Jobsharing: êtes-vous prêt à partager votre pouvoir?

Lundi 4 mai prochain, le premier colloque suisse consacré au jobsharing se tiendra à l’Université de Fribourg. Regula Rytz et moi-même y serons pour faire part de notre expérience conjointe à la tête des Verts. Partager le travail, partager les responsabilités, partager le pouvoir: c’est un thème vert par excellence. Regula Rytz et moi-même ne sommes pas les premières à coprésider le parti à l’échelle fédérale: Ruth Genner et Patrice Mugny le firent également entre 2001 et 2004. Ce modèle est par ailleurs courant chez les Verts dans les partis cantonaux et communaux.

Le jobsharing est particulièrement pertinent en politique. En effet, dans notre système de milice, l’engagement politique vient s’ajouter à la vie professionnelle et aux charges familiales. Ce n’est pas pour rien que les femmes sont si peu représentées parmi les élus: mener de front une carrière politique et professionnelle, tout en se consacrant à ses enfants – une tâche encore largement dévolue aux femmes – est un véritable défi. Les femmes sont encore moins nombreuses à être représentées dans les instances dirigeantes des partis, un mandat qui représente un travail et une pression supplémentaires considérables. Je suis entrée à la direction des Verts suisses au retour de mon congé maternité et ma fille avait deux ans quand j’ai été nommée à la coprésidence. Jamais je n’aurais été candidate à un tel mandat en solo. Le partage du travail permet aussi à ma collègue Regula Rytz d’être disponible pour ses parents âgés. Nos familles sont importantes dans nos vies et le jobsharing nous permet de leur consacrer un minimum de temps, tout en nous engageant à un haut niveau de responsabilité politique.

Le partage du travail à la tête d’un parti n’est pas seulement une solution pour favoriser l’accès des femmes à des postes de pouvoir et pour faciliter la conciliation entre vie politique et familiale. A l’échelle fédérale, tous les partis sont composés de sensibilités diverses. Il y a des variations liées aux communautés linguistiques, mais aussi aux régions plus ou moins urbaines ou périphériques. Des personnalités issues de différents horizons idéologiques et milieux socio-culturels se retrouvent sous le même toit. Pour respecter cette diversité, les Verts suisses se sont constitués en une fédération décentralisée de partis cantonaux. A la direction d’un tel parti, une coprésidence est particulièrement adaptée. Regula Rytz et moi-même avons été nommées à la succession d’Ueli Leuenberger après les élections de 2011, qui ont vu les Verts perdre plusieurs sièges. La volonté de nos délégués était alors de resserrer les rangs autour d’une coprésidence et d’une direction les plus rassembleuses possibles, afin que chacun se sente représenté, après des pertes douloureuses qui avaient suscité, comme souvent dans ces cas-là, des tensions internes. Regula Rytz, suisse alémanique, apporte sa sensibilité et ses compétences sur les dossiers sociaux, son réseau syndical et son expérience de femme d’exécutif. Mon profil est très complémentaire: romande, environnementaliste de formation, issue des milieux de la recherche et des ONG écologistes. Nos décisions se basent sur des échanges d’une grande richesse, qui nourrissent notre engagement. Nous croyons profondément à l'intelligence collective. Elle nous permet de mieux fonder nos positions et favorise l'innovation.

Depuis trois ans, nous avons pu constater combien notre travail en binôme était apprécié au sein des partis cantonaux. Nous avons réformé nos structures pour nous rapprocher de leurs directions et travaillons, plus que jamais, en étroite collaboration. L’étude GFS de Claude Longchamp le confirme : notre coprésidence dispose du taux maximal de crédibilité à l’interne. Selon l’étude Sotomo, nous sommes aussi le parti dont la base est le plus en accord avec les décisions de ses élites. Regula Rytz et moi-même sommes toutes deux enchantées de cette expérience, qui nous permet de diriger le parti dans un climat de dialogue, de solidarité, de partage et de conciliation. Ensemble, nous faisons avancer nos idées et nous nourrissons de nos complémentarités.

Les difficultés viennent plutôt de l’extérieur et, en particulier, des médias, avec une mention spéciale au Tages Anzeiger et au service public. Regula Rytz et moi-même sommes les seules femmes à la tête d’un parti au niveau fédéral. Et nous appliquons un modèle de management innovant : non seulement nous partageons la présidence mais, en plus, nous mettons volontiers en avant nos collègues spécialistes, en fonction des différents dossiers. Sans que cela nous pose de problème d’ego. Il y en a que cela bouscule dans leurs certitudes et qui continuent à rechercher le «mâle alpha». Nous avons tout entendu : direction faible, pas assez visible, trop gentille, trop réservée, trop correcte. Le Tages Anzeiger a même osé cette métaphore douteuse (je traduis): «En comparaison avec leurs collègues présidents de parti, les deux coprésidentes sont aussi remarquables qu’une plante décorative dans un club échangiste». On a essayé de chercher des failles dans notre entente, affirmé – à tort – que nous nous contredisions et avions des désaccords. Des femmes qui se crêpent le chignon, c’est toujours rassurant. Certains journalistes se sentent plus à l’aise avec des «laute Männer», des hommes qui parlent fort et… tout seuls. Dans un monde médiatique qui privilégie la polémique et la controverse, et qui conçoit la politique comme un vaste combat de coq, deux femmes qui partagent le pouvoir, réfléchissent, se concertent et cherchent, ensemble, des solutions, ça fait désordre.

Malgré les idées préconçues, dans le monde économique et associatif, des pionniers et des pionnières montrent également la voie, par exemple à la direction de Frutiger Bau-AG, une entreprise de construction, ou à la tête de Greenpeace. Ils sont, comme nous, des exceptions qui confirment la règle. Pourtant, aujourd’hui, tout le monde affirme, la bouche en cœur, qu’il est indispensable de trouver des solutions pour concilier travail et famille. Tout le monde dit aussi que les femmes doivent investir le monde du travail, notamment pour combler le manque de personnel qualifié que suscitera l’application du nouvel article constitutionnel contre l’immigration de masse. Il est dès lors urgent de prendre au sérieux ce nouveau modèle de direction et de déclarer la guerre aux préjugés et au sexisme. Parce que l’on est plus intelligent à plusieurs et que le pouvoir peut et doit se partager.

Informations sur le colloque : http://www.go-for-jobsharing.ch

 

Les Verts pionniers de l’égalité

Les Verts ont toujours promu les femmes dans leurs rangs, avec des résultats concrets. Au niveau cantonal, nous avons la plus haute proportion de femmes élues de tous les partis : sur l’ensemble du pays, elles représentent 51 % de nos députés. La moitié de nos Conseillers d’Etat et sept de nos quinze conseillers nationaux sont des femmes. Nous montrons l’exemple, mais nous nous engageons aussi pour la promotion des femmes à des postes à responsabilité dans le monde économique. A Bâle-Ville, par exemple, les Verts ont obtenu que le pourcentage de femmes dans les directions des entreprises publiques soit augmenté. Un référendum lancé contre cette mesure par la droite a échoué. Les Verts s’engagent enfin à tous les niveaux institutionnels pour une meilleure conciliation entre vie familiale et professionnelle : offre suffisante en matière de structure d’accueil, horaires scolaires adaptés, congé parental. La promotion du jobsharing s’inscrit dans cet éventail de mesures, ainsi que les horaires flexibles et la possibilité de faire du télétravail.

Ecologie et ouverture sur le monde : c’est notre avenir qui est en jeu

Les revers des deux partis écologistes aux dernières élections cantonales et le succès d’une droite conservatrice alliée à l’UDC isolationniste, doivent constituer un signal de mobilisation pour tous ceux qui veulent vivre dans une société plus durable: non, tout n’est pas résolu en matière environnementale et non, l’écologie et l’ouverture sur le monde ne constituent ni un obstacle, ni un facteur d’incertitude pour notre économie. Elles sont au contraire une chance pour notre pays.

 

Les dossiers écologiques sont en panne au parlement. Quatre ans après Fukushima, la sortie du nucléaire est remise aux calendes grecques : la Stratégie énergétique 2050 permet de prolonger l’exploitation de nos vieilles centrales nucléaires jusqu’à plus de 60 ans, alors qu’elles sont fermées dans le monde après moins d’une trentaine d’années et que les exploitants eux-mêmes prévoyaient, avant Fukushima, de fermer nos centrales après 40 à 50 ans. Si elle préserve la filière du nucléaire, la Stratégie énergétique comprend néanmoins de bonnes mesures, dont l’augmentation des soutiens aux énergies renouvelables et à l’efficacité énergétiques. Malheureusement, elle est désormais menacée au Conseil des Etats par le PLR et l’UDC.

 

Son deuxième volet, qui porte sur la fiscalité écologique, est en outre mal parti. Le Conseil fédéral a présenté un projet d’article constitutionnel évasif, annonçant qu’il ne comptait pas taxer l’essence, alors que nous échouons justement à réduire nos émissions de CO2 dans le domaine de la mobilité. Par contre, la suppression prochaine des mesures de soutien aux énergies renouvelables et à l’efficacité énergétique sera inscrite noir sur blanc dans la Constitution. Le contre-projet du Conseil fédéral à notre initiative pour une économie verte est enfin l’objet de violentes attaques de la part du PLR et de l’UDC, malgré le fait qu’il soit soutenu par les secteurs économiques concernés.

 

Alors que la droite conservatrice vient de gagner les élections cantonales à Bâle-campagne, à Lucerne et à Zurich, au détriment des forces progressistes qui ont fait avancer la Stratégie énergétique et l’économie verte pendant la présente législature, il est temps de tirer la sonnette d’alarme et de se demander quelle Suisse nous voulons pour demain. Voulons-nous vivre dans un pays qui se complaît dans un Moyen-Âge fossile et nucléaire, méprise les enjeux climatiques et pérennise le gaspillage des ressources ? Voulons-nous abandonner les pionniers des énergies renouvelables et de l’économie verte, qui constituent pourtant un moteur d’innovation pour notre économie ? Voulons-nous renoncer aux emplois et à la plus-value durables qu’ils créent dans notre pays? Voulons-nous faire le jeu de ceux qui veulent isoler notre pays de la communauté internationale et de nos principaux partenaires économiques ?

 

Car, au-delà des enjeux environnementaux, c’est aussi l’avenir de notre économie qui est en jeux. Nous dépensons près de 10 milliards de francs par an à l’étranger, pour acheter de l’énergie fossile, qui contribue ensuite au réchauffement climatique. Moyennant un tournant énergétique crédible, nous pourrons investir ces montants dans notre pays, dans des technologies propres et créatrices d’emplois localement ancrés. Les soutiens à l’efficacité énergétique, mais aussi à la revalorisation des matériaux dans le cadre de l’économie verte, rendront notre économie plus efficiente et, dès lors, plus concurrentielle. Enfin, la promotion des nouvelles technologies dans le domaine de l’énergie et de la gestion durable des ressources renforcera notre secteur d’exportation, dont la capacité d’innovation est la meilleure arme face au franc fort.

 

C’est cette Suisse innovante, pionnière de la durabilité, créatrice d’emplois et de plus value localement ancrés, au bénéfice de toutes et de tous, que nous défendons. Une Suisse confiante, humaniste et ouverte sur le monde, qui s’engage au-delà de ses frontières pour trouver, avec les membres de la communauté internationale, des solutions communes aux défis écologiques, économiques et sociaux actuels, dont le réchauffement climatique, la répartition inéquitable des richesses ou la surexploitation des ressources sont des exemples cruciaux.

 

Aux antipodes de cette vision, le PLR et le PDC s’allient aujourd’hui aux défenseurs d’une Suisse rétrograde, xénophobe et isolationniste et prétendent résoudre les difficultés liées à la force du franc en condamnant toute réforme écologique, en réduisant le personnel de la Confédération ou en déséquilibrant les finances publiques. Ces partis affirment défendre notre économie, mais ne voient-ils pas que le plus grand danger pour l’avenir de notre pays est son manque d’audace face à la révolution industrielle verte de ce siècle, son isolement de la communauté internationale et, « last but not least », la rupture des bilatérales, pour laquelle l’UDC s’engagera avec détermination durant la prochaine législature ?

Ce texte a été publié dans Le Temps le 16 avril 2015

 

Stratégie énergétique et rôle des Verts: Peter Bodenmann se trompe de cible

Dans sa dernière chronique, Peter Bodenmann reproche aux Verts de «s’être laissés baratiner par Doris Leuthard» dans le cadre de la Stratégie énergétique 2050, qui comporterait «beaucoup de mousse, peu de substance», en particulier parce que «nul ne sait si et comment la conversion écologique fonctionnera et dans quel délai». Ces propos sont parfaitement infondés. Les Verts sont précisément le parti le plus critique quant aux insuffisances de la Stratégie énergétique et celui qui pourra offrir au peuple, si nécessaire, la possibilité de les corriger.

La Stratégie énergétique comporte certes plusieurs mesures positives en matière de soutiens aux énergies renouvelables et à l’efficacité énergétique, pour lesquelles les Verts se battaient depuis des années. Cependant, elle reste très favorable au nucléaire, puisqu’elle permet la prolongation de l’exploitation de nos vieilles centrales jusqu’à plus de 60 ans. Alors que l’on ferme les centrales nucléaires dans le monde en moyenne après moins de 30 ans de durée de vie. Alors que la Suisse accueille déjà sur son sol la plus vieille centrale nucléaire au monde encore en fonction, Beznau, 45 ans, qui pose de nombreux problèmes de sécurité. Et alors que l’on envisageait, avant Fukushima, de fermer nos vieilles centrales après 40 à 50 ans maximum d’exploitation.

Peter Bodenmann semble ignorer que la Stratégie énergétique a été conçue comme un contre-projet indirect à l’initiative des Verts pour la sortie du nucléaire, qui exige justement l’arrêt de nos centrales nucléaires après 45 ans d’exploitation et le remplacement de leur production par du courant propre. Si le Conseil des Etats n’améliore pas le projet de loi, nous mènerons cette initiative devant le peuple. Celui-ci pourra alors décider de prendre ou de ne pas prendre, en toute conscience, la responsabilité de remettre la sortie du nucléaire à la prochaine génération. En cas d'acceptation de notre initiative, la Stratégie énergétique devrait être complétée par une limitation de la durée de vie des centrales nucléaires et les objectifs de développement des renouvelables et de l'efficacité énergétique seraient revus à la hausse. Sans les Verts, cette possibilité n’existerait pas. Le peuple n’aurait le choix qu’entre deux options, probablement via un référendum lancé par la droite dure contre la Stratégie énergétique: l’inaction totale, à savoir le maintien de notre pays dans un Moyen-Age nucléaire et fossile, ou la remise à après-demain de la fermeture de nos vieilles centrales, certes assortie de quelques soutiens aux renouvelables, mais dont il faut savoir qu’ils sont calculés sur la base d’objectifs si peu ambitieux, qu’ils correspondent à un ralentissement du rythme actuel de leur développement.

Peter Bodenmann cite également dans sa chronique l’électromobilité et les véhicules automatisés. Les Verts en soutiennent les évolutions, comme en témoignent plusieurs de leurs interventions, et continueront à le faire à l’avenir. Nos propres scénarios énergétiques, disponibles sur notre site, tiennent d’ailleurs expressément compte de l’électrification et de la meilleure maîtrise de la mobilité, toutes deux souhaitables pour la préservation du climat.

Peter Bodenmann se trompe dès lors complètement de cible lorsqu’il accuse les Verts de s’être fait berner par Doris Leuthard. Il ferait mieux de concentrer son acrimonie sur son propre parti, qui s’est montré bien moins critique envers la Stratégie énergétique et l’a même, à l’occasion, présentée comme sa propre victoire. Ou alors, beaucoup mieux, il pourrait s’attaquer aux partis qui luttent activement – contre les Verts, contre les Vert' libéraux et contre le PS – pour le maintien du nucléaire et des énergies fossiles et qui ont, si l’on en croit les résultats des dernières élections cantonales, le vent en poupe. C’est en unissant toutes les forces progressistes de ce pays que nous pourrons renverser cette tendance et nous engager avec succès pour une Suisse durable et innovante, pas en nous accablant les uns les autres de reproches absurdes et infondés.

 

Votations du 14 juin : pourquoi il faut soutenir le diagnostic préimplantatoire

Nous voterons le 14 juin prochain sur le diagnostic préimplantatoire. Il s’agit de modifier la Constitution afin qu’il devienne possible, dans le cadre d’une procédure de procréation assistée, de sélectionner l’embryon qui sera implanté dans l’utérus de la future mère, sur la base d’un diagnostic préimplantatoire. Actuellement, la Constitution ne permet pas de produire assez d’embryons, ni de les garder assez longtemps, pour qu’une telle analyse puisse se faire.

Le cas de ce vote est assez particulier dans la mesure où la loi d’application liée à la modification constitutionnelle a déjà été débattue et validée par le parlement. Ses opposants ont cependant annoncé qu’ils la combattraient en référendum. Nous voterons donc en deux fois. Le 14 juin, seule la modification de la Constitution nous sera soumise, à savoir la décision de principe d’autoriser le diagnostic préimplantatoire. Si ce vote est positif, nous voterons dans un deuxième temps, car l’aboutissement du référendum fait peu de doutes, sur la loi d’application. Nous pourrons alors dire si nous acceptons la manière dont le parlement a voulu appliquer la nouvelle disposition constitutionnelle, ou s’il doit revoir la loi pour rendre l’application de l’article constitutionnel plus restrictive.

Le diagnostic préimplantatoire soulage les couples porteurs de maladies génétiques graves

Si le sujet soulève des discussions très émotionnelles, il ne concerne en réalité que peu de personnes à titre direct. Le diagnostic préimplantatoire n’est en effet possible que dans le cadre d’une procédure de procréation assistée. Ces procédures sont soumises, selon la Loi sur la procréation médicalement assistée, à des critères très stricts et ne sont accessibles qu’aux couples souffrant de problèmes de stérilité. Actuellement, cela correspond à environ 2'000 naissances sur 80'000 par an.

Le diagnostic préimplantatoire vise avant tout les couples qui sont susceptibles de transmettre une maladie génétique grave et incurable. Des embryons sont créés via la fécondation in vitro. Alors qu’ils ne comportent qu’une dizaine de cellules, ils sont analysés, et l’on implante dans l’utérus de la future mère un embryon dont on a pu vérifier qu’il ne serait pas atteint par la maladie génétique dont ses parents sont porteurs. Les futurs parents sont dès lors libérés de l’angoisse de transmettre à leur descendant la terrible maladie dont ils souffrent eux-mêmes ou dont ils ne sont parfois que des porteurs sains. On évalue le nombre de cas concerné à 50 à 100 par an.

Les pathologies détectées par le diagnostic préimplantatoire sont d’ores et déjà détectables, de manière légalement autorisée, dans le cadre d’un diagnostic prénatal, effectué sur un embryon en développement dans le ventre de sa mère. Dans le cas où les futurs parents apprennent ainsi qu’ils ont transmis leur maladie génétique à leur enfant à naître, il leur reste le choix d’une interruption volontaire de grossesse. Le cas échéant, celle-ci constitue une intervention intrusive et violente pour les deux parents et, en particulier bien sûr, pour la femme. La réalisation d’un diagnostic avant même le début de la grossesse, sur un embryon de quelques cellules, et l’implantation d’un embryon dont on sait qu’il ne sera pas porteur de la maladie, constitue dès lors une démarche beaucoup plus simple et beaucoup moins traumatisante pour les futurs parents. D’un point de vue éthique, il est également moins choquant de choisir à ce stade très précoce et en laboratoire un embryon non-porteur de la maladie, plutôt que d’éliminer un embryon de plusieurs semaines, voire un fœtus, qui s’est déjà développé dans le ventre de sa mère.

Rappelons que la réalisation d’un diagnostic préimplantatoire reste un choix absolument libre de la part des couples porteurs de maladies génétiques graves et incurables, de la même manière que le diagnostic prénatal ne leur est pas imposé. Il s’agit simplement, pour ceux d’entre eux qui ne veulent pas transmettre la maladie génétique dont ils sont porteurs, de pouvoir réaliser le diagnostic plus tôt, afin d’éviter un avortement ultérieur.

Le diagnostic préimplantatoire est pratiqué dans le monde depuis une vingtaine d’années. Une dizaine de pays européens l’autorise, comme l’Espagne, les Pays-Bas ou la Belgique. Actuellement, les couples suisses susceptibles de transmettre une maladie génétique grave et disposant des moyens suffisants sont nombreux à se déplacer en Europe pour accéder au diagnostic préimplantatoire, du fait de l’impossibilité de le réaliser en Suisse. Ceci constitue évidemment une inégalité de traitement avec les couples qui ne peuvent pas se le permettre financièrement. La procréation médicalement assistée est très coûteuse et n’est pas remboursée par les assurances, malgré les grandes souffrances que peuvent susciter les problèmes de stérilité au sein d’un couple. Cette situation resterait inchangée avec l’autorisation du diagnostic préimplantatoire, qui ne serait pas non plus financé par les assurances.

Ouvrir le diagnostic préimplantatoire aux autres couples en procédure de procréation médicalement assistée ?

L’accès au diagnostic préimplantatoire pour les couples pouvant transmettre une maladie génétique grave est relativement peu contesté. Au départ, le Conseil fédéral comptait ne pas ouvrir cette pratique à d’autres cas. Le parlement en a cependant décidé autrement dans le cadre de la loi. En effet, celle-ci offrirait l’accès au diagnostic préimplantatoire à tous les couples pouvant bénéficier d’une procédure de procréation médicalement assistée, à savoir à tous les couples souffrant de problèmes de stérilité, et pas seulement à ceux qui risquent de transmettre une maladie génétique grave à leur enfant. Le diagnostic préimplantatoire permettrait alors de détecter de potentielles anomalies chromosomiques, dont la trisomie 21 est l’exemple le plus connu. Aujourd’hui, nombreux sont les couples souffrant de problèmes de stérilité – et ayant donc recours à la procréation assistée – en lien avec leur âge. Ces couples présentent un risque beaucoup plus important d’avoir un enfant souffrant d’anomalies chromosomiques, puisque celles-ci augmentent drastiquement avec l’âge des parents et, en particulier, celui de la mère.

Ceux qui, parmi ces couples, ne se sentent pas prêts à assumer un enfant handicapé peuvent, actuellement déjà, réaliser un diagnostic prénatal et, le cas échéant, décider d’interrompre la grossesse. La situation est donc semblable à celle des couples pouvant transmettre une maladie génétique grave : l’autorisation du diagnostic préimplantatoire permet seulement, à ceux qui le souhaitent, d’éviter un avortement en sélectionnant un embryon ne présentant pas d’anomalie chromosomique. De plus, la possibilité de sélectionner un embryon exempt d’anomalie chromosomique réduit les risques de fausse-couche et augmente donc les chances, pour les femmes concernées, de mener à bien leur grossesse, qui advient souvent après de nombreuses tentatives pénibles et infructueuses de procréation médicalement assistée.

Précisons encore une fois que cette option ne serait pas offerte à tous les couples, mais seulement à ceux qui ont recours à une procédure de procréation assistée, c’est-à-dire aux couples présentant des problèmes de stérilité. Il est pertinent de maintenir cette limitation. Tout d’abord, la procréation assistée est une procédure longue, incertaine, douloureuse et ardue, surtout pour la future mère. Elle doit rester réservée au cas de stérilité, comme le prescrit actuellement la loi. Ensuite, il est d’autant plus important pour ceux de ces couples qui ne se sentent pas prêts à élever un enfant handicapé et qui passent déjà par de graves difficultés pour aboutir à une grossesse, de pouvoir éviter un avortement qui, outre le traumatisme qui lui est directement lié, signifierait le retour à une nouvelle procédure de procréation médicalement assistée pénible et sans garantie de succès.

Les citoyens qui ne souhaitent pas autoriser le diagnostic préimplantatoire à tous les couples souffrant de problèmes de stérilité, mais qui veulent néanmoins que les couples porteurs de maladie génétique grave et incurable puissent en bénéficier, pourront l’exprimer en acceptant l’article constitutionnel le 14 juin prochain, mais en refusant la loi lors du vote donnant suite au référendum.

Une question de responsabilité envers nos enfants et non de droit à un enfant parfait

Pour ma part, je considère que tant l’article constitutionnel que la loi d’application méritent d’être soutenus:

–        Il ne s’agit pas d’autoriser tout et n’importe quoi, et ceux qui crient à l’eugénisme font preuve d’une exagération coupable. Le diagnostic préimplantatoire reste lié à la procréation médicalement assistée, qui ne concerne qu’un nombre limité de couples, selon les critères très stricts de la loi sur la procréation médicalement assistée. Seules les maladies génétiques graves et incurables et, dans le cas de l’acceptation de la loi, les anomalies chromosomiques, peuvent en outre être détectées. Il ne s’agit en aucun cas de sélectionner des embryons sur des critères de sexe ou de tout autre particularité. Tant la Constitution que la loi l’interdisent. Enfin, cette démarche reste complètement volontaire, tout comme l’est actuellement le diagnostic prénatal.

–        Le but du diagnostic préimplantatoire n’est pas de produire des enfants parfaits, mais de soulager les angoisses légitimes des couples qui ne veulent pas transmettre une maladie grave et incurable à leur enfant ainsi que, si la loi d’application est acceptée, des couples contraints à une procédure de procréation assistée et qui ne se sentent pas prêts à assumer un enfant handicapé. Ces futurs parents peuvent aujourd’hui déjà recourir au diagnostic prénatal qui peut déboucher, dans le cas de la transmission de la maladie génétique grave ou d’une anomalie chromosomique, sur un avortement. Je me battrai toujours pour que les femmes qui le souhaitent aient le droit d’avorter. Cependant, je considère qu’il s’agit d’un acte lourd que l’on devrait essayer d’éviter dans la mesure du possible. Le diagnostic préimplantatoire permet de le faire dans un certain nombre de cas. Le système actuel est complètement absurde, puisqu’on ne peut pas sélectionner un embryon de quelques cellules, alors que l’on peut interrompre une grossesse, ce qui signifie détruire un embryon, voire un fœtus, de plusieurs semaines. Cela doit changer.

–        La réalisation de diagnostics préimplantatoires, même dans le cas où ils seraient également appliqués aux anomalies chromosomiques, ne signifie pas qu’il n’y aura plus d’enfants différents ou qu’il y aura moins de respect pour les personnes handicapées. Tout d’abord, le diagnostic préimplantatoire ne concerne qu’un nombre limité de maladies génétiques graves voire, dans le cas d’une application plus large, d’anomalies chromosomiques. Ensuite, il n’est accessible qu’à un nombre restreint de couples (pour rappel, seules 2'000 naissances par an sur 80'000 sont liées à la procréation médicalement assistée) et tous ces couples n’y auront pas recours, puisque cela relève de leur libre choix. Enfin, les couples qui, aujourd’hui déjà, ne veulent pas mettre au monde un enfant auquel ils auraient transmis une maladie génétique grave ou souffrant d’une anomalie génétique, peuvent bénéficier d’un diagnostic prénatal et interrompre la grossesse. Par ailleurs, le fait qu’il y ait plus ou moins de personnes différentes ou handicapées ne joue aucun rôle par rapport à notre responsabilité de leur assurer à toutes et à tous une vie digne et à leur témoigner le même respect qu’à une personne en pleine santé. Il s’agit d’un devoir éthique fondamental, qui reste valable en tout temps et le serait encore même si une seule personne au monde était affectée de handicap.

Pour conclure, j’aimerais citer mon collègue Luc Recordon, lui-même handicapé, mais favorable tant à l’article constitutionnel qu’à la loi:

«  Il ne saurait être question d’un droit à un enfant sain. En revanche, il y a une obligation, pour la société, de permettre aux gens d’exercer leur responsabilité avec le plus d’éléments possible en main vis-à-vis du futur enfant potentiel. Car que direz-vous et que dirai-je, moi qui suis lourdement handicapé, si j’avais un enfant pour lequel je n’aurais pas pris toutes les précautions pour qu’il naisse dans le meilleur état possible, ou fait, au besoin, en toute connaissance de cause, le choix d’accepter ou de refuser d’avoir un enfant ? Que pourrai-je répondre ensuite à l’enfant qui me dirait « Tu m’as laissé venir au monde alors que tu savais, étant donné ton histoire génétique personnelle, que je risquais d’avoir ceci ou cela ? » Je ne peux pas m’imaginer que j’aurais pu prendre cette responsabilité sans avoir tout fait, en connaissance de cause, pour assumer ma responsabilité face à un éventuel enfant. Ce n’est donc pas une histoire de droit, c’est une histoire de responsabilité face à lui, y compris de la responsabilité de lui dire « Je savais qu’il y avait un handicap et, pour des raisons qui m’appartiennent et que je peux t’expliquer, en toute connaissance de cause, j’ai choisi que tu viennes au monde ».