RD Congo: la grande inquiétude

 

Sous pression de ses opposants, Joseph Kabila était allé chercher conseil auprès du pape François le 26 septembre dernier qui lui a dit de dialoguer avec tous les représentants politiques, la société civile, les ONG, pour travailler au bien commun du pays. En effet, il arrive à la fin de son second mandat, et selon la Constitution de la RDC, il ne peut pas se représenter. Comme d’autres chefs d’Etat, Joseph Kabila ne veut pas céder le pouvoir et depuis plus d’une année, il manigance pour y rester, inspiré sans doute par un de ses voisins le Rwandais Paul Kagame. L’Eglise catholique est la seule institution respectée et encore debout dans ce pays de 70 millions d’habitants. Elle  a joué un rôle essentiel  vers une transition démocratique au temps de Mobutu Sese Seko et de la nouvelle présidence du père de Joseph Kabila, assassiné en 2001. Il lui a donc succédé presque de droit monarchique, mais refuse de s’en aller. L’Eglise catholique a accepté le 8 décembre de jouer le rôle de médiatrice entre toutes les parties. Sans arriver pourtant à un consensus, les évêques ont dû se rendre quelques jours à Rome pour d’autre raisons. Mais Kabila, 45 ans,  en a profité pour nommer un gouvernement « fantôme » juste avant la date fatidique du 19 décembre, date de la fin de son mandat de président. Il a décidé qu’un nouveau président devrait être élu plus tard en 2018.  Des violences ont éclaté dans tout le pays faisant de nombreux morts. La vraie opposition a refusé d’en faire partie, parmi eux son opposant historique Etienne Tshisekedi qui avait pourtant demandé d’agir de manière non violente.

La Conférence des évêques congolais (Cenco) lui a alors lancé un ultimatum le 21 décembre : elle exige qu’un accord soit trouvé avant Noël dans cette crise provoquée par le maintien de Kabila au pouvoir. Mais il y a peu d’espoir qu’elle soit entendue. Pourquoi est-il rejeté par la majorité de la population ? Les années Kabila ont été marquées par la corruption, les violences policières, l’augmentation de la pauvreté, l’impunité des bandes armées. Près de 90 % des Congolais vivent sous le seuil de pauvreté (moins de 1,25 dollars par jour). 50 % ont accès à l’eau potable en ville, 30 % en milieu rural. L’espérance de vie est passée de 59 ans à 49 ans. Et pourtant, ce pays est un des plus riches d’Afrique : cuivre, diamants, coltan, cobalt, or, zinc, immenses forêts tropicales. Mais ces richesses sont aux mains d’intérêts privés et de sociétés étrangères indifférentes au sort terrible des populations. En plus, il y a les scandales révélés par l’agence de presse américaine Bloomberg : « Les Kabila ont bâti ensemble un réseau d’entreprises qui s’étend dans tous les secteurs de l’économie congolaise et qui a rapporté des centaines de millions de dollars à leur famille. La femme de Joseph Kabila, ses deux enfants et huit de ses frères et sœurs contrôlent plus de 120 permis d’extraction d’or, de diamants, de cuivre, de cobalt et d’autres minerais. Ils ont aussi des ramifications dans la banque, l’agriculture, la distribution de carburant, le transport aérien, la construction de routes, l’hôtellerie, la pharmacie, les boîtes de nuit, etc. »

Cette situation effrayante ne peut que provoquer de futurs Boko Haram. Et pourtant ce pays abrite aussi des personnalités remarquables tel le Dr Mukwege qui a déjà réparé des centaines de femmes violées, des prêtres qui rendent visite aux prisonniers opposants en train de mourir de faim, des ONG, une jeunesse courageuse qui manifeste malgré les tirs à balles réelles… Vraiment il y a de quoi à être très inquiet pour l’avenir de ce grand pays…

 

 

Christine von Garnier

Christine von Garnier, sociologue et journaliste, a vécu 20 ans en Namibie où elle était correspondante du Journal de Genève et de la NZZ. Elle a aussi travaillé comme sociologue dans le cadre des Eglises. Aujourd’hui, secrétaire exécutive de l’antenne suisse du Réseau Afrique Europe Foi et Justice.