Nous voterons le 14 juin prochain sur le diagnostic préimplantatoire. Il s’agit de modifier la Constitution afin qu’il devienne possible, dans le cadre d’une procédure de procréation assistée, de sélectionner l’embryon qui sera implanté dans l’utérus de la future mère, sur la base d’un diagnostic préimplantatoire. Actuellement, la Constitution ne permet pas de produire assez d’embryons, ni de les garder assez longtemps, pour qu’une telle analyse puisse se faire.
Le cas de ce vote est assez particulier dans la mesure où la loi d’application liée à la modification constitutionnelle a déjà été débattue et validée par le parlement. Ses opposants ont cependant annoncé qu’ils la combattraient en référendum. Nous voterons donc en deux fois. Le 14 juin, seule la modification de la Constitution nous sera soumise, à savoir la décision de principe d’autoriser le diagnostic préimplantatoire. Si ce vote est positif, nous voterons dans un deuxième temps, car l’aboutissement du référendum fait peu de doutes, sur la loi d’application. Nous pourrons alors dire si nous acceptons la manière dont le parlement a voulu appliquer la nouvelle disposition constitutionnelle, ou s’il doit revoir la loi pour rendre l’application de l’article constitutionnel plus restrictive.
Le diagnostic préimplantatoire soulage les couples porteurs de maladies génétiques graves
Si le sujet soulève des discussions très émotionnelles, il ne concerne en réalité que peu de personnes à titre direct. Le diagnostic préimplantatoire n’est en effet possible que dans le cadre d’une procédure de procréation assistée. Ces procédures sont soumises, selon la Loi sur la procréation médicalement assistée, à des critères très stricts et ne sont accessibles qu’aux couples souffrant de problèmes de stérilité. Actuellement, cela correspond à environ 2'000 naissances sur 80'000 par an.
Le diagnostic préimplantatoire vise avant tout les couples qui sont susceptibles de transmettre une maladie génétique grave et incurable. Des embryons sont créés via la fécondation in vitro. Alors qu’ils ne comportent qu’une dizaine de cellules, ils sont analysés, et l’on implante dans l’utérus de la future mère un embryon dont on a pu vérifier qu’il ne serait pas atteint par la maladie génétique dont ses parents sont porteurs. Les futurs parents sont dès lors libérés de l’angoisse de transmettre à leur descendant la terrible maladie dont ils souffrent eux-mêmes ou dont ils ne sont parfois que des porteurs sains. On évalue le nombre de cas concerné à 50 à 100 par an.
Les pathologies détectées par le diagnostic préimplantatoire sont d’ores et déjà détectables, de manière légalement autorisée, dans le cadre d’un diagnostic prénatal, effectué sur un embryon en développement dans le ventre de sa mère. Dans le cas où les futurs parents apprennent ainsi qu’ils ont transmis leur maladie génétique à leur enfant à naître, il leur reste le choix d’une interruption volontaire de grossesse. Le cas échéant, celle-ci constitue une intervention intrusive et violente pour les deux parents et, en particulier bien sûr, pour la femme. La réalisation d’un diagnostic avant même le début de la grossesse, sur un embryon de quelques cellules, et l’implantation d’un embryon dont on sait qu’il ne sera pas porteur de la maladie, constitue dès lors une démarche beaucoup plus simple et beaucoup moins traumatisante pour les futurs parents. D’un point de vue éthique, il est également moins choquant de choisir à ce stade très précoce et en laboratoire un embryon non-porteur de la maladie, plutôt que d’éliminer un embryon de plusieurs semaines, voire un fœtus, qui s’est déjà développé dans le ventre de sa mère.
Rappelons que la réalisation d’un diagnostic préimplantatoire reste un choix absolument libre de la part des couples porteurs de maladies génétiques graves et incurables, de la même manière que le diagnostic prénatal ne leur est pas imposé. Il s’agit simplement, pour ceux d’entre eux qui ne veulent pas transmettre la maladie génétique dont ils sont porteurs, de pouvoir réaliser le diagnostic plus tôt, afin d’éviter un avortement ultérieur.
Le diagnostic préimplantatoire est pratiqué dans le monde depuis une vingtaine d’années. Une dizaine de pays européens l’autorise, comme l’Espagne, les Pays-Bas ou la Belgique. Actuellement, les couples suisses susceptibles de transmettre une maladie génétique grave et disposant des moyens suffisants sont nombreux à se déplacer en Europe pour accéder au diagnostic préimplantatoire, du fait de l’impossibilité de le réaliser en Suisse. Ceci constitue évidemment une inégalité de traitement avec les couples qui ne peuvent pas se le permettre financièrement. La procréation médicalement assistée est très coûteuse et n’est pas remboursée par les assurances, malgré les grandes souffrances que peuvent susciter les problèmes de stérilité au sein d’un couple. Cette situation resterait inchangée avec l’autorisation du diagnostic préimplantatoire, qui ne serait pas non plus financé par les assurances.
Ouvrir le diagnostic préimplantatoire aux autres couples en procédure de procréation médicalement assistée ?
L’accès au diagnostic préimplantatoire pour les couples pouvant transmettre une maladie génétique grave est relativement peu contesté. Au départ, le Conseil fédéral comptait ne pas ouvrir cette pratique à d’autres cas. Le parlement en a cependant décidé autrement dans le cadre de la loi. En effet, celle-ci offrirait l’accès au diagnostic préimplantatoire à tous les couples pouvant bénéficier d’une procédure de procréation médicalement assistée, à savoir à tous les couples souffrant de problèmes de stérilité, et pas seulement à ceux qui risquent de transmettre une maladie génétique grave à leur enfant. Le diagnostic préimplantatoire permettrait alors de détecter de potentielles anomalies chromosomiques, dont la trisomie 21 est l’exemple le plus connu. Aujourd’hui, nombreux sont les couples souffrant de problèmes de stérilité – et ayant donc recours à la procréation assistée – en lien avec leur âge. Ces couples présentent un risque beaucoup plus important d’avoir un enfant souffrant d’anomalies chromosomiques, puisque celles-ci augmentent drastiquement avec l’âge des parents et, en particulier, celui de la mère.
Ceux qui, parmi ces couples, ne se sentent pas prêts à assumer un enfant handicapé peuvent, actuellement déjà, réaliser un diagnostic prénatal et, le cas échéant, décider d’interrompre la grossesse. La situation est donc semblable à celle des couples pouvant transmettre une maladie génétique grave : l’autorisation du diagnostic préimplantatoire permet seulement, à ceux qui le souhaitent, d’éviter un avortement en sélectionnant un embryon ne présentant pas d’anomalie chromosomique. De plus, la possibilité de sélectionner un embryon exempt d’anomalie chromosomique réduit les risques de fausse-couche et augmente donc les chances, pour les femmes concernées, de mener à bien leur grossesse, qui advient souvent après de nombreuses tentatives pénibles et infructueuses de procréation médicalement assistée.
Précisons encore une fois que cette option ne serait pas offerte à tous les couples, mais seulement à ceux qui ont recours à une procédure de procréation assistée, c’est-à-dire aux couples présentant des problèmes de stérilité. Il est pertinent de maintenir cette limitation. Tout d’abord, la procréation assistée est une procédure longue, incertaine, douloureuse et ardue, surtout pour la future mère. Elle doit rester réservée au cas de stérilité, comme le prescrit actuellement la loi. Ensuite, il est d’autant plus important pour ceux de ces couples qui ne se sentent pas prêts à élever un enfant handicapé et qui passent déjà par de graves difficultés pour aboutir à une grossesse, de pouvoir éviter un avortement qui, outre le traumatisme qui lui est directement lié, signifierait le retour à une nouvelle procédure de procréation médicalement assistée pénible et sans garantie de succès.
Les citoyens qui ne souhaitent pas autoriser le diagnostic préimplantatoire à tous les couples souffrant de problèmes de stérilité, mais qui veulent néanmoins que les couples porteurs de maladie génétique grave et incurable puissent en bénéficier, pourront l’exprimer en acceptant l’article constitutionnel le 14 juin prochain, mais en refusant la loi lors du vote donnant suite au référendum.
Une question de responsabilité envers nos enfants et non de droit à un enfant parfait
Pour ma part, je considère que tant l’article constitutionnel que la loi d’application méritent d’être soutenus:
– Il ne s’agit pas d’autoriser tout et n’importe quoi, et ceux qui crient à l’eugénisme font preuve d’une exagération coupable. Le diagnostic préimplantatoire reste lié à la procréation médicalement assistée, qui ne concerne qu’un nombre limité de couples, selon les critères très stricts de la loi sur la procréation médicalement assistée. Seules les maladies génétiques graves et incurables et, dans le cas de l’acceptation de la loi, les anomalies chromosomiques, peuvent en outre être détectées. Il ne s’agit en aucun cas de sélectionner des embryons sur des critères de sexe ou de tout autre particularité. Tant la Constitution que la loi l’interdisent. Enfin, cette démarche reste complètement volontaire, tout comme l’est actuellement le diagnostic prénatal.
– Le but du diagnostic préimplantatoire n’est pas de produire des enfants parfaits, mais de soulager les angoisses légitimes des couples qui ne veulent pas transmettre une maladie grave et incurable à leur enfant ainsi que, si la loi d’application est acceptée, des couples contraints à une procédure de procréation assistée et qui ne se sentent pas prêts à assumer un enfant handicapé. Ces futurs parents peuvent aujourd’hui déjà recourir au diagnostic prénatal qui peut déboucher, dans le cas de la transmission de la maladie génétique grave ou d’une anomalie chromosomique, sur un avortement. Je me battrai toujours pour que les femmes qui le souhaitent aient le droit d’avorter. Cependant, je considère qu’il s’agit d’un acte lourd que l’on devrait essayer d’éviter dans la mesure du possible. Le diagnostic préimplantatoire permet de le faire dans un certain nombre de cas. Le système actuel est complètement absurde, puisqu’on ne peut pas sélectionner un embryon de quelques cellules, alors que l’on peut interrompre une grossesse, ce qui signifie détruire un embryon, voire un fœtus, de plusieurs semaines. Cela doit changer.
– La réalisation de diagnostics préimplantatoires, même dans le cas où ils seraient également appliqués aux anomalies chromosomiques, ne signifie pas qu’il n’y aura plus d’enfants différents ou qu’il y aura moins de respect pour les personnes handicapées. Tout d’abord, le diagnostic préimplantatoire ne concerne qu’un nombre limité de maladies génétiques graves voire, dans le cas d’une application plus large, d’anomalies chromosomiques. Ensuite, il n’est accessible qu’à un nombre restreint de couples (pour rappel, seules 2'000 naissances par an sur 80'000 sont liées à la procréation médicalement assistée) et tous ces couples n’y auront pas recours, puisque cela relève de leur libre choix. Enfin, les couples qui, aujourd’hui déjà, ne veulent pas mettre au monde un enfant auquel ils auraient transmis une maladie génétique grave ou souffrant d’une anomalie génétique, peuvent bénéficier d’un diagnostic prénatal et interrompre la grossesse. Par ailleurs, le fait qu’il y ait plus ou moins de personnes différentes ou handicapées ne joue aucun rôle par rapport à notre responsabilité de leur assurer à toutes et à tous une vie digne et à leur témoigner le même respect qu’à une personne en pleine santé. Il s’agit d’un devoir éthique fondamental, qui reste valable en tout temps et le serait encore même si une seule personne au monde était affectée de handicap.
Pour conclure, j’aimerais citer mon collègue Luc Recordon, lui-même handicapé, mais favorable tant à l’article constitutionnel qu’à la loi:
« Il ne saurait être question d’un droit à un enfant sain. En revanche, il y a une obligation, pour la société, de permettre aux gens d’exercer leur responsabilité avec le plus d’éléments possible en main vis-à-vis du futur enfant potentiel. Car que direz-vous et que dirai-je, moi qui suis lourdement handicapé, si j’avais un enfant pour lequel je n’aurais pas pris toutes les précautions pour qu’il naisse dans le meilleur état possible, ou fait, au besoin, en toute connaissance de cause, le choix d’accepter ou de refuser d’avoir un enfant ? Que pourrai-je répondre ensuite à l’enfant qui me dirait « Tu m’as laissé venir au monde alors que tu savais, étant donné ton histoire génétique personnelle, que je risquais d’avoir ceci ou cela ? » Je ne peux pas m’imaginer que j’aurais pu prendre cette responsabilité sans avoir tout fait, en connaissance de cause, pour assumer ma responsabilité face à un éventuel enfant. Ce n’est donc pas une histoire de droit, c’est une histoire de responsabilité face à lui, y compris de la responsabilité de lui dire « Je savais qu’il y avait un handicap et, pour des raisons qui m’appartiennent et que je peux t’expliquer, en toute connaissance de cause, j’ai choisi que tu viennes au monde ».