2016 aura montré que les faits seuls ne font plus recette dans nos démocraties. Je ne parle pas seulement du Brexit ou de l’élection de Donald Trump : en Suisse aussi. La campagne des opposants à l’initiative pour une économie verte, qui annonçait une dictature du renoncement pour les particuliers, alors qu’il s’agissait de soutenir l’efficience et l’innovation dans les entreprises, est un bon exemple de désinformation à succès. Quelques mois plus tard, une étude montrait que les citoyens ayant refusé la sortie programmée du nucléaire, deuxième vote environnemental crucial de l’année, l’avaient fait en étant mal informés.
Nous sommes nombreux à être inquiets et scandalisés par ce phénomène. Doit-on pour autant en conclure que les citoyens aiment à être trompés ? Certainement pas. Ce qui les séduit, ce n’est probablement pas qu’on leur raconte des mensonges. C’est qu’on leur raconte une histoire. La différence est ténue, mais elle existe. Elle est importante, parce qu’elle ouvre la porte à une troisième voie entre un discours strictement rationnel, exact et descriptif, et le délire cynique qu’il est désormais convenu de qualifier de « post-factuel ». Au fond, ce que montre 2016, c’est que les citoyens sont aujourd’hui à la recherche d’un récit. Or un récit peut très bien être fondé sur des faits, qu’il se contente de mettre en perspective, de manière sérieuse, crédible et loyale.
C’est ce que nous, défenseurs d’une société libérale, ouverte, responsable et durable, avons à apprendre de 2016. Je ne suis pas toujours d’accord avec le grand écologiste Pierre Rabhi, mais il a dit quelque chose de très beau sur son engagement. L’écologie, dit-il, c’est l’émerveillement. L’émerveillement face à la nature, bien sûr, mais aussi face aux solutions de toutes sortes qui nous permettent aujourd’hui de vivre en harmonie avec elle, face à un projet de société capable d’assurer notre bien-être sans remettre en cause celui de nos enfants. Cet émerveillement, et le récit qui le porte, sont aujourd’hui en panne, ou du moins sont recouverts par un autre récit. Un récit de peur, de fermeture et de repli vers un passé mythique et idéalisé, où tout était tellement plus simple et plus facile. Le slogan « Yes we can », qui désignait l’envie d’un monde nouveau, plein de possibles, a été remplacé par « Make America great again », parce qu’aujourd’hui, nombreux sont ceux qui pensent que « c’était mieux avant ».
Comme verte, je suis la première à trouver que nous devons considérer la notion de « progrès » de manière critique. Mais une société où l’histoire qui convainc est un récit de repli sur le passé a un grave problème. Le désenchantement – antithèse de l’émerveillement prôné par Pierre Rabhi – mais aussi le cynisme, le « no future » ou le « après moi le déluge » qui en découle, ne peuvent pas guider nos choix. Comme le disait en substance Nelson Mandela, nos décisions doivent être fondées sur nos espoirs, et non sur nos craintes.
Or des pistes existent pour des récits d’espoir d’aujourd’hui. En ce qui concerne les écologistes, il est clair que le temps n’est plus – ou plus seulement – à la dénonciation sèche et chiffrée des dommages que nous portons à l’environnement. Tout le monde sait aujourd’hui que nous allons dans le mur, et c’est peut-être pour cela que certains, méconnaissant les solutions qui sont à notre disposition, sombrent dans une funeste nostalgie conservatrice. Nous, les écologistes, devons assumer d’être aussi des porteurs de bonnes nouvelles ! Il s’agit de valoriser les nombreuses solutions qui nous permettront de relever les défis de ce siècle et de les mettre en perspective dans un récit abordable et motivant: nouvelles technologies, nouveaux modèles économiques, nouvelles pratiques individuelles et collectives…
Le succès du film Demain montre que c’est possible. Il constitue une narration, strictement basée sur des faits mais très mobilisatrice, qui présente toute une série de solutions, d’ores et déjà développées au niveau local, et qui ne demandent qu’à être mieux connues, puis généralisées. Ce film redonne du sens aux notions de progrès ou d’innovation, en liant solutions locales et enjeux globaux (un des fondamentaux des Verts), en intégrant les innovations technologiques dans un projet de société, et en montrant le plaisir – et les succès – de ceux qui s’engagent dans leur quotidien pour un monde plus durable. Lors de la campagne pour l’initiative pour une économie verte, nous avons adopté la même ligne, avec Swisscleantech et bien d’autres, symbolisée sur les réseaux sociaux par le « hashtag » #çamarche ou #esgeht. Nous n’avons pas atteint une majorité cette fois-ci, mais ce n’est que le début de notre engagement pour une économie verte. La campagne pour la stratégie énergétique 2050, dans le cas de l’aboutissement du référendum de l’UDC, devra elle aussi raconter en quoi la transition énergétique est non seulement possible, mais constitue un magnifique projet de société, qui permettra à chacun d’entre nous de contribuer à notre approvisionnement en énergie propre.
Les enjeux écologiques ne sont pas les seuls auxquels doit s’appliquer cette logique narrative. Nous avons urgemment besoin de nouveaux récits mobilisateurs autour d’une Europe plus décentralisée, solidaire et citoyenne, des acquis incontestables du droit international et des droits humains, des chances d’une globalisation équitable et d’une numérisation bien gérée pour notre économie comme pour notre société. Parviendrons-nous à développer de tels récits, à la fois crédibles et enthousiasmants, ancrés dans des données factuelles, mais portés par nos espoirs, sur les grands enjeux du 21ème siècle ? Ces récits feront-il le poids face à la mythologie passéiste des populistes et extrémistes de tout bords ? Les citoyens seront-ils disposés, selon l’expression de l’économiste Nicolas Bouzou, à « aimer l’avenir » ? Voilà les questions que je me pose en ces premiers jours de 2017.