Il y a quelques semaines encore, la crise climatique était au cœur de nos préoccupations. Aujourd’hui cependant, la crise sanitaire aigüe que nous traversons place tous les autres enjeux, quelle que soit leur importance, au second plan. Il est indispensable, en effet, que nous consacrions toutes nos forces et toutes nos ressources à combattre le virus et que nous donnions à ce combat la priorité absolue. Cependant, il n’est pas interdit de commencer à réfléchir, aujourd’hui déjà, à l’impact que cette crise sanitaire majeure pourrait avoir à moyen terme, et sur les leçons que nous pourrions en tirer pour affronter la crise environnementale. Celle-ci se rappellera en effet tôt ou tard à notre souvenir.
La transition écologique n’a rien à gagner d’une crise sanitaire, économique et sociale
Le principal lien que l’on a jusqu’ici perçu entre la crise du coronavirus et la crise environnementale concerne la réduction de la pollution de l’air et des émissions de gaz à effet de serre, due au rallentissement des activités économiques. Il est cependant difficile de s’en réjouir sans arrière-pensées. Il faut le dire très clairement : la transition écologique n’a rien à gagner d’une crise sanitaire, économique et sociale. Si l’on se réfère à l’histoire récente, on peut constater que les périodes de difficultés économiques sont peu propices aux avancées environnementales réelles. Une entreprise que la conjoncture met fortement sous pression aura peu de temps et d’argent disponibles pour investir dans des mesures de réduction de sa consommation d’énergie ou de ressources. Il en est de même pour les collectivités publiques. La Confédération vient de libérer, à juste titre, des montants considérables pour soutenir les PME, les indépendants, ainsi que les milieux culturels et sportifs. Ces montants sont maintenant mobilisés et ils pourraient bien être suivis par de nouveaux engagements. Ceci réduit la marge de manœuvre budgétaire de la Confédération dans les autres domaines, dont celui des soutiens à la transition écologique.
Préserver les PME et les indépendants, puis envisager un Green deal
Des voix s’élèvent dès lors aujourd’hui pour que les soutiens à l’économie octroyés par les collectivités publiques soient liés à des critères écologiques. De telles demandes font absolument sens, mais il faut différencier deux étapes. Les mesures de soutien que le Conseil fédéral vient d’édicter sont des mesures d’urgence. Elles visent à éviter des faillites en grand nombre, avec toutes les conséquences sociales qu’elles impliqueraient. A ce stade, ce n’est pas le moment de définir des critères spécifiques, qui favoriseraient certains secteurs ou technologies au détriment d’autres : nous devons tous être solidaires pour tenter de maintenir notre économie, en particulier celle des petites entreprises et des indépendants, à flot. Cette économie de proximité, particulièrement touchée par les mesures de fermeture et de confinement imposées par les autorités, n’est pas une entité abstraite. Elle est composée de milliers de projets et de destinées humaines, du travail accumulé pendant des années et des revenus de très nombreuses familles. Ce n’est pas dans une situation de crise et de rupture, qui génère de la misère économique et sociale, que nous construirons l’économie verte de demain. Une décroissance violente et contrainte est extrêmement risquée et dommageable, dans une perspective de développement durable.
Nous pourrons (re)penser à l’économie verte dans un deuxième temps, une fois que la crise sanitaire sera un tant soit peu sous contrôle et que la résilience de notre économie sera assurée. Des plans de relance seront alors probablement nécessaires. Nous pourrons envisager de les orienter dans le sens d’un « Green deal », sur le modèle européen, en cherchant à créer des emplois et de la plus-value localement ancrés, tout en favorisant la transition écologique de notre économie. Ne l’oublions pas : ce sont nos entreprises qui vont réaliser concrètement cette transition. Elles ne pourront le faire efficacement que dans le cadre d’une économie saine.
Tirer les leçons de cette crise, vers un monde plus durable
De telles discussions avaient déjà eu lieu dans le contexte de la crise financière, qui avait exigé elle aussi la libération rapide de moyens importants pour préserver notre économie, puis dans un deuxième temps la mise en place de plans de relance. Alors déjà les écologistes avaient réclamé des investissements massifs dans les énergies renouvelables et les technologies propres. Ils n’avaient été que partiellement entendus. Depuis lors, les temps ont changé. Beaucoup d’entre nous souhaitent une consommation plus responsable, localement ancrée et orientée sur la qualité de vie, plutôt que sur l’accumulation gaspilleuse du « tout-jetable ». De nouveaux modèles d’affaire, permettant de ménager les ressources, se développent en outre dans une grande diversité de secteurs économiques. Enfin, la prise de conscience quant aux dangers de la crise climatique ne faiblira probablement pas.
Nous aurons de nombreuses leçons à tirer de la crise actuelle, d’un point de vue sanitaire bien sûr, mais aussi, probablement, sur notre manière de vivre ensemble, d’assumer nos responsabilités envers autrui ou d’être solidaires. Espérons que, dans un tel contexte, nous saurons aussi faire des inévitables mesures de relance économique à venir, une opportunité pour aller vers une économie et un monde plus durables.