Initiative Fair Food pour des aliments équitables : de quoi parle-t-on ?

Une discussion sur de mauvaises bases

Le Conseil national a débuté hier, le 26 septembre, le traitement de l’initiative Fair Food pour des aliments équitables. Or le débat est parti sur de mauvaises bases. En effet, la majorité de la commission a fait sienne une interprétation inadéquate du texte. A ses yeux, le but de l’initiative serait d’appliquer directement et telles quelles aux produits alimentaires importés les innombrables normes régissant la production agricole suisse. Il n’en est évidemment pas question ! Une telle démarche serait impossible à mettre en œuvre et ce n’est pas le propos de l’initiative. Revenons donc à son texte[1].

Améliorer la qualité de l’offre alimentaire, en particulier des importations

L’initiative veut que « la Confédération renforce l’offre de denrées alimentaires sûres, de bonne qualité et produites dans le respect de l’environnement, des ressources et des animaux, ainsi que dans des conditions de travail équitables. » Il s’agit donc d’un processus évolutif que l’initiative veut amorcer, comme le démontre l’idée de « renforcement ». Surtout, l’initiative pour des aliments équitables s’intéresse d’abord, non pas à la production agricole suisse, mais à l’ensemble de l’offre en denrées alimentaires disponible dans notre pays, dont la qualité écologique et sociale doit être améliorée. Ceci implique les importations et c’est principalement là que la marge de manœuvre est importante.

En effet, alors que les produits suisses sont soumis à toute une série de réglementations, les denrées importées sont souvent produites à l’étranger dans des conditions qui sont à des années lumières de l’agriculture durable que les consommateurs suisses appellent de leurs vœux. Nous importons entre autres des fruits et légumes cultivés de manière intensive par des ouvriers agricoles surexploités dans le Sud de l’Europe ou dans des pays en développement, des produits transformés contenant des œufs de poules en batteries, ou encore de la viande issue d’animaux élevés en masse dans des usines. Cette situation pourrait se péjorer encore à l’avenir, avec des accords internationaux comme le TTIP, qui mettront notre production locale fortement sous pression.

Définir des exigences écologiques et sociales simples et applicables

Pour remédier à cette situation insatisfaisante et renforcer la qualité écologique et sociale de l’offre en produits alimentaires de notre pays, la Confédération doit, selon le texte de l’initiative, fixer « les exigences applicables à la production et à la transformation ». Ce sont à ces exigences portant sur l’offre – et non à l’ensemble complexe des normes régissant la production agricole suisse – que les produits importés doivent au moins correspondre. De telles exigences devraient s’inspirer des grands principes appliqués en Suisse[2], mais elles devraient bien sûr être simplifiées et fixer des priorités afin que leur application soit possible. Les standards internationaux existants pourraient aussi servir de référence. Les exigences définies par le Conseil fédéral constitueraient ainsi une forme de ligne rouge, au-delà de laquelle les produits alimentaires devraient être clairement défavorisés voire exclus du marché. Des conditions de détention correctes pour les animaux ou le respect de certaines normes internationalement reconnues en matière de travail devraient certainement figurer en bonne place.

Utiliser des instruments compatibles avec les règles internationales

Le texte de l’initiative précise encore la manière dont la Confédération pourrait appliquer ces exigences visant à renforcer la qualité écologique et sociale de l’offre en denrées alimentaires, en citant différents instruments. Le plus simple est bien entendu de décider d’exclure certains produits issus de pratiques inacceptables du marché mais, si cela n’est pas réalisable du fait de dispositions internationales, ou si cela n’est pas souhaité, d’autres mesures existent. Il serait par exemple possible de conclure des conventions d’objectifs avec les distributeurs et les importateurs, qui s’engageraient par exemple à ne plus importer, après un certain délai, de viande issue d’élevages ne respectant pas des exigences correctes en matière de bien-être animal.

Respect des animaux : prendre les distributeurs au mot

A vrai dire, c’est déjà ce que propose un distributeur suisse bien connu, sous la forme de promesses faites à la génération à venir. Ce distributeur affirme en effet qu’il appliquera les standards suisses pour le bien-être animal à tous ses produits importés d’ici à 2020. L’initiative pour des aliments équitables veut assurer que de telles promesses, qui sont pour le moment d’ordre strictement publicitaire, soient effectivement appliquées. Elle permettrait surtout d’y rallier les autres distributeurs, y compris les moins responsables qui, sans cela, concurrencent inutilement les bons élèves et trompent des consommateurs souvent mal informés.

Une autre possibilité est précisément d’informer correctement les consommateurs des modes de production des produits alimentaires que nous importons[3]. L’exemple des œufs de poules en batterie prouve que cela peut avoir le même effet qu’une interdiction. Les œufs de poules élevées en batterie doivent en effet être déclarés comme tels. Dès lors, on n’en trouve pas sur le marché, car les distributeurs considèrent – probablement à raison – que les consommateurs n’en voudraient pas. Cette exigence ne s’applique cependant pas aux produits transformés contenant des œufs. L’initiative pourrait y remédier et améliorer l’information des consommateurs pour d’autres produits.

Favoriser les produits socialement responsables

Dans le domaine social, la Confédération pourrait citer, parmi les exigences qu’elle devrait fixer en vue de renforcer la qualité de l’offre en denrées alimentaires, le respect des normes internationales de l’OIT, qui excluent notamment le travail forcé ou le travail des enfants et assurent la liberté syndicale des employés. Pour appliquer cette exigence, le Conseil fédéral pourrait également utiliser des conventions d’objectifs avec les importateurs ou encore favoriser clairement, dans le cadre des dispositions douanières, les produits bénéficiant d’un label fair trade ou ceux qui peuvent au moins prouver qu’ils respectent les normes de l’OIT.

Une troisième voie entre protectionnisme et libre-échange

On le voit, une application pragmatique et conforme aux dispositions de l’OMC de l’initiative pour des aliments équitables est tout à fait possible. Elle serait dans l’intérêt des consommateurs qui souhaitent, comme l’a encore démontré le plébiscite du vote sur la sécurité alimentaire dimanche passé, acheter des produits issus d’une agriculture durable. Les pratiques que les consommateurs jugent inacceptables dans nos frontières ne deviennent pas soudainement tolérables à leurs yeux lorsqu’elles ont lieu à l’étranger. En témoigne par exemple le scandale qu’ont déclenché dans notre pays les révélations sur les conditions de travail des ouvriers agricoles à Almeria[4].

L’initiative pour des aliments équitables est aussi favorable aux agriculteurs suisses. Le dumping écologique et social suscité par les produits importés issus de pratiques sociales et écologiques intolérables constitue une forme de concurrence déloyale pour leur production. Tout le monde a intérêt à une concurrence équitable, basée sur la qualité et sur des règles du jeu correctes. C’est ce que l’initiative Fair Food pour des aliments équitables veut instaurer. Comme une troisième voie entre le protectionnisme, auquel nous ne pouvons souscrire, et le chaos d’un libre-échange débridé.

[1] https://fair-food.ch/wp-content/uploads/sites/2/2017/09/140507_ini_initiativtext_fairfood_definitiv_dfi.pdf

[2] Nous ne pouvons pas imposer aux importations des exigences que nous ne nous imposons pas à nous-mêmes. Les exigences définies par le Conseil fédéral pour l’ensemble de l’offre doivent donc être conformes aux principes généraux que nous imposons à la production et à la transformation en Suisse. Elles ne peuvent en aucun cas aller plus loin.

[3] Pour le moment, les consommateurs sont informés des lieux de provenance des aliments mais pas de leur mode de production, à l’exclusion des produits labellisés.

[4] Cet exemple montre bien le degré de désinformation dont les consommateurs sont victimes. Les fruits et légumes concernés étaient certes étiquetés quant à leur provenance géographique. Mais avant que des journalistes ne mettent leurs conditions de production en lumière, personne ne se doutait du fait qu’ils étaient cultivés par des ouvriers réduits à des conditions de quasi esclavage et au prix de destructions massives de l’environnement.

No Billag: une attaque inacceptable contre notre démocratie, les minorités et la culture

Le Conseil national débat ce matin de l’initiative dite “No Billag”. Celle-ci propose de renoncer à la redevance qui finance actuellement la SSR, c’est-à-dire la télévision et la radio dans les trois langues nationales, ainsi qu’une série de radios et de télévisions régionales. Cette initiative, sous couvert d’un changement de modèle de financement, vise en réalité l’abolition pure et simple du service public. Elle doit être démasquée et dénoncée comme une attaque contre notre démocratie, contre les minorités linguistiques et contre la culture.

No Billag s’attaque à notre démocratie

No Billag est une attaque contre notre démocratie. En coupant les revenus de la SSR, l’initiative va considérablement affaiblir l’infrastructure médiatique indispensable à la formation de l’opinion politique des citoyens de notre pays. Nous sommes toutes et tous très fiers de notre démocratie directe. Tous les trois mois, les citoyens suisses sont appelés aux urnes et prennent des décisions fondamentales pour l’avenir de notre pays. Ce beau système ne fonctionne cependant correctement que sous certaines conditions : il dépend notamment de l’existence de médias de qualité, qui constituent un forum, un relai, un catalyseur du débat public.

Or cette fonction essentielle est aujourd’hui menacée dans notre pays. Aujourd’hui, la presse écrite est atteinte dans sa diversité comme dans sa qualité, suite aux contraintes de la numérisation, qui nécessitent un changement majeur de son modèle économique. Des publications de référence disparaissent et la réduction des moyens de celles qui subsistent en appauvrit les contenus, qui deviennent de plus en plus homogènes. Les publications sont possédées par un nombre de plus en plus réduit d’acteurs et des groupes d’intérêts en rachètent certaines, au détriment de leur indépendance éditoriale.

C’est dans un tel contexte, qui constitue déjà un danger clair pour notre démocratie, que No Billag veut menacer encore le service public. La SSR est pourtant un maillon essentiel de l’infrastructure médiatique dont dépend notre démocratie. Elle est en effet tenue, comme organisation indépendante des intérêts politiques et économiques, de garantir une offre neutre et diversifiée, qui illustre de manière impartiale et équitable la variété des opinions politiques et des intérêts en tout genre. Sans une SSR forte, et alors que la situation des médias écrits est alarmante, le débat public suisse ne pourra tout simplement plus avoir lieu dans des conditions correctes, mettant en péril les fondements de notre démocratie.

No Billag s’attaque aux minorités

No Billag constitue par ailleurs une attaque contre les minorités, dont le respect est pourtant l’une des valeurs fondamentales de notre pays. Les prestations de la SSR, des stations radio dans les régions périphériques et des télévisions régionales, sont particulièrement précieuses pour les minorités linguistiques. S’il est déjà difficile d’envisager le maintien d’une telle offre sans la redevance en Suisse alémanique, il est évident qu’elle ne serait en aucun cas viable dans des bassins de population aussi restreints que la Suisse romande ou le Tessin, qui génèrent des coûts fixes élevés pour des possibilités de revenus comparativement faibles.

C’est précisément un système de péréquation financière interne à la SSR qui a permis jusqu’ici de financer des offres de radio et de télévision complètes et de qualité dans ces régions. No Billag menace donc tout particulièrement la possibilités, pour les régions périphériques et les minorités linguistiques, d’être correctement informées, dans leur propre langue, sur l’actualité politique, économique et culturelle en général mais aussi et surtout sur l’actualité de leur propre pays et de leur propre région. Aucune des chaînes de radio ou de télévision étrangères ne fournit ni ne fournira jamais ce type de prestation. Cette attaque contre les minorités et inacceptable et porte atteinte tant à nos valeurs qu’à la cohésion du pays.

No Billag s’attaque à la culture

Enfin, No Billag constitue une attaque contre la culture et la formation. La SSR investit en effet chaque année plus de 300 millions de francs dans ces domnaines, dont plus de 40 millions dans le seul secteur du cinéma suisse. Plusieurs festivals, à l’image de la récente Schubertiade, de nombreux orchestres ou des manifestations littéraires, dont le Salon du livre de Genève, dépendent de ces soutiens. Nous avons besoin de ces productions et événements localement ancrés, qui offrent un accès direct à la culture à toutes et à tous.

Le cinéma suisse nous apporte en outre un regard unique sur des questions qui nous concernent spécifiquement, dans notre identité ou dans notre quotidien. Il nous montre également le monde depuis là où nous nous trouvons, car un regard est toujours incarné. Cette production ne sera remplacée par aucune autre et doit dès lors continuer à être soutenue. Pour cela, nous avons besoin d’un service public fort.

Il faut espérer que le Conseil national rejettera ce texte irresponsable avec la plus grande vigueur ce matin, comme l’a déjà fait le Conseil des Etats. Et nous devons nous préparer à défendre devant le peuple, probablement au printemps 2018, un service public qui a certes un prix, mais qui joue un rôle indispensable et irremplaçable dans notre pays.