En ce moment, c’est le passeport vaccinal qui est au cœur de nos préoccupations. Pourtant, un autre type de certification est en préparation, qui pourrait aussi nous être fort utile à l’avenir. Il s’agit des passeports pour les produits ou pour les matériaux. La Commission européenne travaille en effet à la création de tels passeports dans le cadre de son plan d’action pour l’économie circulaire et de sa politique pour des produits durables. Ces certificats pourraient être introduits sous forme numérique dans le cadre de la Stratégie européenne pour les données. L’Union européenne finance par ailleurs le projet de base de données BAMB (Building As Material Bank), qui vise la création de tels passeports dans le domaine spécifique de la construction.
Ces passeports produits ou matériaux devraient notamment fournir des informations sur l’origine, la durabilité, la composition, les possibilités de réutilisation, de réparation et de démantèlement des produits et matériaux, ainsi que sur leur traitement en fin de vie. De telles informations sont indispensables pour exploiter le potentiel de l’économie circulaire en matière de gestion durable des ressources. Actuellement, non seulement les produits ne sont pas du tout conçus, à leur origine, pour nous permettre de fermer les cycles de vie des matériaux, mais la plus grande opacité règne sur l’identité de leurs matériaux. Nous avons donc non seulement besoin de plus d’écoconception, mais aussi de plus de transparence et de traçabilité. Ce n’est qu’en connaissant les propriétés exactes des composants des produits, que nous pourrons envisager des solutions concrètes et adaptées pour les revaloriser, que ces solutions passent par les branches économiques ou par l’État.
Les passeports produits ou matériaux améliorent ainsi la transparence tout au long des chaines de valeurs, permettent d’inventorier les ressources disponibles, ainsi que leur qualité, et facilitent leur réutilisation, tout comme la mise en place de systèmes de reprise. Elles rendent ainsi possible le développement de nouveaux modèles d’affaire. Si nous pouvons considérer la montagne de déchets que nous générons aujourd’hui comme un réservoir de ressources utiles, que nous pouvons identifier, il y a un intérêt économique certain – en plus du bénéfice écologique – à les exploiter. C’est la perspective de l’«urban mining», qui nous permet en plus, dans un pays comme la Suisse, de devenir moins dépendants des importations de matières premières. La technologie des blockchains pourrait faciliter l’utilisation de ces instruments. En effet, un nombre considérable d’informations et de données devrait être stabilisé et sécurisé. Ceci génère évidemment de nombreuses questions qui restent à clarifier, notamment en matière de gouvernance des données.
Dans la mesure où la Commission européenne avance dans cette direction, il serait souhaitable que la Suisse se tienne informée sur ces développements et cherche à y être associée. En effet, une fois que ces passeports produits ou matériaux seront mis en place, la Suisse sera plus ou moins contrainte de les utiliser. Avec un marché aussi restreint que le nôtre, et l’importance de nos échanges économiques avec l’Union européenne, développer un système propre n’aurait aucun sens.
J’ai dès lors interpellé le Conseil fédéral pour savoir s’il considère lui aussi que la mise en place d’un système de passeports pour les produits ou les matériaux serait judicieuse, dans une perspective d’économie circulaire. Il s’agit surtout de savoir si et comment notre pays se prépare à la mise en place de tels instruments par la Commission européenne. Il serait judicieux que le Conseil fédéral se tienne informé, voire cherche à être associé à ces démarches. Ce serait aussi utile d’identifier les secteurs économiques potentiellement concernés dans notre pays et de mener une réflexion avec eux sur la manière dont ils pourraient bénéficier de ces passeports. Il faudrait aussi identifier avec eux les freins éventuels, ainsi que leurs besoins spécifiques dans ce contexte. Enfin, les Hautes Écoles devraient être associées à ces réflexions. Dans ce domaine exigeant d’importantes compétences techniques et spécialisées, leur apport est indispensable.
Le Conseil fédéral devrait par ailleurs évaluer l’impact de la mise en place de ces passeports produits ou matériaux sur nos bases légales, ordonnances, standards, normes et règlements. Certains d’entre eux pourraient en effet constituer des obstacles et des adaptations seront probablement nécessaires.
Pour terminer, ces démarches pourraient être intégrées dans notre Stratégie numérique. Celle-ci vient d’être renouvelée, mais elle est malheureusement, tout comme la précédente, singulièrement décevante en matière écologique. L’économie circulaire n’y est en particulier pas citée, alors que son application exigera sans aucun doute une mise à contribution importante des technologies numériques, les passeports produits ou matériaux n’en étant qu’un exemple parmi d’autres.