L’initiative pour la sortie programmée du nucléaire doit compléter la Stratégie énergétique

La Stratégie énergétique a enfin été votée par les chambres, plus de cinq ans après Fukushima. Elle constituait le contre-projet du Conseil fédéral à l’initiative pour la sortie programmée du nucléaire, lancée par les Verts juste après l’accident nucléaire. Pourtant, l’initiative sera soumise au peuple le 27 novembre prochain. En effet, la Stratégie énergétique, même si elle constitue un indiscutable progrès, ne permet pas de prendre congé du nucléaire dans des conditions économiques et de sécurité acceptables.

 

Malgré des objectifs de développement des énergies renouvelables revus à la baisse, la Stratégie énergétique permettra certes de réduire le blocage des investissements dans les énergies renouvelables, en augmentant les moyens de la rétribution à prix coûtant (RPC). Par ailleurs, elle facilitera la construction de grandes installations d’énergie renouvelable, par exemple d’éoliennes, en leur accordant le même niveau d’importance que la protection du paysage, et fixe des objectifs de réduction de notre consommation d’électricité.

 

Tout cela est très positif mais pas suffisant. La Stratégie énergétique néglige un volet central de la transition énergétique : la fermeture progressive de notre vieux parc nucléaire. En termes sécuritaires, notre situation est en effet – c’est un paradoxe – plus incertaine aujourd’hui qu’avant Fukushima. Les exploitants envisageaient alors de fermer leurs vieilles centrales, pour des raisons économiques et de sécurité, après 45 à 50 ans d’exploitation, au profit de nouvelles installations nucléaires. La Stratégie énergétique exclut certes la construction de nouvelles centrales, mais elle ne dit pas quand les anciennes doivent être arrêtées. Pire, elle permet leur prolongation indéterminée : nos vielles centrales pourraient fonctionner jusqu’à 60 ans ou plus, une durée de vie qui n’avait jamais été envisagée jusqu’ici. Les centrales nucléaires ont été conçues à l’origine pour durer environ 30 ans. Et la durée de vie moyenne des centrales nucléaires dans le monde est de 25 ans.

 

Lors du traitement de la Stratégie énergétique, L’IFSN, qui est notre organe de surveillance nucléaire, a demandé au parlement de renforcer au moins les exigences de sécurité et de surveillance pour les centrales nucléaires fonctionnant au-delà de 40 ans. Cette demande a été balayée. Nous nous apprêtons donc à soumettre le peuple suisse à un test grandeur nature, en tirant nos vieilles centrales nucléaires jusqu’à la corde, sans aucune cautèle supplémentaire et contre l’avis de notre propre organe de surveillance. Prendre un tel risque est absurde, car nous disposons déjà des technologies nécessaires au remplacement de l’électricité nucléaire. La réalisation des 40'000 projets d’installations d’énergie renouvelable qui sont en attente d’un soutien de la part de la RPC permettrait déjà de produire l’équivalent de l’électricité de nos deux plus vieux réacteurs nucléaires : Beznau I qui, avec ses 47 ans, est le plus vieux réacteur encore en service au monde, et Beznau II. Pour un approvisionnement électrique autochtone renouvelable à 100 % d'ici 2029, nous devrions augmenter la production d'électricité propre de seulement 210 kWh par an et par habitant. Ceci est inférieur à la production d'un simple panneau photovoltaïque !

 

Economiquement, il est par ailleurs plus intelligent d’investir dans les énergies propres de demain, créatrices d’emplois localement ancrés, plutôt que dans de l’uranium importé et dans la prolongation d’installations dangereuses et obsolètes. Les centrales nucléaires ne sont d’ailleurs pas rentables. Elles perdent plus de 500 millions de francs par an par rapport au marché de l’électricité. Pour compenser ces pertes, les électriciens veulent brader notre patrimoine hydraulique à des fonds étrangers ! Plutôt que d’accepter l’inéluctable, ils se lancent dans une fuite en avant, au mépris de notre sécurité, espérant vainement que les profits reviendront. Ce sont vraisemblablement les contribuables qui finiront par payer la facture… sans parler des risques croissants d’un accident nucléaire, qui pourrait rendre une grande partie du plateau suisse inhabitable et exiger l’évacuation de villes entières.

 

Misons plutôt sur nos barrages et sur les énergies renouvelables, qui sont à même d’assurer notre prospérité, notre sécurité et notre autonomie sur le long terme. C’est ce que veut l’initiative pour une sortie programmée du nucléaire. En limitant la durée d’exploitation de nos centrales à 45 ans, elle nous évite de prendre des risques inutiles et dirige les investissements vers les technologies propres et sûres de demain. Elle constitue ainsi un complément nécessaire à la Stratégie énergétique.

Une économie durable en 2050, pour assurer notre prospérité

La Suisse, qui fut pionnière dans le domaine environnemental, a beaucoup régressé depuis. Malgré ses efforts en matière de recyclage, elle est aujourd’hui le deuxième plus gros producteur de déchets ménagers d’Europe. Elle a pris du retard dans la transition vers les énergies renouvelables. Et elle cause des dégâts majeurs à l’environnement hors de ses frontières, via ses importations.

                                                                                                                                                   

L’initiative pour une économie verte veut inverser cette tendance en inscrivant dans la Constitution une vision, celle d’une économie durable pour 2050. La Suisse se donnerait donc un peu plus d’une génération pour assainir la dette écologique accumulée au détriment de nos descendants. Cette vision n’est pas révolutionnaire. Le Conseil fédéral y souscrit dans son Masterplan Cleantech. Elle a aussi été adoptée récemment par l’Union européenne et par la Finlande. Enfin, elle correspond à la stratégie « Vision 2050 » du World Business Council for Sustainable Development, qui réunit des entreprises comme Firmenich, Novartis, Nestlé, ABB ou Toyota.

 

Pour devenir durable d’ici à 2050, notre économie doit passer d’un fonctionnement linéaire à un fonctionnement circulaire. Actuellement, nous prélevons des matières premières, souvent non renouvelables, nous en faisons des marchandises, puis nous les consommons et jetons très rapidement. L’initiative pour une économie verte inscrirait les principes de l’économie circulaire dans la Constitution : un maximum de matériaux et d’émissions doivent être revalorisés dans de nouveaux cycles de production ou d’utilisation, puis éliminés sans dommage pour la nature. Les technologies renouvelables et efficientes doivent être privilégiées et les produits conçus pour être adaptables, réparables, réutilisables, recyclables et éliminés de manière écologique. Déchets, pollutions et gaspillage peuvent ainsi être prévenus efficacement.

 

Les technologies propres de l’économie circulaire existent déjà. Il n’est dès lors pas nécessaire de se priver pour réduire notre impact environnemental. Nous ne sommes plus dans les années soixante : il s’agit de produire mieux, pas de consommer moins. L’initiative ne vise pas les comportements individuels, mais veut instaurer des conditions-cadre favorables à une économie responsable. Les collectivités publiques peuvent encourager les énergies renouvelables, soutenir l’éco-conception des produits et des matériaux, créer de nouvelles filières de recyclages, éviter les emballages inutiles, réduire le gaspillage des aliments, exiger que les appareils puissent être réparés, ou favoriser les nouveaux modèles économiques axés sur la location. Nous devons aussi agir sur notre impact écologique à l’étranger. Il représente plus de 70 % de nos atteintes à l’environnement et offre ainsi un grand potentiel d’amélioration, que le Conseil fédéral néglige lors de son évaluation de l’initiative. Il s’agit en particulier d’encourager les standards écologiques lors de l’importation de produits à fort impact comme l’huile de palme, le bois, le poisson ou le coton.

 

L’initiative pour une économie verte n’est pas contraignante concernant les mesures à appliquer pour atteindre une économie durable : le Conseil fédéral et le parlement fixeront leurs priorités et des objectifs intermédiaires. Ils sont soumis aux principes constitutionnels de subsidiarité, de proportionnalité et de liberté de l’économie et favoriseront dès lors des solutions pragmatiques, en dialogue avec l’économie. L’initiative est ainsi soutenue par Swisscleantech et par de nombreux entrepreneurs qui ont compris qu’une économie basée sur l’innovation et l’efficience est plus compétitive, plus autonome et créatrice d’emplois. Elle est aussi soutenue par les associations de consommateurs : ces derniers en ont assez du gaspillage et souhaitent consommer plus facilement des produits durables, en toute bonne conscience. Elle va surtout de soi, car seule une économie durable assurera la prospérité et la qualité de vie de nos enfants et petits-enfants.

Texte initialement rédigé pour Swissinfo

RBI et numérisation de l’économie : le débat doit continuer

Rarement un objet de votation aura soulevé autant de passions et de questions de fond sur l’avenir de notre société que le revenu de base inconditionnel. Il serait regrettable d’interrompre la réflexion à l’issue du vote. Le fait que le peuple ait refusé l’initiative ne résout en effet en rien les problèmes de conciliation entre vie professionnelle et familiale, la complexité de notre système d’assurances sociales, les inégalités dans l’accès à la formation ou les difficultés que l’on peut rencontrer lors de la création de son entreprise. Des mesures ciblées doivent être prises dans ces domaines.

 

La réflexion amorcée ces derniers mois sur l’avenir du travail doit en outre se poursuivre. L’un des arguments émis en faveur de l’initiative est la réduction des postes de travail en lien avec la numérisation de notre économie (industrie 4.0). On peut mettre en doute ce phénomène ou dire que de nouveaux emplois compenseront ceux que nous aurons perdus au profit des algorithmes et des robots, comme cela a été le cas lors des précédentes révolutions industrielles. On peut aussi exiger que des études et des projections soient réalisées, afin d’avoir une base de discussion plus solide. Personne ne peut cependant prévoir avec certitude l’effet exact de la numérisation sur l’emploi. Il est par contre permis d’essayer de prévenir, aujourd’hui déjà, les risques identifiés.

 

L’économie verte a un fort potentiel de création et de relocalisation d’emplois. Le nombre de postes dans le domaine des Cleantech atteint déjà près de 530'000 équivalents plein-temps, soit 8,5 % des emplois en Suisse. Et ils augmentent d’environ 6,7 % par an[1]. Ce processus pourrait être encouragé via des incitations positives dans le domaine de l’économie circulaire, comme le demande l’initiative pour une économie verte : soutiens aux produits innovants, conçus pour être plus durables, réparables et adaptables, création de nouvelles filières de revalorisation et de recyclage, promotion des produits de proximité au détriment d’importations issues de modes de production écologiquement contestables. La transition énergétique est aussi créatrice d’emplois localement ancrés: nous dépensons chaque année plus de 10 milliards de francs pour importer des énergies fossiles, cet argent serait bien mieux investi sur place dans les énergies et les technologies propres.

 

Peut-être ces mesures ne suffiront-elles pas. Peut-être perdrons-nous effectivement des emplois. Pourquoi ne pas envisager alors un meilleur partage du travail restant ? Pourquoi ne pas réduire le temps de travail des êtres humains, s’il est en partie remplacé par celui des machines ? Les gains que celles-ci offrent en matière de productivité devraient le permettre. Nos plannings surchargés pèsent sur notre qualité de vie et sur notre santé. Le temps libéré serait réinvesti dans d’autres engagements, à l’image de ce qu’envisageaient les défenseurs du RBI : famille, activités artistiques, formation, création de projets et d’entreprises innovants.

 

Il convient en outre de réfléchir à l’avenir de nos assurances sociales. Le débat sur le RBI en a souligné la complexité et la dimension parfois stigmatisante et réductrice pour l’autonomie. Plus fondamentalement, notre filet social est basé sur l’hypothèse d’une société du quasi plein-emploi ou, du moins, du travail en abondance. Il n’est pas là pour combler un manque de travail, mais pour compenser les conséquences sur les travailleurs d’évolutions technologiques ou du marché, et soutenir ceux qui ne peuvent, momentanément ou pas, s’en accommoder. Une réduction de la quantité de travail disponible exigerait que ce système soit adapté.

 

Par ailleurs, la numérisation de notre économie pourrait avoir un effet sur la croissance. On peut certainement penser une « prospérité sans croissance » ou avec une croissance plus faible ou « qualitative ». Mais celle-ci aurait un impact indéniable sur le financement de nos assurances sociales, au-delà de la modification de leur rôle. Notre système actuel a bénéficié de la période des trente glorieuses, caractérisée par une croissance forte. Or toute personne raisonnable sait aujourd’hui qu’on ne saurait la reproduire éternellement. Comment adapter notre système social, si le travail devient moins abondant malgré nos efforts d’innovation, s’il doit être partagé différemment, si une partie de la population se retrouve hors du système salarié traditionnel ? Comment le financer si la croissance en est modifiée ? Comment imposer les algorithmes ou les machines, s’ils deviennent une source plus importante de plus-value ? Voilà des questions que nous devons affronter rapidement. Le débat amorcé dans le cadre du vote sur le RBI doit continuer.


[1] Selon une étude d’Ernst Basler + Partner datant de 2014.

 

Economie verte : paysans et Penans unis contre l’huile de palme

Il y a quelques jours, j’assistai près de Romont à une rencontre improbable : celle d’une famille d’agriculteurs bio fribourgeois avec des représentants du peuple indigène des Penans, arrivés de Malaisie. Il se trouve que les protagonistes de cette rencontre ont un ennemi commun qui les unit, au-delà des kilomètres et des différences de langue, de culture ou de mode de vie : l’huile de palme. Pour Fritz Glauser, qui nous accueillait sur ses terres, l’huile de palme constitue une concurrence brutale et déloyale, puisqu’il cultive, conformément aux exigences de l’agriculture biologique, du colza dont on réalise une huile de proximité et de haute qualité, tant pour la santé que pour le goût. Les Penans à qui il a pu montrer ses cultures venaient, eux, témoigner des atteintes majeures à l’environnement, mais aussi aux droits les plus élémentaires de leur peuple, en lien avec la production d’huile de palme dans leur pays.

 

Leur visite, organisée par le Fonds Bruno Manser, a eu lieu dans le cadre de la remise au SECO d’une pétition forte de 20'000 signatures. Elle demande au Conseil fédéral d’exclure l’huile de palme de l’accord de libre-échange que celui-ci négocie actuellement avec la Malaisie, pour protéger les forêts pluviales de ce pays et ses populations indigènes, mais aussi la production suisse d’huile de colza. La FRC soutient cette revendication. En effet, les effets négatifs sur la santé de l’huile de palme, omniprésente dans la nourriture industrielle, sont dénoncés par les milieux médicaux et suscitent l’inquiétude des consommateurs. La volonté du Conseil fédéral de favoriser l’importation d’un tel produit va dès lors à rebours du bon sens. Mieux vaut privilégier des matières grasses plus favorables à la santé et produites localement. Et pour ce qui concerne les importations, des standards écologiques et sociaux minimaux doivent impérativement être exigés. Les consommateurs suisses ne souhaitent certainement pas contribuer à la destruction des dernières forêts pluviales, ni soutenir des pratiques bafouant les droits humains des populations indigènes.

 

Les demandes du Fonds Bruno Manser bénéficient heureusement d’un soutien croissant. Une initiative cantonale allant dans le même sens que la pétition a été votée à l’unanimité par le Grand Conseil vaudois. Au parlement, des politiciens de tout bords ont déposé des interventions sur le sujet, de la verte Maya Graf à l’UDC Jean-Pierre Grin. Le Conseil fédéral lui-même est conscient du problème. Dans le cadre du contre-projet à l’initiative pour une économie verte, il avait proposé de promouvoir des standards écologiques pour les importations de matières premières à fort impact sur l’environnement, dont l’huile de palme. Ce produit est en effet emblématique de notre responsabilité au-delà de nos frontières, en tant que consommateurs suisses : aujourd’hui, plus de 70 % de notre impact écologique a lieu à l’étranger, via les produits que nous importons. Le contre-projet a malheureusement été refusé à quelques voix près par le parlement. Pour réparer cette erreur, et pour apporter une réponse globale à cet enjeu majeur, les citoyens auront l’occasion de voter oui en septembre à l’initiative pour une économie verte. Parce qu’une économie responsable ménage autant les intérêts des consommateurs que la production locale, tout en préservant notre environnement et ceux qui en vivent. Ici, dans nos campagnes et dans nos entreprises, mais aussi dans les lointaines forêts de Malaisie, patrie des Penans.

L’initiative pour la sortie du nucléaire sera soumise au peuple

La session de printemps a été marquée par le traitement de la Stratégie énergétique, qui nous est revenue après son passage au Conseil des Etats. Toutes les divergences n’ont pas pu être résolues, mais l’on peut d’ores et déjà en tirer un bilan. La Stratégie énergétique a été clairement affaiblie par rapport à la première version issue de nos travaux, puisque le Conseil national a validé dans les grandes lignes les reculs décidés par le Conseil des Etats, revenant sur des améliorations qu’il avait pourtant lui-même apportées au projet. Le concept d’exploitation à long terme des centrales nucléaires, qui permettait de renforcer la surveillance des centrales après 40 ans d’exploitation sur demande de l’IFSN elle-même, a en particulier été biffé définitivement. Il en est de même pour le système de bonus-malus, qui aurait permis d’associer les gestionnaires de réseau aux efforts d’économies d’énergie.

 

Malgré ces affaiblissements, la Stratégie énergétique représente encore un progrès réel par rapport à la situation actuelle dans les domaines des énergies renouvelables, de la préservation du climat et de l’efficacité énergétique. Les moyens dévolus à l’assainissement énergétique des bâtiments seront augmentés et les normes d’émissions de CO2 des véhicules renforcées sur le modèle européen. Même si le système de rétribution à prix coûtant (RPC) a été limité dans le temps et que les valeurs indicatives de développement des énergies renouvelables restent modestes, les moyens alloués à la RPC seront augmentés et il sera désormais possible d’obtenir une aide directe lors de l’investissement. Un compromis a en outre été trouvé pour donner plus d’importance aux grandes installations d’énergies renouvelables lors des conflits avec le paysage et nous avons pu éviter les soutiens aux petites centrales hydroélectriques peu productives mais très dommageables pour l’environnement. Les grandes centrales hydrauliques, victimes des prix bas de l’électricité dus à la surproduction, en lien avec le maintien sur le réseau de vieilles centrales nucléaires obsolètes et avec le subventionnement du charbon, seront par contre soutenues. Ces acquis doivent être salués et la Stratégie énergétique fermement défendue au cas où la droite l’attaquerait en référendum.

 

Cependant, le projet reste dramatiquement insuffisant en ce qui concerne la sortie du nucléaire. Non seulement le parlement a refusé toute limitation de la durée de vie de nos vieilles centrales, mais il a même renoncé à renforcer le rôle de surveillance de l’IFSN lors d’une exploitation prolongée. Ceci rend paradoxalement notre situation, en termes de sécurité nucléaire, plus précaire aujourd’hui qu’avant Fukushima. Les exploitants envisageaient alors de fermer leurs centrales après 40 à 50 ans, ce qui était déjà aventureux pour des installations conçues pour fonctionner 30 à 40 ans. Aujourd’hui, la loi permet une exploitation illimitée des centrales, sans renforcement de la surveillance !

 

Face à cette dérive irresponsable, les Verts maintiennent leur initiative pour la sortie du nucléaire. Le peuple aura ainsi l’opportunité de décider de lui-même, vraisemblablement encore cette année, s’il veut être l’objet d’une expérience nucléaire sans précédent. Le tournant énergétique ne doit pas être reporté à la prochaine génération au prix de mauvais investissements et de prises de risques inconsidérées : la fermeture programmée des centrales nucléaires doit impérativement venir compléter les acquis de la Stratégie énergétique. La situation financière actuelle des sociétés électriques est un argument de plus dans ce sens. Il apparaît clairement que le contribuable devra passer à la caisse pour gérer la fin de vie des centrales dans des conditions de sécurité correctes, sans parler de leur démantèlement et de la gestion, à très long terme, de leurs déchets. Une intervention étatique aussi massive, en faveur d’un système de production qui coûtera finalement bien plus cher que ce qu’il aura rapporté, est inacceptable sans une planification stricte de la fermeture des centrales. 

Autour du vote du Gothard : les phantasmes cachés de notre mobilité

A la veille de la décision populaire sur le doublement du tunnel routier du Gothard, j’aimerais partager cette réflexion élaborée lors de ma première vie de philosophe. Elle illustre nos difficultés à faire évoluer notre mobilité. En espérant que le peuple fera malgré tout le bon choix demain, pour la préservation de notre magnifique espace alpin comme du climat.

En Suisse, certaines politiques environnementales ont enregistré de progrès conséquents ces dernières décennies. Pourtant, l'écologisation de notre mobilité s'achoppe à des obstacles tenaces. Le discours écologiste peine à s'imposer dans ce domaine plus que dans d’autres, alors que les enjeux climatiques sont connus de tous. Ces difficultés sont peut-être dues au fait que la mobilité n'est pas une activité humaine comme les autres. Je voudrais mettre ici à jour quelques notions philosophiques qui sous-tendent notre attitude contemporaine face au mouvement.

Le puissant désir de mobilité qui nous habite nous renvoie de fait à un phantasme collectif millénaire, propre à la civilisation occidentale, celui de la radiation de la matière et de sa structure inhérente, l’espace-temps. Depuis l'Antiquité de Platon, l’homme aspire au dépassement de la matérialité, perçue comme une condamnation, un obstacle ou un leurre. Si ce dernier s'effectuait autrefois par le biais de la valorisation de l'immutabilité, la modernité – épaulée par l'émergence des technologies de la vitesse – a changé la donne. Désormais, le dépassement de la condition incarnée et donc périssable de l'homme passe par le culte du mouvement.

Dans la mobilité et dans la vitesse, les limites de la matière et de l'être corporel semblent en effet se briser: il n'y a plus de durée ni de distance. La matière se dissout en pure énergie cinétique. L'espace-temps rétrécit et tout paraît enfin à notre portée: c'est là le deuxième phantasme attaché à la mobilité, phantasme de domination et de mainmise absolue sur le monde matériel. La notion de mobilité est en effet à mettre en rapport avec celle de mobilisation : l'énergie doit non seulement être libérée, mais aussi et surtout mise à notre disposition, maîtrisée dans ses flux. Nous désirons que le monde cesse de nous opposer sa résistance. Il est appelé à se mettre à notre service, sans délai ni intervalle. Cette utopie est du reste au fondement du libéralisme et de son corollaire, la mondialisation, qui consacrent la mobilité infinie et généralisée des marchandises, des personnes et des capitaux. Les valeurs financières ne peuvent être conçues comme des entités en repos: le mouvement est le principe même de leur existence.

Cette fuite en avant, derrière laquelle se cache l'éternelle révolte de l'homme contre sa propre finitude, comporte pourtant sa part d'ombre. L'émancipation de la structure espace-temps reste illusoire et débouche sur de nouvelles dépendances. La mobilité illimitée porte avec elle, au-delà de l'ivresse, l'asservissement à ses supports techniques, qui nous dictent leur rythme propre et rendent nécessaires des moyens de contrôle qui réduisent très largement notre autonomie. Elle débouche surtout sur une banalisation profonde de l'espace et du temps. L'exotisme et le lointain n'existent plus véritablement et l'omniprésence entraîne la disparition de l'autre. Il n'y a plus d'extériorité spatiale, le monde entier est endogène. Nous perdons le sentiment du lieu, voire de la réalité même de l'espace. Le milieu géographique et, en dernière instance, la nature sont disqualifiés. Egalement mortifère est la radiation de la durée. Sans temporalité, plus de mémoire. Sans lenteur, plus de pensée. La vitesse tue la réflexion. Dans l'immédiateté, il n'y a plus de conséquence à nos actes, plus d'espace pour la responsabilité. La civilisation de la mobilité et de la vitesse est aussi celle de l'oubli.

Les conséquences désastreuses de notre mobilité sur l'environnement apparaissent dès lors sous un nouvel angle. Elles sont les suites logiques d'une vision du monde qui rejette un espace naturel conçu comme obstacle, et dont l'aspiration à l'instantanéité abolit toute possibilité de préoccupation pour l'avenir. C'est dans ce contexte qu'il faut comprendre notre incroyable attachement aux instruments de la mobilité. La voiture n'est en effet pas seulement un moyen de transport. Elle est aussi le support quotidien de notre lutte désespérée contre l'insoutenable résistance de l'espace-temps, théâtre cruel de notre finitude.

Texte publié dans la revue de l'ATE Leonardo en 2003.

 

Climat : de belles promesses à la COP21, et après ?

Nous nous sommes réjouis des résultats de la COP21. Un accord global a vu le jour et la communauté internationale s’est même fixé un objectif de limitation du réchauffement climatique plus exigeant de 1,5 degré. Cet accord doit cependant maintenant être validé dans chaque pays, des objectifs nationaux et des plans de mesures déterminés, puis mis en œuvre sur le terrain. Sans cela, le succès de la COP21 ne sera que de la théorique.

 

Or en Suisse comme ailleurs, rien n’est joué. Notre pays a certes été parmi les premiers à annoncer ses propres objectifs de réduction des émissions de CO2. Mais l’Organe consultatif sur les changements climatiques du Conseil fédéral a déjà estimé qu’ils étaient insuffisants. Jusqu’ici, la Suisse n’est d’ailleurs parvenue à respecter ses engagements internationaux qu’en achetant des certificats de droits d’émission de CO2 à l’étranger. A l’interne, nous avons bien réussi à maîtriser nos émissions liées au chauffage. Par contre, celles qui sont dues au trafic n’ont cessé d’augmenter.

 

La Suisse, comme place financière majeure, a en outre une responsabilité importante dans les investissements favorisant les émissions de CO2. La Revue durable a estimé que le placement de 10'000 CHF dans une banque ou un fonds de pension doublait l’empreinte carbone moyenne d’un individu. Enfin, nous sommes responsables des émissions liées à la production à l’étranger et au transport des très nombreux biens que nous importons. Pourtant, tant les investissements que nos émissions « grises » échappent à notre politique climatique.

 

La stratégie énergétique 2050 devrait certes apporter quelques améliorations. L’augmentation de la taxe CO2 sur le mazout et des soutiens à l’assainissement énergétique du bâtiment est en particulier bienvenue, car au rythme actuel, il faudrait un siècle pour améliorer l’isolation et les systèmes de chauffage du bâti existant. Cependant, les mesures prévues en matière de mobilité sont faibles : la Suisse se limite à reprendre les normes européennes d’émissions de CO2 pour les véhicules. Or, malgré la présence sur le marché de nouveaux modèles plus écologiques et efficients, nous avons toujours l’un des parcs automobiles les plus polluants d’Europe et nous roulons trop.

 

La deuxième phase de la stratégie énergétique, qui vise à instaurer une fiscalité écologique, est maintenant à l’ordre du jour de la commission de l’environnement du Conseil national. Mais elle est très contestée et n’apportera vraisemblablement pas de grand progrès en matière de politique climatique. Elle prévoit la possibilité pour le Conseil fédéral de taxer les différentes sources d’énergie et d’en redistribuer les recettes à la population, mais elle exclut pour le moment une taxation écologique de l’essence. Et elle impliquerait la suppression des soutiens à l’assainissement énergétique des bâtiments.

 

Si rien de plus n’est entrepris, les belles paroles de la COP21 risquent donc de rester sans suite. Le Conseil fédéral devrait présenter ses propositions d’adaptation de la Loi sur le CO2 ce printemps. Sera-t-il à la hauteur du défi ? Il faut l’espérer, d’autant plus que l’enjeu n’est pas seulement environnemental. Nous dépensons chaque année plus de 10 milliards de francs pour importer de l’énergie fossile. Et la « bulle carbone » est désormais dénoncée comme un danger pour les investisseurs. Dans cette perspective, notre indispensable émancipation des énergies fossiles doit aussi être considérée comme une chance. 

Après le 18 octobre : repolitiser l’écologie

L’écologie politique est la grande perdante des élections fédérales. Avec elle, ce sont aussi l’environnement et les générations futures qui sont perdants. En effet, nous ne pourrons pas affronter les enjeux des dérèglements climatiques, de la surexploitation des ressources ou de l’érosion de la biodiversité sans des politiques publiques crédibles. Or celles-ci sont décidées par des politiciens élus au parlement.

 

Ces dernières années, les ONG environnementales, avec le soutien des Verts, ont beaucoup axé leur engagement sur la promotion de modes de vie respectueux de l’environnement, ciblant ainsi l’action individuelle. Avec succès. Les écogestes et la consomm’action sont devenus populaires: nombreux sont ceux qui privilégient les produits locaux, biologiques et équitables et qui trient leurs déchets avec soin. Ils éteignent la lumière en sortant de la pièce, vont à vélo ou en train au travail, installent des panneaux solaires sur leur toit.

 

Ces actions sont nécessaires, mais pas suffisantes. Il est naïf de penser qu’elles pourraient tout résoudre et que l’écologie politique en deviendrait superflue. Toutes individuelles qu’elles sont, ces actions dépendent d’ailleurs de conditions-cadre liées à des décisions politiques. Dans bien des cas, la simple possibilité des écogestes repose sur l’existence de politiques publiques. Dans d’autres, ce sont des politiques publiques qui permettent de généraliser des comportements individuels qui, sans elles, resteraient l’apanage d’une toute petite minorité, notamment par manque d’information ou de moyens financiers.

 

Si les consommateurs ont l’occasion de choisir à bon prix des denrées alimentaires locales et biologiques dans nos magasins, c’est parce que le parlement a, notamment sous l’impulsion des Verts, mis en place une politique agricole soutenant une production durable dans notre pays. Malgré cela, de nombreux combats politiques restent à mener: le glyphosate, considéré comme cancérigène probable par l’OMS, est toujours autorisé en Suisse, malgré les interventions des Verts, tout comme les néonicotinoïdes nocifs pour les abeilles. Les OGM sont exclus de notre agriculture grâce à un moratoire limité dans le temps, pour la reconduction duquel il faudra trouver une majorité au parlement pendant la prochaine législature. Enfin, les consommateurs ne sont pas toujours informés sur la qualité et les conditions de production des produits importés, qui constituent 50 % de ce que nous mangeons. Là encore, des mesures politiques sont nécessaires pour leur permettre un choix éclairé.

 

Si nous pouvons trier nos déchets, c’est aussi parce que des politiciens, notamment des écologistes, se sont engagés pour créer des filières de recyclage dans les collectivités publiques. Nous recyclons certes une bonne partie de nos déchets, mais deux tiers des déchets métalliques finissent encore dans nos poubelles, comme quantités de plastiques et d’emballages. De nouvelles filières de revalorisation doivent être créées et, en amont des consommateurs, il faut encourager l’écoconception et l’économie circulaire, avec la création de produits à plus longue durée de vie, réparables, dont les matériaux sont réutilisables et recyclables. De nouveaux modèles commerciaux plus efficients doivent être favorisés, comme l’économie de fonctionnalité. La Suisse est le deuxième pays européen produisant le plus de déchets par personne et consomme beaucoup trop de ressources. Pourtant, le parlement refuse d’encourager une économie plus verte.

 

Le tournant énergétique exige enfin des actes politiques forts. Si votre ville, grâce à l’engagement de politiciens favorables à la mobilité douce, n’avait pas installé de pistes cyclables, vous auriez probablement moins envie d’utiliser votre vélo pour vos déplacements. Et personne n’est prêt à abandonner sa voiture sans alternative crédible en matière de transports publics. Ceci exige de gros investissements publics. C’est aussi parce que les collectivités, suite à l’engagement des Verts et de leurs alliés, informent et soutiennent financièrement les particuliers qui veulent isoler leur logement ou installer des panneaux solaires, qu’ils sont de plus en plus nombreux à le faire. Vous pouvez enfin économiser de l’énergie dans votre quotidien – et vous devez bien sûr le faire – mais la décision de maintenir ou pas l’exploitation de nos vieilles centrales nucléaires, autrement dit ou bien d’investir de l’argent pour prolonger leur fonctionnement, ou bien de développer les énergies renouvelables, relève largement des pouvoirs publics. Et le nouveau parlement pourrait bien reporter la sortie du nucléaire à la prochaine génération.

 

C’est ce lien entre actions individuelles et engagement politique qu’il est aujourd’hui urgent de reconstituer, si nous voulons faire face aux grands enjeux environnementaux de ce siècle. Car les écogestes ne suffiront pas. L’environnement a besoin de décisions politiques fortes et, pour les prendre, de politiciens sensibles à sa cause. L’écologie politique reste nécessaire, aujourd’hui comme hier.

TTIP, Axpo, VW : l’Etat garant des mauvais investissements d’entreprises irresponsables ?

Il existe un point commun entre Axpo et les défenseurs du partenariat transatlantique sur le commerce et l’investissement entre l’Europe et les Etats-Unis (TTIP). C’est celui de considérer que l’Etat doit non seulement renoncer à toute mesures risquant de freiner les bénéfices des entreprises mais, plus encore, que celles-ci sont légitimées à attaquer les collectivités publiques si des régulations venaient à limiter leurs gains. L’Etat serait ainsi chargé d’une nouvelle tâche, celle de se porter garant des résultats des investissements – y compris les plus hasardeux – des entreprises, au détriment de régulations issues de processus démocratiques, visant le plus souvent à protéger la population ou l’environnement.

 

Ce principe constitue le fondement du TTIP, actuellement négocié entre l’Europe et les Etats-Unis. Ce partenariat vise un affaiblissement des régulations liées aux standards de qualité, écologiques et sociaux européens, considérés non pas comme le résultat de l’usage légitime de droits démocratiques, mais comme de purs et simples « obstacles » pour les entreprises. Il inclut en particulier un mécanisme de règlement des différends qui permettrait aux investisseurs de poursuivre un Etat dont une régulation lui serait défavorable. Ce faisant, il remet en cause la capacité des collectivités publiques de légiférer démocratiquement pour protéger leur population contre des atteintes écologiques, sanitaires ou sociales. Le domaine alimentaire est particulièrement visé avec, à la clé, l’accès au marché européen de produits agro-industriels comme le poulet au chlore.

 

Axpo est sur la même ligne lorsqu’elle menace la Confédération d’exiger des milliards de dédommagements en cas de fermeture, pour des raisons de sécurité, de la centrale nucléaire de Beznau, dont la cuve de l’un des réacteurs est affaiblie par près d’un milliers de trous. Ce faisant, Axpo conteste à la Confédération le droit de prendre des décisions pour protéger la population suisse face à un risque élevé d’accident nucléaire. Elle se comporte en outre comme si la Confédération avait pour devoir de maintenir des conditions-cadre lui permettant de faire des bénéfices ad aeternam. D’une certaine manière, cela a effectivement été le cas jusqu’ici puisque, selon la législation actuelle, ce sont les contribuables qui devront financer une partie du démantèlement des centrales nucléaires, ainsi que la gestion de leurs déchets sur des milliers d’années. Ce sont aussi les contribuables qui assumeraient les coûts démesurés d’un accident nucléaire, puisque nos centrales ne sont pas suffisamment assurées. Mais, en plus du beurre et de l’argent du beurre, Axpo veut encore le sourire de la crémière ! L’entreprise qui vient d’investir, plutôt que dans les énergies de demain, 700 millions de francs dans ce qu’il faut bien qualifier de vieille passoire, considère que c’est à la Confédération d’assumer les suites financières de ce choix absurde.

 

Un autre scandale, celui de VW, vient encore à l’esprit. Cette entreprise rejette également les régulations étatiques, mais de manière plus sournoise, puisqu’elle a choisi tout simplement de tricher. Plutôt que d’investir dans des technologies propres, VW a préféré continuer à miser sur un moteur polluant et dangereux en développant, en lieu et place d’alternatives, un système permettant de contourner les prescriptions légales visant à préserver la santé publique.

 

Il est temps de rappeler à ces entreprises que nous sommes dans une économie de marché et qu’elles doivent en accepter les règles. L’Etat n’a en particulier pas à assumer les suites de leurs mauvais investissements. Or, précisément, continuer à investir dans des technologies ou des produits polluants ou dangereux – que ce soit dans le domaine de l’industrie agro-alimentaire, du nucléaire ou des moteurs – alors que des alternatives propres existent, est une aberration dont leurs dirigeants doivent porter seuls la responsabilité.   

 

Il est aussi temps de réaffirmer le droit légitime des collectivités publiques de prendre démocratiquement des mesures pour protéger leur population et l’environnement d’atteintes parfaitement évitables[1]. Evidemment, le fait que ces collectivités publiques légifèrent induit des changements sur le marché. Les entreprises intelligentes s’en mettent à l’abri en assumant d’elles-mêmes leur responsabilité sociale et environnementale et en investissant dans des technologies propres. Elles n’ont ainsi pas de problème, mais sont au contraire favorisées lorsque les Etats adoptent des régulations sociales ou écologiques, parce qu’elles ont su les anticiper. Ce sont de telles entreprises qui feront l’avenir de notre pays – notamment dans les domaines alimentaire, énergétique ou de la mobilité – et certainement pas celles qui ont le toupet de venir aujourd’hui remettre en cause les processus démocratiques ou exiger des dédommagements de l’Etat, alors qu’elles sont seules responsables de leurs mauvaises politiques d’investissement.

 

 

 


[1] C’est ce que proposent les Verts dans le domaine alimentaire avec leur initiative Fair Food pour des aliments équitables, qui constitue une réponse au TTIP et sera déposée à la Chancellerie fédérale en novembre prochain. Si le parlement ne renforce pas la Stratégie énergétique, les Verts mèneront par ailleurs devant le peuple leur initiative pour la sortie du nucléaire, afin de fermer immédiatement la dangereuse centrale nucléaire de Beznau. 

 

L’ « industrie 4.0 »: une chance pour notre économie et notre environnement

Une révolution silencieuse est à l’œuvre au cœur de notre économie. Il s’agit de l’émergence de l’ « industrie 4.0 ». Cette appellation désigne, après l’apparition de la machine à vapeur, de l’électricité puis de l’électronique, le phénomène de numérisation de nos activités économiques. Elle touche notre économie à des niveaux très divers, des processus de production à la distribution, en passant par l’organisation du travail, ou encore le marketing ou la publicité. Il y a notamment la possibilité de produire des biens via des imprimantes 3D, qui pourrait déboucher sur une décentralisation et une relocalisation de la production, voire sur un changement d’orientation d’une partie des activités économiques, qui se recentreraient sur la demande, plutôt que sur l’offre. Au lieu de produire à l’avance et en masse des marchandises uniformisées, puis de chercher à leur trouver preneur via des dépenses importantes en marketing et en publicité, une partie de la production pourrait devenir plus personnalisée et liée aux demandes spécifiques de clients déterminés. Le télétravail, la vente de produits et de services en ligne, le marketing basé sur le big data ou encore la publicité sur les réseaux sociaux sont d’autres exemples qui ont déjà ou auront tout prochainement une influence sur notre quotidien d’acteurs économiques.

 

Cette évolution, comme la plupart des innovations, comporte à la fois des chances et des risques. Du côté des chances, la numérisation de nos activités économiques ouvre un vaste potentiel d’amélioration de notre efficacité dans la gestion de l’énergie et des ressources. D’après les prévisions de la Global eSustainbility Initiative (GeSi), la numérisation pourrait nous permettre d’épargner, d’ici à 2020, près de 16% des émissions mondiales de CO2. Smart city, smart home, smart grid, smart factory : ces innovations peuvent rendre notre économie plus verte. Correctement utilisées, les technologies numériques peuvent contribuer à produire des biens mieux adaptés à la demande et de manière plus efficiente, réduisant ainsi le gaspillage d’énergie et de matières premières et renforçant la compétitivité des entreprises. Elles permettent aussi de contrôler plus intelligemment les transports et les flux de marchandises, réduisant la consommation énergétique et les coûts. Le potentiel de relocalisation de la production, avec la création d’emplois qui pourrait lui être lié, ne doit pas être négligé, notamment pour les secteurs qui se prêtent à une orientation accrue sur la demande et à une personnalisation des produits. Enfin, l’utilisation des technologies numérique constitue certainement une mine d’innovation pour notre économie d’exportation.

 

Il vaut dès lors la peine de se pencher sur ce phénomène et d’évaluer la manière dont la Suisse pourrait en exploiter les opportunités. Les Verts ont déposé pendant la sesion de septembre une intervention parlementaire demandant que le SECO crée une plateforme d’échange sur le sujet avec les acteurs concernés, en particulier les organisations économiques, les syndicats, et des représentants des milieux scientifiques et associatifs. Le projet « Industrie 2025 » lancé en juin 2015 par les associations Swissmem, Electrosuisse, asut et SwissT.net pourrait en constituer un premier jalon.

 

Cette plateforme pourra dessiner des pistes sur la manière dont la Suisse peut tirer avantage de l’ « industrie 4.0 » et voir si notre législation actuelle est adaptée à cette évolution. Pour des technologies clés, comme l’impression 3D, les entreprises suisses doivent par exemple veiller à investir à temps, mais aussi à disposer des qualifications nécessaires. Les PME, en particulier, pourraient avoir besoin de soutien. Il s’agira cependant aussi d’évaluer les risques potentiels de la numérisation. Un « effet rebond » n’est pas à exclure. Il s’agit notamment de prévenir une consommation électrique excessive, en lien avec les supports informatiques de la numérisation. Par ailleurs, l’impact positif en termes d’efficience peut toujours se perdre, s’il est accompagné de modifications des comportements allant dans le sens contraire : la réflexion sur les nouvelles technologies doit donc également impliquer leur usage et leur effet sur nos pratiques quotidiennes. La numérisation peut aussi poser des problèmes en matière de droit du travail, par exemple lorsque les employés deviennent atteignables en permanence. L’expérience des taxis Uber est emblématique des nombreuses difficultés qui peuvent se poser dans le cadre des nouveaux modèles d’activité et de travail suscités par la numérisation. Une régulation intelligente devrait néanmoins les encourager, tout en évitant la concurrence déloyale et le non-respect des normes de sécurité au travail. Des règles claires doivent en outre être définies quant à la possession et à l’usage des données, autour du big data. Enfin, les structures monopolistiques devraient être évitées au profit d’une concurrence équitable, permettant notamment la valorisation des solutions open source et des données ouvertes. Bien encadrée, là où c’est nécessaire, l’émergence de l’ « industrie 4.0 » pourra ainsi constituer une chance pour notre pays, que ce soit du point de vue économique ou environnemental.

Ce texte a été publié dans une première version dans le Temps durant le mois d'août.