La COP26 se termine sur un bilan frustrant, une fois de plus. Mais peut-être avons-nous trop d’attentes envers ces grands sommets internationaux. Ils jouent certes un rôle majeur, car ils nous rappellent l’importance du défi climatique, en le plaçant dans les gros titres de tous les journaux, et car ils permettent aux États de débattre des mécanismes internationaux indispensables à la coordination et à la juste répartition des efforts. C’est déjà beaucoup, mais ce n’est pas tout. La réduction de nos émissions de CO2 passe avant tout par des mesures politiques concrètes, prises dans les différents pays, et qui faciliteront d’innombrables décisions positives que nous pouvons prendre quotidiennement, comme acteurs publics ou économiques.
J’agirai quand les autres agiront
J’ai toujours été frappée par la manière dont les différents acteurs se renvoient la balle dès qu’il s’agit de prendre des décisions ou d’entreprendre des actions concrètes dans le domaine climatique. L’argument le plus souvent évoqué pour défendre l’inaction est de dire « d’autres personnes, d’autres secteurs ou d’autres pays émettent tout autant, voire plus de CO2 que moi. Ce n’est pas à moi d’agir en premier. Que les autres agissent déjà, ensuite, on verra ».
La Suisse n’échappe pas à la règle. Elle s’est activée durant tout le sommet pour conclure avec plusieurs pays en développement des conventions lui permettant de déléguer à d’autres ses responsabilités en matière de réduction d’émissions de CO2. En cherchant à compenser ses émissions hors de ses frontières, la Suisse attend précisément des autres qu’ils prennent d’abord des mesures à sa place, ce qui lui permet de justifier et de perpétuer son inaction. Or, au-delà du risque de comptabiliser deux fois une même réduction, cette démarche est absurde et contre-productive, pour plusieurs raisons.
Les compensations ne sont pas si attractives
Le système des compensations réalisées à l’étranger par des pays plus riches avait une certaine pertinence sous le régime du Protocole de Kyoto, parce qu’à l’époque, les pays en développement n’avaient pas d’objectifs de réduction pour leurs propres émissions. Il était donc utile que les pays riches réalisent des mesures de réduction des émissions sur leurs territoires. Ce n’est plus le cas maintenant : avec l’accord de Paris, tous les pays doivent faire leur part en se fixant des objectifs de réduction et en prenant des mesures sur leur propre territoire.
Comme tous les pays doivent maintenant prendre des mesures « chez eux » pour atteindre leurs propres objectifs, ils commencent bien naturellement par celles qui coûtent le moins cher et vont plutôt « céder », pour des compensations réalisées par d’autres pays, des projets de réduction moins avantageux. Il n’est donc plus si bon marché de compenser ses émissions ailleurs et cela deviendra probablement de plus en plus cher. C’est d’ailleurs en partie pour cela que le prix de l’essence devait augmenter dans le cadre de la loi sur le CO2 refusée par le peuple en juin dernier. Elle prévoyait en effet d’exiger des importateurs de carburant qu’ils financent de plus en plus de compensations pour les émissions de CO2 générées par le trafic. Or le coût de plus en plus élevé de ces compensations aurait été répercuté sur le prix de l’essence.
Du retard dans la modernisation de nos infrastructures
Le fait de trouver les compensations à l’étranger attractives relève en outre d’un autre préjugé, celui qui prétend que les mesures climatiques seraient mauvaises pour notre économie si on les réalisait dans nos frontières. C’est faux. L’argent que l’on investit dans des mesures à l’étranger n’est par définition pas investi dans la modernisation de nos propres infrastructures et nous prive ainsi des avantages générés sur place. L’assainissement énergétique des bâtiments créé en effet des emplois et de la plus-value en Suisse, tout comme le développement des énergies renouvelables, des infrastructures de transport public, des systèmes de recharges électriques, ou encore la modernisation des outils de production dans nos entreprises. La transition écologique de notre économie constitue un avantage pour notre pays et non un fardeau qu’il faudrait transmettre à d’autres. Cela vaut la peine d’investir de l’argent, public et privé, pour la réaliser. En misant sur les compensations, nous prenons du retard dans notre pays.
Les compensations ne sont de toute façon qu’une manière de retarder le moment où nous serons contraints d’agir, y compris chez nous. L’accord de Paris implique que nous atteignons zéro émission nette en 2050. Cela signifie que l’on ne devra alors plus émettre du tout de CO2, où que ce soit, et que, si on en émet encore, il devra être non pas compensé ailleurs, mais retiré de l’atmosphère et stocké. Les technologies qui le permettent sont certes en développement mais, pour le moment, elles nécessitent de grandes quantités d’énergie et coûtent très cher. Nous avons donc tout avantage à ne pas remettre à demain ou à d’autres ce qu’il sera de notre responsabilité d’accomplir, tôt ou tard. Plus nous attendons, plus cela risque de nous coûter cher. Nous serons dans l’urgence et peut-être contraints de prendre des mesures drastiques. Ce n’est dans l’intérêt de personne.
Assumer nos propres responsabilités
Ceci dit, les pays développés ont une responsabilité globale particulière, dans la mesure où ils ont contribué, bien plus que les pays pauvres, à la crise climatique dont ces derniers sont les premiers à souffrir. De plus, en tant que pays développés, nous avons les moyens, financiers et techniques, de répondre à cette crise. Dès lors, il est clair que les pays développés doivent soutenir les pays en développement dans la réduction de leurs propres émissions, plutôt que de leur demander de pouvoir réaliser les leurs chez eux. Un fonds, qui devrait bénéficier de 100 milliards de dollars par an, a été créé à cet effet. Mais les pays développés, dont la Suisse, rechignent à l’alimenter en suffisance… Ce n’est pas ainsi que nous irons de l’avant. Plutôt que de jouer au petit jeu du « vas-y et j’irai ensuite », nous ferions mieux d’assumer dignement nos responsabilités, en faisant le travail que nous avons à faire chez nous, et en offrant un soutien adéquat aux pays moins favorisés afin qu’ils puissent, eux aussi, assumer leurs responsabilités chez eux. Chacun pourrait ainsi faire sa part, de manière correcte et équitable.
Il est regrettable que notre pays, qui aime tant se féliciter de ses performances en matière d’innovation, ne fasse pas preuve de plus de cohérence, d’ambition et de confiance. Au lieu de cela, la Suisse procrastine, en demandant aux autres d’avancer d’abord pour elle. « Sois le changement que tu veux voir dans le monde », disait Gandhi. La Suisse, et toutes celles et ceux qui attendent que d’autres commencent, avant de vouloir bouger eux-mêmes, devraient se souvenir de cet adage. La réduction de nos émissions est certes un immense défi, à la fois collectif et individuel, qui met à l’épreuve notre sens des responsabilités. Mais, à la fin de la journée, personne ne va le faire à notre place. Nous avons besoin de la contribution de toutes et tous, maintenant.