne viennent d’être lancées contre une base militaire américaine près de Bagdad. On se rappelle qu’en janvier 2020, un général iranien Qassem Soleimani, très connu et aimé, avait été tué par un drone américain… La vengeance va-t-elle agir ? Rien n’a été annulé, ils sont courageux tous les deux. Mais Benoît XVI est inquiet.

Christine von Garnier

Christine von Garnier, sociologue et journaliste, a vécu 20 ans en Namibie où elle était correspondante du Journal de Genève et de la NZZ. Elle a aussi travaillé comme sociologue dans le cadre des Eglises. Aujourd’hui, secrétaire exécutive de l’antenne suisse du Réseau Afrique Europe Foi et Justice.

Une réponse à “Le pape François en Irak: un peu d’histoire

  1. Quel humaniste, ce Pape François, je l’aime beaucoup, il prend des risques.
    Que dire de plus?

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