Responsabilité climatique de la BNS et du secteur financier : un pas dans la bonne direction

La commission de l’environnement du Conseil national vient de terminer le traitement de la Loi sur le CO2. Nous aurons l’occasion d’en découvrir les détails lors de la session de mars, mais j’aimerais me pencher déjà sur un point de la loi qui est central pour la préservation du climat : la reconnaissance des risques financiers liés au changement climatique, dont le projet initial du Conseil fédéral ne disait pas un mot. Cette lacune a été comblée par le Conseil des États, qui a décidé de citer la finance parmi les secteurs devant contribuer à la réduction des émissions de CO2. Il n’a cependant proposé qu’une seule mesure concrète, le nouvel article 47a sur la FINMA et la BNS.

Considérer les risques climatiques comme des risques financiers

L’article 47a demande que la FINMA et la BNS mesurent périodiquement les risques financiers liés au changement climatique et en fassent rapport au Conseil fédéral. Il s’agit d’un point important. En effet, les milieux de la finance et leurs régulateurs reconnaissent aujourd’hui que les risques climatiques sont des risques financiers. En Suisse, la BNS est tenue de contribuer à la stabilité du système financier, et la FINMA au bon fonctionnement des marchés financiers, ainsi qu’à la protection des créanciers, des investisseurs et des assurés. Dès lors, la prise en compte des risques financiers liés au changement climatiques fait logiquement partie de leurs mandats.

Alors que ni la BNS ni la FINMA n’ont pour l’instant pris de mesure concrète pour contrôler ces risques, il est très positif qu’une proposition allant dans ce sens ait passé la rampe au Conseil des États, puis à la commission de l’environnement du Conseil national. La commission, qui reflète les équilibres du nouveau parlement plus vert, est même allée un peu plus loin. Elle ne demande pas seulement de mesurer les risques climatiques, mais de les évaluer. De plus, elle exige que les rapports de la BNS et de la FINMA soient rendus publics et qu’ils comprennent des informations sur les mesures qui pourraient potentiellement être prises pour contrôler les risques climatiques.

Ces propositions ne remettent bien entendu pas en cause l’indépendance de la BNS. Elles précisent uniquement que les risques financiers liés au changement climatique doivent être surveillés et contrôlés, au même titre que d’autres risques sur lesquels la BNS et la FINMA se penchent déjà.

Un premier pas dans le sens des recommandations internationales

L’article 47a constitue une première réponse aux recommandations du « Central Banks and Supervisors Network for Greening the Financial System » (NGFS), un forum regroupant des banques centrales et régulateurs financiers de plus de 45 pays. Ce forum vise à mieux gérer les risques financiers liés au climat et à mobiliser le secteur financier pour favoriser la transition écologique. La FINMA et la BNS en font partie depuis avril 2019.

Huit banques centrales et autorités de surveillance ont déjà manifesté leur volonté de concevoir des tests de stress climatique et des analyes de scénarios pour leurs systèmes financiers. Il s’agit des banques centrales ou autorités de surveillance d’Angleterre, de France, d’Allemagne, des Pays-Bas, de Suède, de Chine, de Singapour et du Mexique. Toutes veulent agir, parce qu’elles considèrent que le changement climatique menace potentiellement la stabilité des marchés financiers.

Des stress tests sur la base de scénarios de réchauffement climatique

Conformément au nouvel article 47a, la FINMA et la BNS devraient donc demander aux acteurs financiers, banques et assurances, la divulgation annuelle de leurs risques financiers en lien avec le changement climatique. FINMA et BNS pourraient également élaborer des stress tests des banques et assurances individuelles et du système financier suisse dans sa globalité, sur la base de plusieurs scénarios de réchauffement.

Cette option a déjà été choisie par la Banque d’Angleterre. Celle-ci utilise trois scénarios. Le premier comprend une trajectoire de réchauffement climatique limité à 1,5 degré, impliquant que les mesures nécessaires à l’application de l’accord de Paris sont prises dès maintenant. Un second scénario, plus pessimiste, considère que des mesures contre le réchauffement climatique ne sont prises que tardivement, alors que des dégâts importants auront déjà affecté le fonctionnement de nos sociétés. Enfin, un troisième scénario reflète une situation où rien de sérieux ne serait entrepris, avec à la clé un échec de l’atteinte des objectifs de l’accord de Paris. Ce dernier scénario implique évidemment un maximum de coûts physiques, alors que celui où des mesures ne sont prises que tardivement débouche sur des coûts de transition importants.

Ces scénarios permettent d’évaluer le degré de résistance des banques et assurances individuelles ainsi que de toute la place financière, en fonction de leur exposition aux risques climatiques. Dans les cas où la stabilité de la place financière pourrait être remise en cause, des mesures doivent être proposées.

Les objectifs de compatibilité climatique manquent encore

L’article 47a de la Loi sur le CO2 n’est cependant pas suffisant. Il n’assure pas qu’une analyse individuelle de la compatibilité climatique des différents acteurs financiers, dont la BNS elle-même, soit rendue publique, mais demande seulement la publication d’un rapport global pour l’ensemble de la place financière suisse. Pourtant, une comptabilité climatique individuelle, par institution, serait nécessaire, afin que les clients, assurés ou investisseurs qui le souhaitent puissent faire des choix éclairés et privilégier les institutions les plus responsables. De plus, l’article 47a n’exige pas formellement que les acteurs financiers, dont la BNS qui gère plus de 800 milliards de francs, rendent leurs flux financiers compatibles avec l’objectif de l’accord de Paris.

Les Verts ont dès lors déposé en commission une proposition demandant que la Confédération convienne, avec les associations de branches des banques, caisses de pensions, assurances et gestionnaires de fortune, des objectifs et des mesures pour rendre les activités d’investissement et de financement de leurs membres compatibles avec l’accord de Paris. Cette proposition a malheureusement été refusée en commission et sera donc présentée en plénum comme une minorité.

Il reste ainsi encore beaucoup à faire, pour que la place financière suisse fasse partie de la solution plutôt que du problème en matière de crise climatique. Les investissements, les crédits et les assurances sont un levier important de la transition énergétique : nous avons besoin de réorienter l’argent aujourd’hui encore capté par les énergies fossiles vers les technologies propres qui feront l’économie de demain. Le secteur financier peut et doit assumer ses responsabilités en la matière, en se mettant, comme les autres branches, en conformité avec l’accord de Paris.

 

 

Chlorothalonil : mettre l’industrie agrochimique face à ses responsabilité

En mai 2019, j’interpelais le Conseil fédéral à propos du fongicide chlorothalonil, que l’Union européenne prévoyait d’interdire du fait de son impact sur la santé humaine et l’environnement. Depuis lors, l’Office fédéral de l’agriculture a entamé la procédure de retrait des autorisations des produits contenant du chlorothalonil et il est interdit dans notre pays depuis le 1er janvier 2020. Il était temps, car cette substance est soupçonnée de causer des dommages à l’ADN. De plus, elle présente un risque élevé pour les amphibiens et les poissons.

Le chlorothalonil pollue notre eau potable

Les problèmes posés par le chlorothalonil ne sont cependant pas résolus. En effet, des résidus problématiques de cette substance, qui avaient été jusqu’ici considérés comme “non pertinents”, ont été détectés dans les eaux potables des cantons de Vaud, Fribourg, Berne, Argovie, Soleure, Schaffhouse et Zurich. La situation est en particulier très préoccupante dans le canton de Soleure, dont plus de la moitié des habitants boivent une eau qui est désormais qualifiée de non conforme, c’est-à-dire dont la valeur limite en matière de résidus de chlorothalonil est dépassée. Cela équivaut à 160’000 personnes concernées pour le canton, un véritable enjeu de santé publique. Dans le canton de Vaud, de nombreux cas de dépassement des normes ont été découverts, notamment dans les régions de Thierrens, Moudon et Echallens. La commune de Lausanne a elle aussi été touchée et a du prendre des mesures. Pour protéger la santé de la population, les communes se voient contraintes de détourner certains captages d’eau potable, de se raccorder à d’autres réseaux ou de mélanger les eaux de plusieurs sources afin de diluer les concentrations de métabolites. Cela peut impliquer des investissements importants.

Une situation qui dure depuis des décennies

Cette situation soulève de nombreuses questions, auquel nous sommes en droit de recevoir des réponses rapides et convaincantes, puisqu’il en va de notre santé et de celle de notre environnement. Il est tout d’abord choquant que nous réalisions aujourd’hui seulement que le chlorothalonil est problématique, alors que ce produit est utilisé couramment depuis les années septante. Il a été à l’époque dûment homologué puis présenté aux agriculteurs, viticulteurs et jardiniers comme un produit sans danger, que ces derniers ont utilisé en toute bonne foi pendant des décennies. Les métabolites qui ont été décelés dans nos eaux potables et pour lesquels on exige aujourd’hui des mesures d’assainissement s’y trouvent probablement depuis longtemps et ont dès lors été ingérés par la population pendant des années, avec un impact sur la santé publique qu’il est difficile voire impossible d’évaluer.

Un cas sur une trop longue liste de pesticides dangereux

Cette situation serait déjà problématique si elle était isolée. Or il n’en est rien. De nombreux pesticides aux noms plus ou moins barbares font polémique depuis quelques années : néonicotinoides tueurs d’abeilles, chlorpyriphos toxique pour le système nerveux et perturbateur endocrinien, glyphosate probablement cancérigène… Certains d’entre eux ont déjà été retirés du marché, mais d’autres continuent à être utilisés, sous la pression de l’industrie agrochimique. Nous avons affaire à un problème global : on a mis sur le marché un grand nombre de produits, alors que l’on n’était visiblement pas en mesure d’évaluer correctement leur impact sur la santé et l’environnement. A aucun moment, le principe de précaution n’a été considéré sérieusement et nous réalisons aujourd’hui seulement que nous avons exposé la population et l’environnement a des substances toxiques pendant des années. Une telle situation exige des mesures fermes, urgentes et globales. Nous avons besoin d’un plan de sortie des pesticides de synthèse, de mesures d’accompagnement fortes pour les agriculteurs et les professionnels qui devront réaliser cette transition et de soutiens à l’innovation pour développer des alternatives efficaces et sûres.

Qui va payer pour les dégâts occasionnés ?

Par ailleurs, la question de savoir qui va porter les coûts de cette situation se pose. Sans même essayer de chiffrer les atteintes portées à la biodiversité, voire celles qui relèvent de la santé publique, parlons déjà de la situation concrète face à laquelle nous sommes dans le cas du chlorothalonil. De nombreux captages d’eau potable sont aujourd’hui condamnés parce qu’ils dépassent les valeurs limites liées à cette substance. Les communes sont tenues de prendre des mesures dans les deux ans pour ce qui concerne les moyens d’assainissement les plus simples, comme le fait de mélanger les eaux de plusieurs provenances, pour diluer les concentrations de résidus de chlorothalonil. Or, dans certains cas, cela ne suffira pas. Des travaux plus importants, plus longs et plus coûteux seront nécessaires. Qui va les financer ? Les communes vont-elles devoir passer à la caisse, alors que la Confédération a failli à sa tâche, en homologuant puis en laissant sur le marché pendant des décennies un produit qui s’avère être aujourd’hui problèmatique pour l’être humain comme pour l’environnement ?

Appliquer le principe de causalité aux coûts liés aux pesticides

Plus fondamentalement, ne devrait-on pas appliquer dans ce cas le principe du pollueur-payeur, inscrit dans notre Constitution et dans nos bases légales ? Les agriculteurs sont aujourd’hui régulièrement cloués au pilori en tant qu’utilisateurs de pesticides. Doivent-ils pour autant passer à la caisse ? Je ne le pense pas. Ils n’ont fait qu’employer des substances dont on leur avait assuré qu’elles étaient inoffensives et qu’on leur a même expressément appris à utiliser pendant leur formation. La Confédération, qui est garante de l’homologation des pesticides, doit assumer ses responsabilités, tout comme ceux qui ont mis ces produits sur le marché, qui ont réalisé des bénéfices pendant des années en les vendant, et qui se battent aujourd’hui, au mépris de la santé publique et de l’environnement, pour pouvoir continuer à le faire. L’industrie agrochimique doit contribuer à la prise en charge des coûts liés à la contamination, par ses produits, de nos eaux potables et de l’environnement.

Sortir de notre dépendance aux pesticides de synthèse

Pendant longtemps, on a perçu les pesticides comme des substances positives, augmentant la productivité et permettant des gains économiques. Aujourd’hui, nous réalisons, pour des substances de plus en plus nombreuses, qu’elles remettent en cause des prestations écologiques indispensables, comme la pollinisation effectuée par les insectes, quand elles ne portent pas atteinte à notre santé. Et que les gains économiques promis pourraient bien être compensé par les coûts réels générés par ces produits. Alors qu’AvenirSuisse évalue ceux-ci à 100 millions de francs par année dans sa dernière publication, notamment du fait des coûts de réhabilitation des captages d’eau potable qui alourdissent considérablement la facture, il est temps de prendre les décisions qui s’imposent. Nous devons sortir, le plus rapidement possible, de notre dépendance aux pesticides de synthèse, développer des alternatives écologiques et économiquement viables pour nos agriculteurs, et appliquer le principe de causalité pour financer les dégâts qui ont, malheureusement, d’ores et déjà été causés.