TTIP, Axpo, VW : l’Etat garant des mauvais investissements d’entreprises irresponsables ?

Il existe un point commun entre Axpo et les défenseurs du partenariat transatlantique sur le commerce et l’investissement entre l’Europe et les Etats-Unis (TTIP). C’est celui de considérer que l’Etat doit non seulement renoncer à toute mesures risquant de freiner les bénéfices des entreprises mais, plus encore, que celles-ci sont légitimées à attaquer les collectivités publiques si des régulations venaient à limiter leurs gains. L’Etat serait ainsi chargé d’une nouvelle tâche, celle de se porter garant des résultats des investissements – y compris les plus hasardeux – des entreprises, au détriment de régulations issues de processus démocratiques, visant le plus souvent à protéger la population ou l’environnement.

 

Ce principe constitue le fondement du TTIP, actuellement négocié entre l’Europe et les Etats-Unis. Ce partenariat vise un affaiblissement des régulations liées aux standards de qualité, écologiques et sociaux européens, considérés non pas comme le résultat de l’usage légitime de droits démocratiques, mais comme de purs et simples « obstacles » pour les entreprises. Il inclut en particulier un mécanisme de règlement des différends qui permettrait aux investisseurs de poursuivre un Etat dont une régulation lui serait défavorable. Ce faisant, il remet en cause la capacité des collectivités publiques de légiférer démocratiquement pour protéger leur population contre des atteintes écologiques, sanitaires ou sociales. Le domaine alimentaire est particulièrement visé avec, à la clé, l’accès au marché européen de produits agro-industriels comme le poulet au chlore.

 

Axpo est sur la même ligne lorsqu’elle menace la Confédération d’exiger des milliards de dédommagements en cas de fermeture, pour des raisons de sécurité, de la centrale nucléaire de Beznau, dont la cuve de l’un des réacteurs est affaiblie par près d’un milliers de trous. Ce faisant, Axpo conteste à la Confédération le droit de prendre des décisions pour protéger la population suisse face à un risque élevé d’accident nucléaire. Elle se comporte en outre comme si la Confédération avait pour devoir de maintenir des conditions-cadre lui permettant de faire des bénéfices ad aeternam. D’une certaine manière, cela a effectivement été le cas jusqu’ici puisque, selon la législation actuelle, ce sont les contribuables qui devront financer une partie du démantèlement des centrales nucléaires, ainsi que la gestion de leurs déchets sur des milliers d’années. Ce sont aussi les contribuables qui assumeraient les coûts démesurés d’un accident nucléaire, puisque nos centrales ne sont pas suffisamment assurées. Mais, en plus du beurre et de l’argent du beurre, Axpo veut encore le sourire de la crémière ! L’entreprise qui vient d’investir, plutôt que dans les énergies de demain, 700 millions de francs dans ce qu’il faut bien qualifier de vieille passoire, considère que c’est à la Confédération d’assumer les suites financières de ce choix absurde.

 

Un autre scandale, celui de VW, vient encore à l’esprit. Cette entreprise rejette également les régulations étatiques, mais de manière plus sournoise, puisqu’elle a choisi tout simplement de tricher. Plutôt que d’investir dans des technologies propres, VW a préféré continuer à miser sur un moteur polluant et dangereux en développant, en lieu et place d’alternatives, un système permettant de contourner les prescriptions légales visant à préserver la santé publique.

 

Il est temps de rappeler à ces entreprises que nous sommes dans une économie de marché et qu’elles doivent en accepter les règles. L’Etat n’a en particulier pas à assumer les suites de leurs mauvais investissements. Or, précisément, continuer à investir dans des technologies ou des produits polluants ou dangereux – que ce soit dans le domaine de l’industrie agro-alimentaire, du nucléaire ou des moteurs – alors que des alternatives propres existent, est une aberration dont leurs dirigeants doivent porter seuls la responsabilité.   

 

Il est aussi temps de réaffirmer le droit légitime des collectivités publiques de prendre démocratiquement des mesures pour protéger leur population et l’environnement d’atteintes parfaitement évitables[1]. Evidemment, le fait que ces collectivités publiques légifèrent induit des changements sur le marché. Les entreprises intelligentes s’en mettent à l’abri en assumant d’elles-mêmes leur responsabilité sociale et environnementale et en investissant dans des technologies propres. Elles n’ont ainsi pas de problème, mais sont au contraire favorisées lorsque les Etats adoptent des régulations sociales ou écologiques, parce qu’elles ont su les anticiper. Ce sont de telles entreprises qui feront l’avenir de notre pays – notamment dans les domaines alimentaire, énergétique ou de la mobilité – et certainement pas celles qui ont le toupet de venir aujourd’hui remettre en cause les processus démocratiques ou exiger des dédommagements de l’Etat, alors qu’elles sont seules responsables de leurs mauvaises politiques d’investissement.

 

 

 


[1] C’est ce que proposent les Verts dans le domaine alimentaire avec leur initiative Fair Food pour des aliments équitables, qui constitue une réponse au TTIP et sera déposée à la Chancellerie fédérale en novembre prochain. Si le parlement ne renforce pas la Stratégie énergétique, les Verts mèneront par ailleurs devant le peuple leur initiative pour la sortie du nucléaire, afin de fermer immédiatement la dangereuse centrale nucléaire de Beznau. 

 

L’ « industrie 4.0 »: une chance pour notre économie et notre environnement

Une révolution silencieuse est à l’œuvre au cœur de notre économie. Il s’agit de l’émergence de l’ « industrie 4.0 ». Cette appellation désigne, après l’apparition de la machine à vapeur, de l’électricité puis de l’électronique, le phénomène de numérisation de nos activités économiques. Elle touche notre économie à des niveaux très divers, des processus de production à la distribution, en passant par l’organisation du travail, ou encore le marketing ou la publicité. Il y a notamment la possibilité de produire des biens via des imprimantes 3D, qui pourrait déboucher sur une décentralisation et une relocalisation de la production, voire sur un changement d’orientation d’une partie des activités économiques, qui se recentreraient sur la demande, plutôt que sur l’offre. Au lieu de produire à l’avance et en masse des marchandises uniformisées, puis de chercher à leur trouver preneur via des dépenses importantes en marketing et en publicité, une partie de la production pourrait devenir plus personnalisée et liée aux demandes spécifiques de clients déterminés. Le télétravail, la vente de produits et de services en ligne, le marketing basé sur le big data ou encore la publicité sur les réseaux sociaux sont d’autres exemples qui ont déjà ou auront tout prochainement une influence sur notre quotidien d’acteurs économiques.

 

Cette évolution, comme la plupart des innovations, comporte à la fois des chances et des risques. Du côté des chances, la numérisation de nos activités économiques ouvre un vaste potentiel d’amélioration de notre efficacité dans la gestion de l’énergie et des ressources. D’après les prévisions de la Global eSustainbility Initiative (GeSi), la numérisation pourrait nous permettre d’épargner, d’ici à 2020, près de 16% des émissions mondiales de CO2. Smart city, smart home, smart grid, smart factory : ces innovations peuvent rendre notre économie plus verte. Correctement utilisées, les technologies numériques peuvent contribuer à produire des biens mieux adaptés à la demande et de manière plus efficiente, réduisant ainsi le gaspillage d’énergie et de matières premières et renforçant la compétitivité des entreprises. Elles permettent aussi de contrôler plus intelligemment les transports et les flux de marchandises, réduisant la consommation énergétique et les coûts. Le potentiel de relocalisation de la production, avec la création d’emplois qui pourrait lui être lié, ne doit pas être négligé, notamment pour les secteurs qui se prêtent à une orientation accrue sur la demande et à une personnalisation des produits. Enfin, l’utilisation des technologies numérique constitue certainement une mine d’innovation pour notre économie d’exportation.

 

Il vaut dès lors la peine de se pencher sur ce phénomène et d’évaluer la manière dont la Suisse pourrait en exploiter les opportunités. Les Verts ont déposé pendant la sesion de septembre une intervention parlementaire demandant que le SECO crée une plateforme d’échange sur le sujet avec les acteurs concernés, en particulier les organisations économiques, les syndicats, et des représentants des milieux scientifiques et associatifs. Le projet « Industrie 2025 » lancé en juin 2015 par les associations Swissmem, Electrosuisse, asut et SwissT.net pourrait en constituer un premier jalon.

 

Cette plateforme pourra dessiner des pistes sur la manière dont la Suisse peut tirer avantage de l’ « industrie 4.0 » et voir si notre législation actuelle est adaptée à cette évolution. Pour des technologies clés, comme l’impression 3D, les entreprises suisses doivent par exemple veiller à investir à temps, mais aussi à disposer des qualifications nécessaires. Les PME, en particulier, pourraient avoir besoin de soutien. Il s’agira cependant aussi d’évaluer les risques potentiels de la numérisation. Un « effet rebond » n’est pas à exclure. Il s’agit notamment de prévenir une consommation électrique excessive, en lien avec les supports informatiques de la numérisation. Par ailleurs, l’impact positif en termes d’efficience peut toujours se perdre, s’il est accompagné de modifications des comportements allant dans le sens contraire : la réflexion sur les nouvelles technologies doit donc également impliquer leur usage et leur effet sur nos pratiques quotidiennes. La numérisation peut aussi poser des problèmes en matière de droit du travail, par exemple lorsque les employés deviennent atteignables en permanence. L’expérience des taxis Uber est emblématique des nombreuses difficultés qui peuvent se poser dans le cadre des nouveaux modèles d’activité et de travail suscités par la numérisation. Une régulation intelligente devrait néanmoins les encourager, tout en évitant la concurrence déloyale et le non-respect des normes de sécurité au travail. Des règles claires doivent en outre être définies quant à la possession et à l’usage des données, autour du big data. Enfin, les structures monopolistiques devraient être évitées au profit d’une concurrence équitable, permettant notamment la valorisation des solutions open source et des données ouvertes. Bien encadrée, là où c’est nécessaire, l’émergence de l’ « industrie 4.0 » pourra ainsi constituer une chance pour notre pays, que ce soit du point de vue économique ou environnemental.

Ce texte a été publié dans une première version dans le Temps durant le mois d'août.