François en Egypte : Aimez vos amis et aussi vos ennemis….

 

« La charité est l’unique extrémisme des croyants… » Naïf ces petites phases ? Pas tant que cela. François est malin. Par là il nomme directement le cœur du problème : la vengeance dans les mentalités arabes (et juives) qui empêche toute réconciliation, prolonge les guerres indéfiniment et refuse que la paix s’installe. Au Caire les 28 et 29 avril derniers, il a prononcé à son arrivée deux discours de paix et de réconciliation très applaudis qui ont été retransmis à la Une de la TV égyptienne. Le premier lors de la  Conférence pour la paix à la célèbre université millénaire sunnite d’Al Azhar et l’autre à l’accueil du maréchal Al Sissi devant un parterre de diplomates. Il fallait voir l’accolade chaleureuse du grand imam Ahmed al Tayeb pour saisir les profonds sentiments d’amitié qui lient les deux hommes, en même temps que le vif désir de l’imam que son « frère de Rome » vienne l’aider à établir la paix dans son pays si fragilisé.  L’iman al-Tayeb est originaire d’une grande famille soufie de Louxor, il a étudié à la Sorbonne en 1973 la philosophie islamique et souhaite faire barrage aux djihadistes qui veulent détruire toute influence occidentale en Egypte, de même que les Frères musulmans eux par des moyens un peu « démocratiques ». Les deux hommes prennent cependant deux voies différentes. Le pape François veut démontrer qu’il n’y a pas de guerre de religion, mais que ce qui est en œuvre en Egypte, en Irak, en Syrie, c’est un choc entre la barbarie et l’humanisme. Il veut signifier que le christianisme et l’islam se tiennent du même côté contre le barbarisme et l’obscurantisme, et il a  bien  insisté dans son discours «que le christianisme en Egypte n’est pas un produit d’importation, et qu’il a même précédé l’islam… » Par sa part, l’imam al-Tayeb, démuni face aux mouvements islamistes, Daech et les Frères musulmans, veut montrer sa légitimité et  qu’il a un rôle très important pour défendre un islam modéré. Un mot honni par beaucoup de musulmans qui ne veulent pas être « modérément » musulmans. Il souhaite apparaître comme la voix autorisée pour contester le monopole médiatique du diabolique calife Abou Bakr al Bagdadi.

Le voyage du pape s’inscrivait aussi dans le désir  d’unité avec les coptes orthodoxes, 10 % de la population égyptienne qui compte environ 90 millions d’habitants. Les coptes catholiques ne sont que 0,3 % de l’ensemble des coptes. Tawaros II, patriarche d’Alexandrie et de toute l’Afrique, est lui aussi un ami de François auquel il a rendu visite à Rome. Les deux Eglises sont séparées depuis 14 siècles et « il est urgent de se réconcilier »  ont-ils affirmé. François désirait aussi  apporter aux coptes, durement touchés par des attentats répétés,  courage et soutien. Le régime d’Al Sissi est dur, musclé, autoritaire, et la Charia est encore théoriquement la religion officielle.  Si les coptes ne sont pas persécutés, ils sont des citoyens brimés de deuxième catégorie comme cela avait été fixé par Nasser. Un document signé en février à Al-Azhar, ce centre théologique de première importance pour le sunnisme, affirme que les différentes communautés, quelle que soit leur importance numérique, doivent avoir les mêmes droits. Un pas donc vers une saine laïcité qui va vers la reconnaissance de la pleine citoyenneté et de la liberté religieuse, demandée par François. Et d’ajouter : «Le défi majeur à relever pour les chrétiens du Moyen-Orient, et donc des coptes, est l’éducation sans évangélisation ». En effet, si la barbarie et l‘obscurantisme caractérisent la majorité des populations de ces pays, c’est dû à des méthodes d’enseignement moyenâgeuses. C’est donc aux chrétiens à s’attacher à cette tâche commencée il y a longtemps qu’ils n’avaient pas complètement abandonnée. D’ailleurs, la majorité des enfants dans les écoles chrétiennes sont musulmans. Un espoir donc qui les fera évoluer vers un esprit d’ouverture et de liberté et les aidera à prendre le virage de la modernité. Une illusion ? Un pari difficile, fragilisé certes par les mouvements fondamentalistes, par une situation économique précaire, le chômage, le tourisme durement touché. Et pourtant la première manche est gagnée. Les djihadistes n’ont pas réussi à provoquer un attentat qui les aurait auréolés de gloire. Le président égyptien avait pris d’exceptionnelles mesures de sécurité que les coptes ont relevées en le remerciant. Le courage de l’évêque de Rome a fait le reste. Il faut soutenir l’Egypte par des investissements et surtout ses écoles, renforcer le barrage que constitue l’imam al Tayeb.

Le président Trump veut lui aussi contribuer à la paix en entreprenant prochainement une « tournée » des trois monothéismes : à Jérusalem, à Ryad et à Rome le 24 mai. S’imagine-t-il qu’il peut «modifier » des mentalités vieilles de plusieurs millénaires ?  Reste donc à connaître l’attitude de l’Arabie saoudite, berceau du wahabisme qu’elle continue à répandre en Asie comme en Afrique….