Pourquoi il faut rejeter l’initiative de l’UDC contre les bilatérales

Nous voterons le 27 septembre sur l’initiative UDC dite « de limitation ». Elle propose d’inscrire dans la Constitution un article dont l’intitulé est très clair : « Immigration sans libre circulation des personnes ». En cas d’acceptation par le peuple, la Confédération disposerait d’un an pour négocier la fin de l’accord sur la libre circulation des personnes avec Bruxelles. Cette initiative constitue une attaque frontale contre les valeurs progressistes d’ouverture et de bon voisinage qui font la force de notre pays, contre notre liberté de nous mouvoir et d’être actifs sur le continent européen, mais aussi contre une société et une économie orientées sur la durabilité.

Notre liberté de circuler en Europe est menacée

L’UDC ne parle que d’un aspect de la libre ciruclation des personnes, l’immigration. Pourtant, l’accord va dans les deux sens, en nous offrant la réciprocité : près de 480’000 Suisses vivent dans les pays européens. En s’attaquant à la libre circulation des personnes, l’initiative ne fermerait dès lors pas seulement les portes de notre pays aux Européens, à leurs compétences et à leur force de travail. Elle nous empêcherait aussi, nous qui vivons en Suisse, de décider, sous les mêmes conditions que celles que nous imposons aux Européens qui viennent chez nous[1], d’aller vivre et travailler à Paris, à Berlin ou dans n’importe quelle ville ou localité de l’Union européenne. C’est une liberté que l’accord sur la libre circulation des personnes nous octroie et dont nous serions privés.

De plus, si l’initiative ne cite que la libre circulation des personnes, elle concerne en réalité plusieurs autres importants accords, qui constituent tous ensemble la voie bilatérale. Une voie que notre pays a patiemment construite depuis près de vingt ans, pour éviter de se retrouver face à la délicate alternative entre adhésion et Alleingang. Sont ainsi également menacés les accords sur la suppression des obstacles techniques au commerce, sur l’agriculture, sur les transports terrestres, sur le transport aérien, sur les marchés publics et sur la recherche.

Le recherche et l’innovation sont en danger

L’accord sur la recherche est particulièrement important. Il permet aux chercheurs et aux entreprises suisses de participer aux programmes-cadre de recherche de l’Union européenne, qui dispose de moyens très importants en comparaison avec les soutiens octroyés en Suisse. Cette participation est primordiale pour maintenir le niveau d’innovation qui fait la force de notre pays, qui plus est à un moment où nous avons urgemment besoin de développer de nouvelles solutions et de nouvelles technologies, en particulier en lien avec la crise sanitaire et avec la crise écologique. Notre place scientifique et nos jeunes chercheurs ne peuvent pas se passer de cet accord. Il est par ailleurs logique de collaborer avec nos voisins dans le domaine des transports. L’accord sur les transports terrestres a notamment permis une coordination entre la Suisse et l’Union européenne dans le cadre de l’application de l’objectif suisse de transfert de la route au rail du trafic poids lourds à travers les Alpes.

Les accords sur la suppression des obstacles techniques au commerce, sur l’agriculture et sur les marchés publics sont en outre importants pour assurer l’accès facilité de nos entreprises au grand marché européen. Les entreprises suisses peuvent faire examiner plus simplement la conformité de leurs produits, pour les proposer ensuite sur le marché européen ; de nombreux emplois dans notre pays en dépendent. L’exportation de produits alimentaires comme le fromage est également facilitée, ainsi que la reconnaissance de prescriptions, par exemple dans le domaine de l’agriculture biologique, ou l’accès à des semences à meilleur prix pour les agriculteurs.

Privilégier le commerce avec nos voisins

Les échanges économiques internationaux sont très importants pour un petit pays comme le nôtre. Nous gagnons deux francs sur cinq grâce à eux. Le marché européen est aujourd’hui notre premier débouché, puisqu’il absorbe plus de la moitié des exportations suisses de services et de marchandises. C’est une bonne chose. D’un point de vue écologique, il faut limiter les transports inutiles. Cela implique de favoriser d’abord les marchés locaux, à l’échelle régionale et nationale puis, dans le cas des échanges internationaux, les marchés les plus proches de nos frontières. Notre pays est au cœur de l’Europe et il est logique que nos premiers partenaires commerciaux soient nos voisins.

Si nous perdions les accès privilégiés que nous avons obtenus vers le marché européen, nos entreprises se tourneraient vraisemblablement vers des marchés plus lointains. On assisterait alors probablement à un renforcement de la politique de libre-échange amorcée depuis quelques années par le Conseil fédéral. Cette politique implique non seulement des échanges commerciaux sur de très longues distances, mais aussi des concessions importantes en termes écologique et social, lorsque nous acceptons de faciliter l’importation de produits issus de pays où les réglementations environnementales et les conditions de travail sont très éloignés de nos standards. C’est une absurdité que nous devons éviter.

Continuer à participer au projet européen

Les arguments économiques sont certes importants, mais ils ne sont pas le seul enjeu de ce vote. En s’attaquant aux bilatérales, l’UDC remet en cause la voie que la Suisse a choisie depuis des années pour participer, à sa manière, au projet européen. A l’image des populistes du monde entier, l’UDC mise sur l’isolement, rejetant toute velléité d’échange, de dialogue ou de collaboration au niveau international. Elle le fait au mépris de la tradition d’ouverture de notre pays qui, ne serait-ce que du fait de sa petite taille et de sa situation géographique, a au contraire tout à gagner de relations saines avec ses voisins. Notre époque, marquée par les enjeux globaux, avec la crise sanitaire, la crise climatique, l’érosion de la biodiversité, la raréfaction des ressources, ou encore la numérisation, exige des réponses coordonnées entre les différents pays et un haut degré de coopération. La propagation de la pandémie nous l’a encore rappelé ces derniers mois. Dans un tel contexte, l’isolationnisme est absurde et suicidaire.

Apporter des réponses ciblées aux vrais problèmes

Évidemment, l’UDC va mettre en avant, dans le cadre de sa campagne, une série de problèmes qui sont bien réels, adoptant parfois la perspective du débat que nous avons mené jadis autour de l’initiative Ecopop. Encore une fois, ce n’est pas en nous isolant du monde que nous résoudrons les problèmes d’accès au logement ou de surcharge des transports qui touchent certaines régions, mais via des politiques du logement et des transports crédibles. Le dumping salarial, qui touche plusieurs cantons, doit également être pris au sérieux. Les accords bilatéraux sont à l’origine de progrès dans ce domaine, via les mesures d’accompagnement, qui permettent de contrôler les salaires et les conditions de travail. Selon les syndicats, une acceptation de l’initiative mettrait en danger ce dispositif de protection des salaires, qu’ils décrivent comme le plus important et le plus efficace de toute l’Europe. Si nous voulons améliorer encore la situation sur le front des salaires, c’est en renforçant l’application de ce dispositif dans les régions où des problèmes de dumping salarial persistent et non en le remettant brutalement en cause. La rupture de l’accès facilité de nos entreprises au marché européen aggraverait en outre davantage encore les difficultés économiques actuelles liées à la pandémie. Elle aurait des conséquences sociales funestes pour la population suisse. Personne n’aurait à y gagner.

Il est, dès lors aujourd’hui plus que jamais, clairement dans notre intérêt de refuser l’initiative contre les bilatérales.

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[1] La libre-circulation leur permet aujourd’hui de s’installer dans notre pays, mais sous certaines conditions seulement : ils doivent possèder un contrat de travail, être indépendants ou disposer de moyens financiers suffisants. Ils doivent aussi être couverts par une assurance maladie.