Tout ce que vous devez savoir sur la Loi sur le CO2

Avertissement : ce texte est beaucoup trop long pour un blog, mais j’ai voulu poser quelque part toutes les informations qui me semblent importantes à propos de la révision de la Loi sur le CO2. Le vote sur cet objet, en 2021, sera un enjeu fondamental pour notre avenir à toutes et tous. Il n’est pas trop tôt pour commencer le travail d’information qui sera indispensable dans le cadre de ces débats.

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A l’issue d’un processus parlementaire chaotique, la révision de la loi sur le CO2 a enfin abouti. Elle vise à définir les objectifs et instruments de la politique climatique suisse pour la période allant de 2022 (date prévue pour son entrée en vigueur) à 2030. Alors que l’UDC s’apprête à attaquer la loi en référendum, parce qu’ils la jugent trop radicale, des critiques sont aussi émises du côté des militants du climat, qui la considèrent à l’inverse comme insuffisante, au point de la remettre en cause. La question de son impact économique et social est également régulièrement posée. J’aimerais tenter d’expliquer ici ce que comprend vraiment ce texte et de répondre aux principales questions qu’il suscite.

Qu’apporte la révision de la Loi sur le CO2 ?

Les bases légales actuelles définissent la politique climatique de la Suisse entre 2012 et 2020. À ce stade, elles ne contiennent aucune référence à l’accord de Paris sur le climat, ni aucun objectif pour l’après 2020. Le premier mérite de la révision de la Loi sur le CO2 est ainsi d’inscrire dans nos bases légales l’objectif de l’accord de Paris, à savoir le fait de ne pas dépasser un réchauffement de plus de 2 degrés, idéalement même de se maintenir en dessous d’un réchauffement de 1,5 degré. Pour ce faire, la Suisse prévoit de réduire ses émissions de moitié d’ici 2030, en réalisant les trois quarts de cette réduction sur son propre territoire. L’objectif visé est la neutralité climatique d’ici à 2050.

La loi définit également les mesures à prendre pour atteindre ces objectifs. Pour la première fois, ces mesures recouvrent l’ensemble des domaines émetteurs de CO2 dans notre pays, à l’exception de l’agriculture, qui reste traitée dans le cadre de la politique agricole. Jusqu’ici, aucune mesure n’était prévue pour réduire l’impact climatique de l’aviation et du secteur financier. C’était une lacune importante. Par ailleurs, la loi prolonge, renforce et complète les mesures qui étaient déjà en vigueur jusqu’ici dans le domaine de la mobilité et du bâtiment.

Avancées en matière de mobilité :

Notre politique climatique est actuellement en échec dans le domaine de la mobilité, dont les émissions augmentent alors qu’elles devraient reculer. Il est dès lors particulièrement important d’agir dans ce secteur. Voici les principales mesures prévues par la révisiom de la loi (automobile, aviation, transports publics et rail) :

  • Les importateurs de carburant devront compenser une part de plus en plus importante des émissions liées à leurs importations (jusqu’à 90 %), ce qui va générer, conformément au principe constitutionnel du pollueur-payeur, une hausse du prix de l’essence de 10 à 12 centimes au maximum (12 centimes dès 2025). Une telle mesure existe déjà actuellement, mais à petite échelle, sous la forme du centime climatique. Une partie des compensations aura lieu en Suisse, à 20 % dès 2025, et une part d’entre elles devra encourager le passage à l’électromobilité sur la base d’énergies renouvelables.
  • La révision permet de reprendre les normes européennes qui limitent de manière de plus en plus stricte la moyenne des émissions de CO2 des nouveaux véhicules importés en Suisse. D’ici à 2030, ces véhicules devront réduire de moitié leurs émissions de CO2 par rapport à la situation actuelle, ce qui permettra d’offrir aux automobiliste un vaste choix de véhicules moins polluants et de consommer beaucoup moins d’essence. En cas de non-respect de ces moyennes d’émission, des amendes seront imposées aux importateurs d’automobiles, dont les recettes seront en partie utilisées pour financer des mesures favorables au climat et à l’adaptation au changement climatique.
  • Le remplacement des bus diesel par des modèles électriques sera aussi encouragé, dès 2025 pour les bus urbains et 2030 pour les bus interurbains.
  • La révision de la loi prévoit en outre d’investir 30 millions de francs par an pour promouvoir les trains de nuits et les trains rapides à destination des villes européennes, comme alternative aux trajets en avion.
  • Comme c’est le cas dans la plupart des pays qui nous entourent, une taxe sur les tickets d’avion de 30 à 120 francs sera désormais prélevée. Elle sera modulée en fonction de la longueur du trajet et de la classe du ticket. Les recettes de cette taxe seront, via le fonds pour le climat, à moitié redistribuées directement à la population (par le bais d’une ristourne sur la facture d’assurance maladie obligatoire) et aux entreprises (par le biais de la caisse de compensation AVS), et à moitié redistribuées de manière ciblée, entre autres pour financer les 30 millions de francs alloués chaque année aux trains rapides et de nuit.
  • Les vols en avion privés seront également taxés, avec des montant bien plus élevés allant de 500 à 3’000 francs par trajet.

Avancées dans le domaine du bâtiment :

Notre politique climatique a été plus fructueuse jusqu’ici en matière de bâtiment, un domaine où les cantons sont aussi très actifs. Les mesures prévues dans le domaine du bâtiment par la révision de la Loi sur le CO2 sont les suivantes :

  • Une taxe incitative est déjà prélevée actuellement sur le mazout. Si les objectifs intermédiaires de réduction des émissions de CO2 prévus ne sont pas atteints, elle pourra être augmentée de 120 à 210 CHF la tonne au maximum. Comme c’était déjà le cas jusqu’ici, deux tiers des recettes seront remboursées directement à la population (via une ristourne sur la facture d’assurance maladie obligatoire) et aux entreprises (via la caisse de compensation AVS). Le tiers restant sera, comme ajourd’hui déjà, redistribué de manière ciblée, en étant investi pour soutenir la transition énergétique dans le bâtiment (soutiens aux travaux d’isolation et au changement de système de chauffage). Cette procédure passera par le fonds pour le climat, comme pour les moyens issus de la taxe incitative sur l’aviation.
  • Des exigences lors des changements de système de chauffage (limite maximale de 20kg d’émissions de CO2 par m2 chauffés) vont être imposées progressivement dans les cantons (dernier délai dès 2026) et rendre vraiment difficile l’installation de nouveaux chauffages à mazout.

Avancées dans le secteur financier :

Enfin, pour la première fois, le secteur financier est cité dans la Loi sur le CO2 grâce à la révision. Alors que les investissements de notre banque centrale et de notre place financière représentent un impact sur le climat qui dépasse de loin celui du reste de nos émissions dans l’ensemble du pays, il est essentiel que des mesures soient enfin prises :

  • Dès l’entrée en vigueur de la révision de la loi, la BNS et la FINMA devront analyser et tenir compte des risques climatiques auxquels la place financière suisse est exposée dans le cadre de leurs tâches de surveillance et de garantie de la stabilité de la place financière suisse.
  • Elles devront en outre en faire rapport régulièrement au Conseil fédéral et rendre ce rapport public, ce qui permettra un suivi régulier de l’évolution de la prise en compte des risques climatiques par notre place financière.

Quel sera l’impact de la révision de la loi sur le CO2 d’un point de vue social ?

Evidemment, la politique climatique a un coût. On sait cependant depuis le rapport de l’économiste Nicholas Stern, datant de 2006 déjà, que le fait de ne pas agir pour réduire nos émissions implique des coûts bien plus importants que le fait de prendre des mesures efficaces et rapides en faveur du climat.

Par ailleurs, la révision de la loi tient compte des exigences sociales et d’équité, en particulier du fait de sa dimension incitative et des encouragements qu’elle offre pour rendre les alternatives écologiques plus abordables. Il faut en particulier tenir compte des points suivants :

  • Ce sont les pollueurs qui doivent supporter les coûts de la politique climatique, selon le principe du pollueur-payeur inscrit dans notre Constitution. La révision de la loi permet de mieux appliquer ce principe. Si l’on ne fait pas payer les pollueurs, c’est l’ensemble de la population qui passe à la caisse, y compris ceux qui font des efforts pour adapter leurs pratiques, ainsi que les générations à venir. Ce n’est ni correct, ni équitable. Ceux qui polluent doivent payer.
  • Il se trouve que ceux qui polluent le plus, et qui doivent donc payer le plus, ont les moyens de payer. En effet, plusieurs études montrent que même si le revenu n’est pas le seul paramètre définissant l’empreinte écologique, ce sont quand même les classes les plus aisées de la population qui émettent le plus de CO2 et qui ont le plus gros impact environnemental, via leurs modes de vie et habitudes de consommation.
  • La révision de la loi a un fort effet incitatif. Cela signifie qu’elle permet à ceux qui ne souhaitent pas payer les taxes de les éviter en changeant de comportement : le but n’est pas que l’Etat se remplisse les poches sur le dos de la population, mais que la population adapte ses pratiques de manière écologique, échappant ainsi au surcoût lié aux pratiques et technologies polluantes. Pour que ces adaptations des pratiques soient possibles, il faut que des alternatives existent et qu’elles soient accessibles pour la population. La révision de la loi va dans ce sens en encourageant financièrement l’assainissement énergétique des bâtiments, le passage à l’électromobilité ou les trains nuit.
  • Les recettes des taxes retournent intégralement à la population, que ce soit par le biais des mesures de soutien ou des subventions aux pratiques et technologies écologiques, ou par le biais des versements directs aux entreprises (via la caisse de compensation AVS) et à la population (via la ristourne sur les factures d’assurances maladie obligatoire).
  • Ce mécanisme de redistribution a pour effet que ceux qui adoptent des comportements et des pratiques responsables sont gagnants financièrement. Il fonctionne de facto comme un système de bonus-malus.

Quel sera l’impact social dans le domaine de l’aviation ?

  • Pour ce qui est de la taxe sur les billets d’avion, par exemple, une étude montre que les ménages les plus modestes en profiteront. En Suisse, la plupart des gens volent raisonnablement, seule une petite partie d’entre eux prend l’avion de manière vraiment excessive. 5 % des passager causent ainsi 30 % des dommages climatiques. Ceux qui volent le plus sont les personnes qui gagnent plus de 12’000 francs par mois. Les jeunes urbains ont aussi une responsabilité élevée. Par contre, les familles à bas et à moyen revenu voyagent beaucoup moins en avion, ainsi que les personnes vivant dans les zones périphériques.
  • Dès lors, 60% de la population, et en particulier les familles les moins aisées, vont gagner de l’argent grâce au système de redistribution de la taxe. Si l’on compte l’impact des personnes étrangères qui payeront la taxe (les touristes qui rentrent chez eux et les vols d’affaire sur le retour) et qui ne recevront pas l’argent de la redistribution en retour, ce sont même 90 % de la population qui vont y gagner. Ceux qui en bénéficieront le plus sont les personnes avec un salaire de moins de 4000 francs (bilan positif pour 98 % de ces personnes). Le bilan sera par contre négatif pour 74 % des personnes gagnant plus de 12’000 francs par mois.[1]

Quel sera l’impact social dans le domaine automobile ?

  • En ce qui concerne les automobilistes, il n’y a pas de redistribution dans la mesure où la hausse du prix de l’essence est liée aux coûts des compensations d’un pourcentage de plus en plus élevé des importations de carburants et non à une taxe incitative. Cependant, l’impact sur le porte-monnaie de cette hausse progressive du prix de l’essence sera compensée par la réduction de la consommation d’essence des véhicules, due à l’application des nouvelles prescriptions européennes (réduction de 130g/CO2/km à 60g/CO2/km). En effet, ceux-ci consommeront en moyenne la moitié moins d’essence d’ici à 2030 (et une bonne partie du parc automobile plus d’essence du tout, mais de l’électricité, les voitures électriques étant par ailleurs bien plus avantageuses au km parcouru).[2]
  • Actuellement, le potentiel de réduction des dépenses liées à l’essence par les automobilistes suisses est déjà considérable. Les nouvelles voitures immatriculées dans notre pays sont en moyenne parmi les plus polluantes et les plus consommatrices d’essence d’Europe[3], ce qui laisse penser que les consommateurs suisses ne considèrent pas les dépenses liées à l’achat d’essence comme décisives pour leur budget. Les voitures consommant moins d’essence sont d’ailleurs également moins chères à l’achat. La marge de manœuvre de ceux qui considèrent que leur budget « essence » est aujourd’hui déjà trop lourd est donc importante et accessible également aux ménages disposant de moyens plus modestes.
  • Ces considérations valent évidemment pour les trajets qui doivent être réalisés en voiture, notamment parce qu’ils ne sont pas bien desservis par les transports publics. Ces derniers peuvent paraître onéreux lorsque l’on considère le prix d’un billet de train. Cependant, si l’on compare le coût d’un abonnement général à celui d’un véhicule à l’année, la solution des transports publics est souvent meilleur marché. Elle peut être complétée par un budget pour de l’auto-partage lorsque l’usage de la voiture est par moment nécessaire.
  • Enfin, les politiques post-confinement qui sont actuellement mises en place en matière de mobilité douce vont rendre les déplacements à vélo plus sûrs. Le nouvel article constitutionnel sur les infrastructures cyclistes va dans le même sens. Comme 60 % des déplacements en Suisse ont lieu sur une distance de moins de 5 kilomètres, le potentiel d’utilisation du vélo, qui représente évidemment un coût bien inférieur à la voiture, est très important.
  • Bref, même avec une hausse du prix de l’essence – qui restera d’ailleurs raisonnable par rapport aux fluctuations des prix auxquelles les automobilistes sont usuellement soumis – il sera toujours possible de se déplacer de manière à la fois écologique et abordable, que ce soit en modifiant son comportement ou en choisissant un véhicule plus économique.

Quel sera l’impact social dans le domaine du bâtiment ?

  • Pour ce qui est du chauffage, la hausse de la taxe sur le mazout devrait être compensées par les mesures d’isolation des bâtiments (voire abolie en cas de changement de système de chauffage), soutenues par un tiers des recettes de la taxe. En effet, ces mesures vont réduire la consommation de mazout nécessaire pour assurer le même niveau de confort en matière de chaleur.
  • Les nouveaux bâtiments n’utiliseront en outre plus du tout de mazout (c’est déjà largement le cas) et, lorsque les chaudières actuellement en service seront parvenues en fin de vie, les propriétaires devront les remplacer par des chauffages ne consommant plus de mazout, qui sont aussi plus avantageux pour les locataires à l’usage.
  • Actuellement, la plupart des logements sont enfin surchauffés. Des économies d’énergies et d’argent pourraient aussi être réalisées de ce point de vue.

Quel serait le résultat d’un refus de la Loi sur le CO2 ?

Certains militants du climat sont tentés de refuser la Loi sur le CO2, considérant qu’elle ne va pas assez loin. S’il est vrai qu’elle est insuffisante et devra être complétée, un refus ne représenterait cependant pas un progrès. Ce serait au contraire un bel auto-goal, pour les raisons suivantes :

  • La loi actuelle couvre la période allant de 2013 à 2020, qui suit celle qui était auparavant couverte par le Protocole de Kyoto. La révision de la loi permet de fixer un objectif pour 2030 et de prendre les mesures nécessaires pour les atteindre. Tant cet objectif que ces mesures seraient jetées à la poubelle en cas de rejet de la révision de la loi.
  • Si la révision était rejetée, il faudrait recommencer complètement ce processus, sur la base d’une interprétation des résultats du vote. Dans l’intervalle, il faudrait prolonger la loi actuelle, encore bien plus insuffisante que la loi révisée, de plusieurs années.
  • Le processus législatif prendrait à nouveau plusieurs années et rien ne garantit que le résultat ne serait pas à nouveau attaqué en référendum. Cela signifie un retard important pour la politique climatique suisse, alors que nous sommes dans une situation d’urgence climatique et qu’il est vital de prendre des mesures très rapidement.
  • Dans l’intervalle, la loi actuelle ne permettrait pas de prendre des mesures dans le domaine de la finance ou de l’aviation, alors que ces domaines sont centraux pour la réduction de nos émissions et pour la justice climatique. Les prescriptions dans le domaine de la mobilité (nouvelles voitures moins polluantes) ainsi que dans le domaine du bâtiment (barrage à l’installation de nouvelles centrales à mazout), ne seraient plus applicables. Les soutiens à la transition vers l’électromobilité ainsi qu’aux trains de nuit ne pourraient plus se faire. Le seul domaine où nous aurions une marge de manœuvre (mais moindre), serait éventuellement de réhausser la taxe CO2 sur le mazout.
  • Outre le retard dans la mise en œuvre de mesures efficaces, rien ne garantit qu’une nouvelle révision de la loi serait plus progressiste, bien au contraire. Les résultats du vote seront interprétés sur la base des arguments qui seront majoritairement échangés pendant la campagne. Le référendum sera mené par l’UDC, dont l’objectif est non pas d’obtenir plus de politique climatique, mais d’en avoir beaucoup moins, indépendamment des instruments. C’est ce qui restera du vote.
  • La majorité de droite du parlement profitera dès lors de la situation pour proposer une nouvelle version au rabais de la loi. Plusieurs mesures n’ont pu passer la rampe que de justesse et qu’au prix d’efforts considérables des milieux progressistes, partis politiques, associations environnementales et scientifiques, travaillant depuis des années main dans la main. Ce serait un gâchis considérable.
  • Nous avons au contraire besoin d’obtenir un bon résultat devant le peuple pour pouvoir aller vers les étapes suivantes. Un bon résultat nous renforcera face à la majorité de droite et nous permettra de venir avec des mesures supplémentaires avec des chances optimales de les faire passer. Dans l’intervalle, les mesures prévues par la révision, qui constituent déjà indiscutablement un pas en avant, pourront déjà être mises en œuvre et amorceront la transition.
  • Enfin, contrairement à ce que pensent certains, l’accord de Paris n’est pas contraignant, si ce n’est dans le sens où il engage ses signataires à se fixer des objectifs allant dans le sens de la neutralité climatique en 2050, à définir des mesures pour les atteindre et à en informer régulièrement les autres signataires. Si un pays ne suit pas correctement cette procédure, le fait en retard, se fixe des objectifs insuffisants, ne prend pas des mesures adaptées pour les atteindre ou n’informe pas correctement les autres signataires, il n’y a pas de sanction. Il ne faut donc pas attendre des miracles qui viendraient de l’exérieur et changeraient soudainement la donne dans le sens d’objectifs plus élevés ou de mesures plus efficaces. Nous ne pouvons compter que sur notre propre engagement et sur nos propres processus décisionnels et démocratiques.
  • En un mot comme en cent, ce n’est pas en refusant de faire le premier pas que nous avancerons plus vite. Faisons au contraire ce premier pas de manière ferme, rapide et décidée, et continuons ensemble jusqu’à ce que nous ayons atteint notre but.

Quelles prochaines étapes seraient souhaitables ?

La révision aujourd’hui sous toit reste insuffisante à nos yeux. Voici quelques pistes non-exhaustives pour des mesures supplémentaires, dont nous devons commencer à parler dès aujourd’hui :

Une politique alimentaire pour le climat :

  • La politique agricole peut et doit contribuer aux atteintes des objectifs climatiques. Pour ce faire, il faut qu’elle évolue vers une politique alimentaire, incluant toutes les étapes de la chaîne de valeur, jusqu’à la consommation, ainsi que les importations.
  • Notre surconsommation de produits carnés constitue un problème important de santé publique, implique des maltraitances animales et a un impact inacceptable sur le climat. Depuis quelques années, cette consommation amorce un virage à la baisse, mais il y a encore beaucoup à faire. Le Conseil fédéral reconnaît ce problème et le considère notamment dans sa Stratégie suisse de nutrition 2017-2024[4]. Cependant, la Confédération dépense encore chaque année plusieurs millions de francs pour soutenir la promotion de la consommation de viande. Des mesures ciblées encourageant une consommation locale, de saison, écologique, mais aussi moins carnée, devraient au contraire être prises. Actuellement, nos instruments de politique agricole soutiennent en outre beaucoup plus fortement la production animale que la production végétale. Un rééquilibrage devrait avoir lieu à ce niveau également. Une production plus végétale permettrait en outre de renforcer le taux d’auto-approvisionnement alimentaire de notre pays, puisqu’elle est plus efficiente : actuellement, la moitié des terres arables de notre pays est vouée au fourrage, c’est-à-dire à de la nourriture pour animaux plutôt que pour les êtres humains. Et nous importons encore en quantité des aliments pour nourrir les porcs et les volailles que nous consommons. Ce n’est ni rationnel, ni écologique.
  • La politique agricole devrait aussi inclure une réflexion sur les échanges internationaux dans le domaine alimentaire. La politique de libre-échange actuelle favorise les transports absurdes de marchandises et en particulier de produits agricoles, souvent issus de modes de production qui ne correspondent pas à nos standards écologiques et sociaux. A l’avenir, il faudrait favoriser beaucoup plus les marchés régionaux et cesser de traiter les produits agricoles comme des monnaies d’échange pour nos exportations. Des exigences écologiques et sociales crédibles devraient en outre être imposées aux produits que nous continuons à importer.

Exclure les nouvelles voitures émettrices de CO2 et encourager le partage :

  • Dans le domaine de la mobilité automobile, les mesures prises jusqu’ici n’ont jamais permis d’atteindre les objectifs climatiques que nous nous étions fixés.[5]
  • Les moyennes d’émissions de CO2 telles que prévues ont en outre un effet pervers : chaque voiture émettant pas ou peu de CO2 permet aux importateurs d’importer des SUV hautement polluants. Nous devons agir dans ce domaine comme nous l’avons fait dans le domaine énergétique en matière de sortie du nucléaire : à partir d’une date donnée, on n’accepte plus de nouvelle installation polluante. La Stratégie énergétique 2050 a ainsi interdit la construction de nouvelles centrales nucléaires dans notre pays. De nombreux pays ont d’ores et déjà adopté cet instrument en annonçant une date à partir de laquelle les nouvelles voitures immatriculées ne pourront plus émettre de CO2. Les plus ambitieux, à l’image de la Norvège, ont choisi de fixer ce délai à 2025. Beaucoup d’autres, comme l’Islande, l’Irlande ou la Hollande, ont choisi de fixer ce délai à 2030. Cette méthode simple et claire offre des résultats plus sûrs que des moyennes d’émissions (qui n’ont jusqu’ici pas été respectées, notamment du fait de sanctions insuffisantes) ou que des taxes incitatives, dont l’impact sur les comportements reste incertain (comme le montre la situation actuelle, le choix des véhicules dépend tout autant voire plus d’effets de mode que du prix de l’essence). En fixant un tel délai, on sait qu’à l’issue de la durée de vie des véhicules encore en fonction (moins d’une dizaine d’années), la flotte sera assainie, puisque les nouveaux véhicules arrivant sur le marché ne sont désormais plus émetteurs de CO2. De plus, une telle mesure repose sur l’engagement des producteurs et importateurs de véhicules et encourage l’innovation. Les taxes incitatives ciblent, elles, le porte-monnaie de l’automobiliste, ce qui peut poser des problèmes d’acceptation au sein de la population.
  • S’il est important de favoriser le remplacement des voitures à essence par des voitures à zéro-émission de CO2, il n’en reste pas moins qu’il est toujours plus écologique de prendre les transports publics ou de se déplacer à vélo ou à pied. Les infrastructures pour le vélo et la marche à pied devraient être grandement améliorées dans les années à venir, en particulier dans les agglomérations, notamment dans le cadre de la mise en œuvre du nouvel article constitutionnel sur le vélo. La Suisse dispose par ailleurs déjà de transports publics très performants, mais ils pourraient être encore améliorés dans certaines régions et rendus plus abordables.
  • La frontière entre transports individuels et en commun pourrait par ailleurs devenir plus floue à l’avenir, avec la généralisation de flottes de véhicules à zéro-émission de CO2 accessibles en partage. Ceci permettrait à toutes et à tous de profiter de prestations élevées en matière de mobilité et d’autonomie, à un prix bien plus accessible et en ménageant les ressources. Ces véhicules en partage seront peut-être un jour automatisés.

Favoriser l’innovation et un assainissement accéléré des bâtiments :

  • Les mesures actuelles dans le domaine du bâtiment, en particulier la taxe CO2 sur le mazout et le programme bâtiments qui réinvestit ses recettes dans l’isolation et le changement de systèmes de chauffage, fonctionnent plutôt bien. Cependant, le rythme d’assainissement du bâti existant est beaucoup trop lent. Avec un pour-cent du parc immobilier assaini par année, il faudra un siècle pour achever la transition. La révision de la Loi sur le CO2 va accélérer ce processus, mais probablement pas assez. Des objectifs quantitatifs en matière d’assainissement devraient être fixés et les moyens nécessaires investis, afin d’adopter un rythme beaucoup plus rapide. Cela aurait d’ailleurs l’avantage de générer encore plus d’emploi et de plus-value localement ancrés.
  • Par ailleurs, les prescriptions actuelles pour les nouveaux bâtiments devraient être considérablement renforcées. Aujourd’hui, on est capable de construire des bâtiments qui produisent de l’énergie plutôt qu’ils n’en consomment. Les prescriptions devraient être adaptées à un rythme bien plus élevé à ce type d’innovation.

Des objectifs contraignants et plus de transparence pour la place financière :

  • Les mesures prévues dans la révision de la Loi sur le CO2 en matière de finance sont un premier pas encore très modeste. La prise en compte des risques climatiques par l’ensemble des acteurs financiers doit être rapidement généralisée.
  • Pour la compléter, il faut imposer à ce secteur des objectifs contraignants de réduction des émissions de CO2. Peu importe la manière dont ces objectifs seront atteints : il est possible de désinvestir des entreprises fossiles, d’investir de manière ciblée dans les entreprises innovantes et responsables, ou encore de s’engager auprès des entreprises dont on exige un changement de cap. L’essentiel est qu’à terme, notre place financière devienne un levier de la transition écologique, plutôt qu’un appui pour un monde fossile révolu.
  • Par ailleurs, pour que cette transition soit possible, il est impératif d’instaurer plus de transparence sur l’ impact climatique tant des entreprises que des acteurs financiers.

Une transition rapide vers plus d’efficience et les énergies renouvelables :

  • Les mesures de politique climatique s’orientent, d’une part, vers plus d’efficience énergétique (par exemple lors de l’isolation des bâtiments) et, d’autre part, vers le passage de l’utilisation d’énergies fossiles à l’utilisation d’énergies renouvelables (par exemple lors du changement de système de chauffage).
  • Il est essentiel de ne pas négliger les économies d’énergie et l’efficience dans ce processus, que ce soit d’un point de vue écologique ou économique. On a par exemple tendance à vouloir remplacer chaque voiture à essence par une voiture électrique, voire chaque SUV à essence par un SUV électrique. Ce n’est pas le plus rationnel ! Mieux vaut commencer par choisir le bon instrument pour le bon usage, par exemple le vélo ou la marche à pied pour de petits trajets en ville ou une voiture qui soit d’abord économique et d’un format adapté, si l’on n’a pas un bon service de transports pulics. Des mesures devraient être prises contre le gaspillage énergétique partout où cela est possible. Les SUV utilisés dans des contextes où ils ne sont pas nécessaires sont un excellent exemple d’aberration à rectifier.
  • Dans tous les cas cependant, notre consommation d’énergies fossiles, quelle qu’elle soit, va devoir être remplacée par des énergies renouvelables. Or plusieurs instruments de promotion de ces dernières vont échoir dans les années à venir, car ils ont été prévus pour une durée limitée dans le cadre de la Stratégie énergétique 2050. Il est dès lors urgent de les prolonger et de les renforcer, car là aussi, le rythme de développement actuel est trop lent. Nous avons besoin de produire beaucoup plus d’énergie renouvelable, et vite. Le potentiel du solaire est notamment gravement sous-exploité. Corriger ces lacunes sera la tâche du parlement dans le cadre de la révision de la Loi sur l’énergie, qui va débuter en 2021. Comme les mesures d’efficience dans le bâtiment, une telle offensive en faveur des énergies renouvelables aura un effet positif sur l’emploi comme sur notre économie.

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[1] Ces chiffres sont issus d’une étude Sotomo, intitulée Grundlagenstudie Flugticketabgabe Schweiz, sortie en mars 2020 et dont le Tages Anzeiger a notamment rendu compte dans son édition du 5 juin 2020.

[2] Sur les avantages de l’électromobilité, voir mon blog : https://blogs.letemps.ch/adele-thorens/2017/08/16/pourquoi-il-faut-accelerer-la-transition-vers-lelectromobilite/. Depuis sa publication, plusieurs nouvelles études sont venues confirmer le fait que l’impact global de ces véhicules est moindre par rapport à celui des véhicules à essence, même avec le mix énergétique suisse actuel (il n’en reste pas moins que quand on en a le choix, il vaut toujours mieux se déplacer en transports publics ou en mobilité douce). Par ailleurs des entreprises suisses, à l’image de Batrec, dans l’Oberland bernois, se positionnent actuellement sur le recyclage des batteries avec succès, ce qui est un enjeu important.

[3] Un véhicule sur deux nouvellement immatriculé en Suisse est un SUV, des véhicules particulièrement énergivores. Ces véhicules sont très présents en plaine et dans les agglomérations et ne répondent donc pas tous, loin s’en faut, à des contraintes de type topographique. Ils répondent plutôt à un effet de mode.

[4] https://www.blv.admin.ch/blv/fr/home/das-blv/strategien/schweizer-ernaehrungsstrategie.html Selon l’état des lieux décrit par la Stratégie suisse de nutrition, nous consommons trois fois trop de viande.

[5] https://blogs.letemps.ch/adele-thorens/2017/06/27/pourquoi-notre-politique-climatique-est-un-echec-en-matiere-de-mobilite/