Loi sur le CO2 : quel impact sur le porte-monnaie ? Quel impact sur le climat ?

Le Conseil des Etats vient de terminer le traitement de la révision de la Loi sur le CO2. Alors que le Conseil national avait vidé de sa substance le projet du Conseil fédéral, qui était pourtant déjà largement insuffisant, le Conseil des Etats l’a amélioré en plusieurs points. Certaines des mesures suscitent cependant des inquiétudes de la part de la population : quel sera leur impact sur la situation financière des ménages ? D’autre part, la question se pose de savoir si les mesures prévues permettront vraiment d’atteindre les objectifs de l’accord de Paris et de répondre aux attentes des grévistes du climat.

Ce qui change avec le projet de loi

Dans le domaine du bâtiment, la taxe sur le CO2, qui existait déjà, pourra être augmentée jusqu’à 210 francs par tonne de CO2 (elle est actuellement à 96 francs la tonne de CO2). Depuis 2023, des prescriptions limiteront en outre la possibilité d’opter pour le mazout lors d’une rénovation du système de chauffage et empêcheront pratiquement de telles installations dans de nouvelles constructions. Dans le domaine de la mobilité, le système actuel (centime climatique), qui exige des importateurs de carburant qu’ils compensent une partie des émissions de CO2 générées par le trafic, sera renforcé. Une part plus importante de ces émissions devra être compensée. Le coût de ces compensations sera, comme c’est déjà le cas aujourd’hui, reporté sur le prix de l’essence, avec un plafond qui pourra aller jusqu’à 12 centimes. Par ailleurs, la Suisse reprendra les normes d’émissions de CO2 européennes imposées aux nouveaux véhicules mis sur le marché. En matière d’aviation, domaine pour lequel le Conseil fédéral n’avait prévu aucune mesure, le Conseil des Etats a validé une taxe sur les tickets d’avion de 30 à 120 francs. Enfin, le secteur financier est désormais cité dans la loi. La BNS et la FINMA devront mesurer les risques financiers liés au climat et en faire rapport au Conseil fédéral.

Quel sera l’impact sur le porte-monnaie ?

Des taxes ? Plutôt des systèmes de bonus-malus

Pour évaluer l’impact de ces mesures sur notre porte-monnaie, il faut comprendre le fonctionnement des taxes incitatives et tenir compte des prescriptions qui les accompagnent. Les taxes incitatives sont en réalité des systèmes de bonus-malus : leurs recettes, prélevées sur les comportements et les technologies polluantes, selon le principe du pollueur-payeur, retournent à la population et aux entreprises (c’est le bonus). Deux tiers des revenus de la taxe CO2 sur le mazout sont ainsi rétrocédés directement à la population (via une ristourne sur les factures d’assurances maladie de base) et aux entreprises (via les caisses de compensation AVS). Le tiers restant retourne également à la population et à l’économie, via des subventions qui incitent les propriétaires à isoler leurs bâtiments et à changer leurs systèmes de chauffage au profit des énergies renouvelables. Voilà pourquoi en Suisse, l’introduction de la taxe CO2 sur le mazout, en 2008, n’a pas suscité de manifestations : ce n’est pas un nouvel impôt, contrairement à la mesure qui a été proposée en France, et qui a généré le mouvement des gilets jaunes. Tout l’argent revient à la population et lui permet précisément d’accéder financièrement plus facilement aux alternatives propres.

La taxe sur l’aviation devrait fonctionner sur le même modèle. La moitié des recettes retournera directement à la population et ceux qui limitent leurs vols gagneront donc de l’argent. L’autre moitié des recettes ira à un fonds pour le climat et permettra de soutenir des mesures de réduction des émissions de CO2. Les Verts demandent que cet argent permette notamment de rendre le prix des trains de nuits plus abordable pour les voyageurs et d’augmenter l’offre dans ce domaine.

Avec des véhicules plus efficients, les automobilistes feront des économies

La question de la mobilité automobile est un peu plus complexe. En effet, la majorité conservatrice du parlement n’a jamais voulu entendre parler d’une taxe CO2 sur l’essence, dont les recettes seraient redistribuées aux particuliers et aux entreprises. Elle a au contraire imposé un système de compensations, dont les coûts sont répercutés sur le prix de l’essence. Ce que les automobilistes payent en plus sur l’essence ne retourne donc pas à la population, mais est investi dans des projets de compensations de CO2, qui ont lieu à 80 % à l’étranger. Cependant, les automobilistes ne doivent pas craindre la hausse annoncée du prix de l’essence liée à ces compensations. Elle s’accompagne en effet de prescriptions qui rendront les nouvelles voitures arrivant sur le marché beaucoup plus économes[1]. Si votre voiture consomme 30 % de moins d’essence, peu importe que cette essence coûte dix ou douze centimes de plus : vous êtes quand même gagnant.

La marge de manœuvre est énorme en Suisse. Les automobilistes achètent malheureusement des véhicules inefficients, qui consomment inutilement des quantités importantes d’essence. La moyenne des émissions des voitures nouvellement achetées en Suisse est la plus élevée d’Europe. Or il existe, pour chaque type de véhicule, des modèles bien plus efficients (voir l’écomobiliste: www.ecomobiliste.ch), qui vont se multiplier avec les nouvelles prescriptions. En choisissant de tels véhicules, les automobilistes feront des économies conséquentes. Par ailleurs, il est souvent possible d’échapper complètement à la hausse du prix de l’essence. Pour ceux qui le peuvent, prendre les transports publics[2]ou adopter la mobilité douce est la meilleure solution. Et pour ceux qui sont dépendants d’une voiture, l’achat d’une voiture électrique, dont l’offre va exploser dans les années qui viennent et les prix baisser, permet de s’émanciper complètement de l’essence et de bénéficier de coûts d’usage réduits[3]. Bref, des solutions existent, qui nous permettront à toutes et à tous de continuer à nous déplacer de manière plus écologique.

Quel sera l’impact sur le climat ?

Il faut saluer le travail du Conseil des Etats, dans la mesure où il a amélioré le projet initial du Conseil fédéral. Cependant, ce projet était gravement insuffisant et l’on part donc de loin. Malgré les améliorations apportées, la loi sur le CO2 n’est pas à la hauteur de l’urgence climatique.

Un objectif insuffisant et trop de compensations à l’étranger

L’objectif même inscrit dans la loi est insuffisant. En effet, la Suisse ne s’engage à réduire ses émissions de CO2 que de 50 % d’ici à 2030. Or, pour atteindre les objectifs de l’accord de Paris, il faudrait que nous réduisions nos émissions d’au moins 60 % dans un tel délai. Rappelons par ailleurs que les jeunes grévistes du climat demandent que nous nous fixions comme objectif la neutralité climatique en 2030 déjà. La Suisse peut et doit être ambitieuse, elle doit montrer la voie. Par ailleurs, non seulement l’objectif fixé est insuffisant, mais il ne doit en outre être réalisé en Suisse qu’à 60 %. Cela signifie, de facto, que la loi ne nous impose que 30 % de réduction des émissions de CO2 sur notre propre territoire. Le reste sera réalisé via des compensations à l’étranger, dont il est difficile de dire si l’impact, en termes de réduction des émissions de CO2, est effectif.

Une transition bien trop lente dans le bâtiment et en matière de mobilité

Par ailleurs, les mesures prévues dans le domaine du bâtiment et de la mobilité ne permettront pas une transition écologique assez rapide. Actuellement, seul 1 % du bâti est assaini par année. Cela signifie qu’à ce rythme, l’assainissement de l’ensemble des constructions existantes durerait un siècle. Certes, le Conseil des Etats permet au Conseil fédéral d’augmenter la taxe CO2 sur le mazout, mais cela ne sera pas suffisant. De même, les prescriptions imposées dès 2023 pour les rénovations permettront encore d’installer des chauffages à mazout dans les bâtiments bien isolés, de nouvelles installations qui vont continuer à émettre du CO2 durant vingt à trente ans. Avec de telles dispositions, il pourrait y avoir encore des chauffages à mazout en fonction en 2050 ! Le but de réduction des émissions de CO2 dans le domaine du bâtiment poursuivi selon la loi pour 2050 n’est d’ailleurs que de 80 %. Ceci n’est pas conforme aux objectifs de l’accord de Paris. Alors que des solutions de remplacement écologiques existent aujourd’hui déjà sur le marché, il ne devrait tout simplement plus être possible d’installer encore de nouveaux chauffages à mazout, que ce soit lors de rénovations comme pour de nouvelles constructions.

Dans le domaine de la mobilité, seuls 20 % des compensations prévues auront lieu en Suisse. La hausse du coût de l’essence aura ainsi relativement peu d’impact sur la transition écologique dans notre pays. Des prescriptions pour les nouvelles voitures arrivant sur le marché accompagnent certes ces compensations. Mais elles sont peu exigeantes. En effet, elles permettront encore que 60 % des nouvelles voitures mises sur le marché en 2030 soient des véhicules à essence. Or la durée de vie d’une voiture peut dépasser les dix ans. On est loin des mesures ambitieuses prises dans certains pays du Nord. La Norvège a notamment décidé de ne plus accepter de nouvelle voiture à moteur thermique sur son marché dès 2025. L’Irlande, l’Islande, la Hollande ou la Suède en feront de même dès 2030. Ces mesures donnent un signal clair au marché et aux collectivités publiques, qui doivent assumer la dynamique de la transition. A eux de fournir aux automobilistes des véhicules propres et une infrastructure de recharge ad hoc, alimentée aux énergies renouvelables (ainsi que des transports publics abordables et des infrastructures de mobilité douce pour les trajets qui s’y prêtent, bien sûr).

Il ne suffit pas de nommer la finance et de réaliser des rapports

Enfin, il faut saluer le fait que le Conseil des Etats ait intégré le secteur financier dans la loi. Celui-ci est formellement cité dans l’accord de Paris : les flux financiers doivent être rendus conformes à un développement à faible émission de carbone. La Suisse a une lourde responsabilité en la matière. L’entier de sa place financière génère plus de vingt fois autant d’émissions que toutes les activités réunies des entreprises et des particuliers de notre pays. Notre banque nationale investit encore dans les énergies fossiles, tout comme la plupart de nos caisses de pensions. Une analyse récente, effectuée sur la base d’un instrument d’évaluation climatique mis à disposition par la Confédération, a montré que les investissements actuels de ces dernières nous mènent à un réchauffement de quatre à six degrés.

La seule mesure concrète prévue dans la loi pour le secteur financier est l’obligation, pour la BNS et la FINMA, de rendre au Conseil fédéral des rapports sur les risques climatiques. En l’état, aucune transparence n’est assurée sur les impacts climatiques des investissements, alors que la France a par exemple déjà imposé des exigences en la matière et que cette mesure figure dans le plan d’action européen sur la finance durable. Aucun objectif de réduction des émissions n’est imposé à la branche. Cette inaction n’est pas à la hauteur de l’urgence climatique et, surtout, elle fait reposer l’entier de la responsabilité de la réduction des émissions de CO2 sur les épaules de la population et des entreprises de notre pays. Ce n’est pas correct. La justice climatique impose que tous les émetteurs de CO2, quels qu’ils soient, fassent leur part. Nous ne pouvons pas demander aux particuliers et aux PME de faire des efforts pour changer de comportement ou de technologies, alors que les acteurs financiers de notre pays continuent à investir ce qui est souvent notre argent ou celui de nos retraites, auprès des exploitants de charbon et de pétrole.

Dès lors, réjouissons-nous du fait que le Conseil des Etats ait fait quelques pas dans la bonne direction. Mais continuons à mettre la pression pour que notre pays adopte, finalement, des politiques publiques qui soient vraiment à la hauteur de la crise climatique.

Nous le pouvons dans la rue, nous le pouvons dans les urnes.

[1]A partir de 2021, les nouveaux véhicules ne devront plus émettre que 95g/CO2/km, alors qu’ils en émettent actuellement 134g/CO2/km, ne respectant même pas la norme actuellement en vigueur de 130g/CO2/km. La raison en est que les sanctions imposées aux importateurs ne sont pas assez élevées. La loi révisée va les augmenter progressivement, nous verrons si elle le fait suffisamment pour que les importateurs respectent enfin les normes qui leur sont imposées. Les automobilistes ont aussi leur responsabilité: ils doivent cesser de privilégier des véhicules inutilement lourds, puissants et polluants. Des prescriptions seraient d’ailleurs souhaitables en la matière, vu la gravité de la situation: il y a beaucoup trop de SUV sur nos routes.

[2]Il est regrettable à ce sujet que nous n’ayons pas de majorité pour instaurer une véritable taxe incitative dans le domaine de la mobilité. Plutôt que de servir à financer des projets de compensation à l’étranger, une partie des recettes prélevées sur l’essence pourrait être investie pour réduire le coût des transports publics. Les Verts s’engagent dans ce sens: taxe CO2 ou pas, les transports publics doivent être attractifs financièrement et en tous les cas plus avantageux que le trafic individuel motorisé.

[3]https://blogs.letemps.ch/adele-thorens/2017/08/16/pourquoi-il-faut-accelerer-la-transition-vers-lelectromobilite/