Loi sur le CO2: des alternatives pour assumer nos responsabilités

Nous devons assumer les conséquences de nos actes. C’est un principe fondamental en matière d’éthique et de responsabilité. Un principe libéral, que nous enseignons à nos enfants. Il imprègne aussi nos bases légales, garantes du bien-vivre ensemble : quand quelqu’un crée un dommage, à des biens ou à autrui, il y a des suites à supporter, en guise de réparation, souvent sous forme financière. Nos bases légales permettent cependant quelques nuances, en particulier lorsque l’on n’a pas voulu nuire, ou lorsque l’on n’avait pas le choix.

Pollueur-payeur : un principe de responsabilité

Dans le domaine environnemental, le fait d’assumer les conséquences de nos actes se traduit par le principe de causalité ou du pollueur-payeur. Il est inscrit au plus haut niveau, dans notre Constitution, à l’article 74 « Protection de l’environnement ». Selon cet article, la Confédération doit veiller à prévenir les atteintes à l’environnement et « les frais de prévention et de réparation sont à la charge de ceux qui les causent ».

C’est sur ce principe éthique et de responsabilité fondamental, conformément à notre Constitution, que se basent les instruments de la Loi sur le CO2 qui sont, paradoxalement, les plus contestés dans la campagne actuelle. Celui ou celle qui émet du CO2 et, ce faisant, porte atteinte aux bases naturelles de notre vie sur Terre, doit en assumer les conséquences. Il ou elle doit en assumer les frais de prévention et de réparation, dit précisément notre Constitution. C’est sa responsabilité, et non pas la responsabilité de celles et ceux qui agissent de manière à réduire leur impact, ni la responsabilité de nos enfants ou de nos petits-enfants, qui hériteront d’un climat hostile, du fait de ses actes.

Absence de volonté de nuire et possibilité d’agir

Cependant, il faut tenir compte de circonstances atténuantes. Elles sont importantes dans le domaine climatique. D’abord, dans la plupart des cas, celui ou celle qui émet du CO2 ne le fait pas sciemment, dans le désir de porter atteinte aux bases naturelles de notre vie sur Terre, mais pour des raisons très anodines. Il ou elle a acheté un gros 4×4 pour faire comme son voisin, cédant à la mode actuelle, et parce qu’il ou elle croit, comme les publicités le disent, que ces véhicules sont plus sûrs. Il ou elle l’utilise pour aller chercher ses enfants à l’école, parce que ça permet parfois de gagner du temps, et qu’on est souvent stressé. Et il ou elle prend l’avion plusieurs fois par année, parce que ce n’est pas cher, et parce que la plupart d’entre nous aime bien voyager. La maison qu’il ou elle a achetée, ou l’appartement qu’il ou elle loue, est chauffé au mazout. Il l’était déjà avant et, il n’y a pas si longtemps, on ne considérait pas cela comme un problème.

Par ailleurs, dans bien des cas, celui ou celle qui émet du CO2 n’a pas vraiment de marge de manœuvre. Il ou elle habite souvent dans un lieu mal desservi par les transports publics, où l’on ne facilite pas la vie à celles et ceux qui pourraient avoir envie de se déplacer en vélo ou à pied. Il ou elle a peut-être des proches qui habitent dans un pays qui n’est pas atteignable autrement qu’en avion, et son souhait de les voir régulièrement est tout à fait légitime. Enfin, il ou elle est souvent locataire de son appartement et ne peut donc pas prendre de décision concernant son système de chauffage, ou alors, il ou elle est limité par son budget, face au prix élevé d’un changement de système.

Ces exemples montrent qu’une application brutale et indifférenciée du principe du pollueur-payeur pourrait susciter un fort sentiment d’injustice et des réactions d’opposition. C’est précisément sur cette corde que jouent les opposants à la Loi sur le CO2, dans le but de faire passer leurs intérêts particuliers, en tant que lobby des énergies fossiles, avant l’intérêt général.

Pourtant, si l’on prend le temps de se pencher sur la loi et sur ses mécanismes, il apparaît qu’elle a su tenir compte de ces nuances, et qu’elle applique précisément le principe de causalité ou du pollueur-payeur de manière efficace, juste et équitable.

La loi facilite l’accès aux alternatives propres

Le but de la loi, conformément à l’accord de Paris, est très simple. Nous devons cesser d’émettre du CO2 en brûlant des énergies fossiles. Il s’agit donc de dissuader celui ou celle qui consomme des énergies fossiles de continuer à le faire. Pour cela, il ne sert pas à grand-chose de stigmatiser ou de punir. On ne brûle pas du CO2 dans l’idée de nuire à autrui, ni pour son plaisir. On le fait pour répondre à des besoins importants que nous avons toutes et tous, à savoir, principalement, se déplacer et se chauffer. Ce qui doit être visé, dès lors, c’est le changement de technologie et de comportement. Nous devons pouvoir continuer à nous déplacer et à nous chauffer, mais nous devons pouvoir le faire autrement, de manière à ce que ces activités ne génèrent pas d’émissions de CO2. La loi doit soutenir les solutions alternatives. Elle doit offrir à celles et ceux qui émettent du CO2 la possibilité de continuer à se déplacer et à se chauffer, mais de manière durable. Ce faisant, elle leur permet d’assumer les conséquences de leurs actes et d’agir de manière responsable.  On parle toujours de taxes dans cette campagne, plutôt que des mesures qui permettent d’y échapper, en offrant des telles alternatives. Pourtant, il y a beaucoup de ces mesures dans la loi.

Se déplacer et voyager de manière plus durable

Commençons par la mobilité. Certaines et certains d’entre nous ont besoin de se déplacer en voiture, pour toutes sortes de raisons. Ils n’ont pas vraiment le choix de faire autrement. Ils et elles ont cependant une marge de manœuvre dans le choix de leur véhicule, dont on change régulièrement en Suisse. La loi sur le CO2 va favoriser l’arrivée sur le marché de véhicules de plus en plus écologiques, puisque la moyenne des émissions des nouvelles voitures devra être réduite de moitié d’ici à 2030. Grâce à la loi, il sera donc de plus en plus facile de réduire ses émissions de CO2, puisque la prochaine voiture que vous achèterez consommera probablement moins d’essence, les véhicules à faible consommation étant par ailleurs, aujourd’hui déjà, en général plus avantageux à l’achat comme à l’usage. Or si votre voiture consomme la moitié moins d’essence, peu importe que le prix de cette dernière augmente de quelques centimes, votre budget sera de toute façon allégé.

De plus, la loi prévoit d’investir des moyens supplémentaires pour faciliter la transition vers l’électromobilité, notamment en développant l’infrastructure de recharge publique. La difficulté de recharger son véhicule chez soi, notamment quand on vit en appartement et qu’on est locataire, constitue actuellement un frein à l’achat d’une voiture électrique, que la loi devrait contribuer à lever. Avec la baisse régulière des prix des voitures électriques, qui sont en outre beaucoup plus avantageux à l’usage, et l’augmentation et la diversification de l’offre, le passage à la voiture électrique deviendra plus facile.

Pour ce qui est des voyages, la loi sur le CO2 permettra de développer l’offre des trains rapides et des trains de nuit et de les rendre plus attractifs, avec un investissement de 30 millions de francs par an. Pour de nombreuses destinations européennes, qui constituent 80 % des vols au départ de la Suisse, il n’existe actuellement pas d’alternative à l’aviation. Cela doit changer. Pour les vols intercontinentaux, par contre, les trains ne peuvent constituer un substitut. Il est nécessaire de trouver une solution technique en matière de carburants durables. Là aussi, la loi sur le CO2 mettra des moyens supplémentaires à disposition pour soutenir les recherches, déjà prometteuses, dans le domaine.

Plus de soutiens pour changer de chauffage

Changer de système de chauffage ou isoler un bâtiment coûte cher. C’est pourquoi un système de déductions fiscales et de subventions existe depuis des années déjà et permet de soutenir celles et ceux qui s’engagent dans ce sens. La loi sur le CO2 prolonge et renforce ces mécanismes. Lorsque les chaudières à mazout arrivent en fin de vie, il sera de plus en plus avantageux d’opter pour un système de chauffage durable. Au passage, notons que les systèmes de chauffage durables exigent certes un investissement de départ, mais sont souvent plus avantageux à l’usage. Il en est de même pour l’isolation des bâtiments, qui réduit les frais de chauffage, quel que soit le système choisi. Cela peut notamment constituer un gain pour les locataires et compenser une éventuelle augmentation de loyer liée à l’assainissement énergétique du logement. C’est pour cette raison que les associations de défense des locataires considèrent que la loi n’aura pas d’impact significatif sur les loyers.

La loi sur le CO2 permet ainsi d’investir dans les alternatives aux énergies fossiles et augmente notre marge de manœuvre pour des choix durables. Elle nous permet d’assumer plus facilement notre responsabilité envers les générations futures. Car la plupart d’entre nous souhaite s’engager dans ce sens, pour autant qu’on lui en donne les moyens.

Une redistribution avec un impact social

La loi sur le CO2 prévoit un autre mécanisme pour nous aider à réaliser la transition. Certes, voyager en avion coutera plus cher, quelques dizaines de francs par ticket, c’est une certitude, puisque la mesure est formellement imposée par la loi. Le prix de l’essence pourrait aussi augmenter de quelques centimes, si les importateurs d’essence le souhaitent, puisque c’est à eux de le décider. La loi ne fait que fixer un plafond maximum à cette hausse. Dans le cas de l’essence, il ne s’agit en effet pas d’une taxe prélevée par l’État, mais du financement de mesures de compensation, dont une partie des moyens sera réinvestie en Suisse. Actuellement, les importateurs ne ponctionnent dans ce but que 1,5 centimes sur le prix de l’essence, alors qu’ils pourraient en ponctionner 5. Cela montre qu’ils appliquent la loi avec modération. Le prix du mazout, qui est affecté par une taxe sur le CO2 depuis 2008, pourrait enfin augmenter, si la Suisse n’atteint pas ses objectifs de réduction des émissions dans le domaine du bâtiment. Dans tous les cas cependant, l’ensemble de ces prélèvements sera restitué à la population. Une partie sera investie dans les mesures de soutien aux alternatives durables citées plus haut dans ce texte. L’autre partie sera rétrocédée directement à la population via une ristourne sur les factures d’assurances maladie, comme cela se fait déjà depuis des années avec la taxe CO2 sur le mazout.

Cette redistribution permet de récompenser celles et ceux qui émettent peu ou pas de CO2. Les personnes qui émettent beaucoup de CO2 recevront également cet argent en retour, ce qui allégera un peu leur “facture climatique”, même si le bilan restera négatif. Pour celles et ceux qui émettent peu de CO2, ces versements compenseront les taxes et rendront la facture climatique neutre. Enfin, ceux qui changeront de comportement et de technologies seront financièrement gagnants [1].

Alors oui, il est vrai que ceux qui ne modifient pas leur comportement et refusent d’opter pour des technologies durables, malgré l’augmentation de marge de manœuvre offerte par la loi, devront payer une “facture climatique”. Mais est-ce vraiment si choquant ? Le fait qu’ils payent pour les conséquences de leurs actes est conforme au principe de responsabilité constitutionnel et libéral du pollueur-payeur. Franchement, serait-ce plus juste de faire payer le prix de leur impact climatique à l’ensemble de la collectivité, à ceux qui font des efforts pour assumer leurs responsabilités, voire à nos enfants et à nos petits-enfants ? Et combien devrons nous toutes et tous payer pour les dégâts liés à la crise climatique, si nous n’agissons pas aujourd’hui ? Depuis le rapport de l’économiste anglais Nicholas Stern, publié en 2006, on sait que les coûts de l’inaction sont considérablement plus élevés que ceux de la transition. Ce sont ces coûts-là que la loi sur le CO2 nous aide à épargner.

Les gros émetteurs de CO2 se trouvent en outre le plus souvent parmi celles et ceux qui ont les moyens de payer, à savoir des ménages à bons revenus. Ces ménages ont de plus grands logements que les ménages modestes, ce qui exige plus d’énergie pour le chauffage. Ils peuvent s’offrir des véhicules plus puissants et plus lourds, qui sont aussi les plus polluants, et ils voyagent plus souvent et plus loin en avion. Ces ménages ont, du fait de leurs moyens plus élevés, aujourd’hui déjà une plus grande marge de manœuvre que les autres, en matière de changement de comportement et de technologie. Beaucoup d’entre eux pourraient se permettre d’être des pionniers de la durabilité. S’ils décident de ne pas exploiter la marge de manœuvre dont ils bénéficient, alors il est normal qu’ils payent pour les conséquences, défavorables pour toutes et tous, de leurs actes. Ils créent plus de dégâts que les autres, alors qu’ils auraient, plus que les autres, les moyens de faire autrement. Pourquoi les autres devraient-ils payer à leur place ?

L’argent que ces ménages fortement émetteurs de CO2 verseront par le biais des taxes climatiques et de la hausse du prix de l’essence servira à rendre les alternatives durables plus abordables pour celles et ceux qui souhaitent s’en emparer, et à amoindrir l’impact des taxes sur le budget des autres ménages, qui disposent d’une marge de manœuvre plus faible que la leur, grâce au mécanisme de redistribution. C’est tout l’effet vertueux du système : ceux qui polluent sont amenés à soutenir les ménages de bonne volonté, qui ont souvent moins de moyens et de possibilités d’agir, dans la transition.

Les régions périphériques ne seront pas perdantes

On entend souvent des reproches concernant l’impact de la Loi sur le CO2 sur les régions périphériques. Ils sont erronés. Tout d’abord, les régions périphériques, qui sont en général des régions de montagnes en Suisse, sont particulièrement touchées par les impacts du changement climatique, parce que ces impacts menacent leurs activités économiques (tourisme, agriculture) et parce qu’elles sont plus exposées aux catastrophes naturelles (glissements de terrain, inondations). Or la loi sur le CO2 prévoit des soutiens supplémentaires à leur égard, qui devraient leur permettre de prendre des mesures de protection et d’adaptation face au changement climatique. C’est pour cette raison que le Groupement suisse pour les régions de montagne, tout comme l’Union suisse des paysans, défendent la loi.

Par ailleurs, les zones rurales sont d’ores et déjà plus avancées que les zones urbaines dans le domaine du chauffage durable. Dans le canton du Valais, 53 % des ménages n’utilisent plus de mazout pour se chauffer, alors qu’ils ne sont que de 13 % dans le canton de Genève. Les ménages ruraux seront donc en moyenne moins impactés par une hausse de la taxe CO2 sur le mazout, puisque nombre d’entre eux s’en sont déjà émancipés. Une partie de ces ménages sera même financièrement gagnante grâce à cela, avec la redistribution des recettes des taxes. Enfin, les personnes vivant dans les zones rurales prennent moins souvent l’avion que celles qui vivent en ville. Ces dernières prennent en moyenne l’avion chaque année, alors que les ménages des zones périphériques ne le font qu’une fois tous les deux ans, et volent aussi moins loin. De ce point de vue aussi, de nombreux habitants des zones rurales devraient être gagnants. Reste la question de la voiture. Il est clair que dans les zones périphériques, on en est plus dépendant. Cependant, avec le plus grand choix de véhicules à faibles émissions, voire n’émettant plus du tout de CO2, que permettra la loi, les personnes qui doivent se déplacer en voiture auront la possibilité d’éviter d’être trop affectés par une hausse du prix de l’essence, en en consommant beaucoup moins, voire plus du tout.

Il est encore temps d’assumer nos responsabilités

Nous devons réduire nos émissions de CO2 et cesser de brûler des énergies fossiles, pour respecter l’accord de Paris. C’est notre responsabilité à toutes et à tous. Peut-être n’y a-t-il jamais eu, dans l’histoire de l’humanité, de responsabilité aussi lourde, car si nous n’agissons pas, nos enfants et nos petits-enfants verront leurs conditions de vie gravement remises en question. Heureusement, nous pouvons agir. Chacune et chacun d’entre nous peut s’engager pour réduire ses émissions de CO2. Nous sommes capables d’assumer les conséquences de nos actes et de prendre des décisions responsables. La loi sur le CO2 contribue à nous en donner les moyens, de façon efficace, juste et équitable. Saisissons cette chance. Il n’est pas trop tard.

Note: je me suis limitée dans cet article de blog aux domaines et mesures qui sont les plus débattus dans le cadre de la campagne. Si vous souhaitez avoir une vision d’ensemble de la loi, vous pouvez consulter cet autre article, que j’ai publié à l’issue du vote final au parlement: https://blogs.letemps.ch/adele-thorens/2020/09/28/tout-ce-que-vous-devez-savoir-sur-la-loi-sur-le-co2/

[1] D’après les projections du Conseil fédéral, pour une famille moyenne de quatre personnes, qui roule 12’500 km/an avec une voiture consommant 6 litres/100 km, habite un logement de 128 m2 chauffé au mazout, avec une consommation annuelle de 8 l/m2, et prend l’avion une fois par année pour aller en Europe, le bilan sera, si elle ne change en rien de comportement et de technologie, un surcoût de 100 francs par an. Cette famille aurait évidemment la possibilité de réduire cette charge annuelle, voire de devenir gagnante, en adaptant son comportement ou en changeant de technologie. Elle pourrait par exemple prendre le train de nuit plutôt que l’avion une année sur deux, réduire l’utilisation de sa voiture ou, lorsqu’elle en changera, passer à l’électromobilité, ou encore faire des travaux pour mieux isoler sa maison, voire changer de chauffage.