Pourquoi il vaut mieux réduire (ou compenser) nos émissions de CO2 en Suisse

Lors des débats sur la Loi sur le CO2 au Conseil national, la fixation d’un taux minimal de réduction des émissions de CO2 à réaliser en Suisse s’est avérée centrale. C’est notamment le refus par l’UDC et le PLR de fixer un tel taux minimal, qui a vidé la loi de sa substance et mené à son refus, au profit de la version initiale du texte proposée par le Conseil fédéral. Celle-ci exigeait en effet que 60 % au moins des réductions des émissions de CO2 soient réalisées sur notre territoire. Pourquoi cet enjeu est-il aussi important ?

Compenser à l’étranger: un reliquat du Protocole de Kyoto

Les compensations de CO2 existaient déjà dans le cadre du Protocole de Kyoto, qui a régi les politiques climatiques internationales jusqu’à 2012. Il s’agit d’un mécanisme de flexibilité, qui n’est pas absurde en soi : il peut coûter moins cher de réduire la même quantité d’émissions de CO2 ailleurs que dans un pays riche et développé comme la Suisse. Puisque le changement climatique est un enjeu global et que le CO2 n’a pas de frontières, pourquoi ne pas investir de l’argent suisse pour réduire nos émissions ailleurs, dans une région où cette réduction est plus avantageuse ? Comme c’est la Suisse qui la finance, cette réduction est ensuite rapportée à son propre « compte CO2 », grâce auquel notre pays évalue l’atteinte des objectifs qu’il s’est fixés. Sous l’égide du Protocole de Kyoto, la Suisse a précisément utilisé ce mécanisme pour compléter les faibles mesures qu’elle avait prévues sur son propre territoire, qui ne lui auraient pas permis, seules, d’atteindre ses objectifs.

Après l’échéance du Protocole de Kyoto, les compensations sont restées d’actualité. Le projet de révision de la Loi sur le CO2 actuellement débattu au parlement repose largement sur la possibilité de réaliser des compensations, parfois en lien avec un marché d’échange de quotas d’émissions. Certaines entreprises exemptées de la taxe CO2 sur les combustibles sont concernées, tout comme le domaine de la mobilité. L’essence n’étant pas affectée par la taxe CO2, un système d’obligation de compenser une partie des émissions générées par la mobilité a été imposé aux importateurs de carburants. Le coût de ces compensations est répercuté sur le prix de l’essence : c’est le « centime climatique ». L’un des objectifs de la révision de la loi est d’augmenter la part des émissions que les importateurs seront tenus de compenser dès 2020. Une part minimale doit être réalisée en Suisse, mais le système repose également sur des compensations à l’étranger. Par ailleurs, des mesures de ce type sont prévues à terme pour le domaine de l’aviation.

Une difficulté : le respect du principe d’additionnalité

Pour que les compensations débouchent sur une réduction nette des émissions de CO2, il faut cependant que la réduction financée par le pays tiers soit additionnelle. Cela signifie que l’on doit pouvoir prouver que, sans la transaction en question, la réduction des émissions n’aurait pas eu lieu. Ceci est évidemment très difficile à évaluer, en particulier pour des projets ayant lieu à l’autre bout du monde. D’autre part, la dite réduction ne doit pas être comptabilisée à deux reprises, c’est-à-dire à la fois dans le pays où elle a lieu et dans le pays qui l’a financée. Cette difficulté n’existait pas à l’époque du Protocole de Kyoto, puisqu’il n’avait été ratifié que par un nombre restreint de pays développés. Les pays plus pauvres, où la plupart des compensations sont situées, n’étaient donc pas soumis à des objectifs de réduction de leurs émissions. Avec l’Accord de Paris, par contre, la question du « double comptage » des réductions d’émissions de CO2 devient centrale, puisque tous les pays sont désormais tenus de réduire leurs émissions et d’en effectuer la comptabilité. Le sujet a été débattu lors de la dernière COP24 à Katowice, sans qu’une solution soit trouvée entre les parties.

Un mauvais calcul économique : mieux vaut investir sur place

Outre les difficultés liées à l’exigence d’additionnalité et au risque de double comptage, les compensations à l’étranger constituent un mauvais calcul économique à deux titres. Ce mauvais calcul est lié à un préjugé encore très répandu, en particulier dans les milieux de droite qui veulent favoriser cet instrument. Ce préjugé veut que l’écologie soit par principe défavorable à l’économie et que, dès lors, réduire nos émissions de CO2 soit un fardeau qu’il faut tenter à tout prix de renvoyer à d’autres. Or ceci est erroné. En effet, pour réduire nos émissions de CO2, nous ne dépensons pas de l’argent à fonds perdus, mais nous l’investissons dans notre avenir, à savoir dans la modernisation de nos infrastructures et de nos systèmes de production, pour les rendre plus efficients et passer aux dernières technologies énergétiques. La Suisse n’est pas un pays producteur de pétrole, de charbon ou de gaz. Elle n’a donc rien à perdre de l’abandon de ces sources d’énergie. Notre principale ressource est l’innovation et c’est une chance, car elle constitue précisément la clé de la transition énergétique. En voulant réduire nos émissions ailleurs, nous nous privons donc d’autant d’investissements nécessaires dans nos propres frontières, et risquons ainsi de maintenir notre parc automobile, nos infrastructures de transports, nos bâtiments et nos entreprises dans un état d’obsolescence et d’inefficience énergétiques. Ceci a un coût écologique, mais aussi, à terme, financier.

Par ailleurs, l’argument du coût plus bas des compensations à l’étranger, régulièrement évoqué par leurs défenseurs, risque de ne plus être aussi valable avec le temps. Il était en effet justifié à l’époque du Protocole de Kyoto, alors que les pays en développement n’avaient pas d’objectifs spécifiques et ne réalisaient pas ou peu leurs propres projets de réduction des émissions de CO2. Aujourd’hui, ils sont également concernés par l’Accord de Paris et doivent prendre des mesures sur leur propre territoire. Une étude de l’administration fédérale, portant sur les compensations de CO2 dans le domaine de la mobilité, a montré que les coûts de ces compensations à l’étranger allaient augmenter, car les pays en développement vont réaliser pour leur propre compte les réductions d’émissions de CO2 les meilleur marché, laissant aux autres pays celles qui sont plus complexes et onéreuses. L’avantage financier actuel devrait donc se réduire progressivement.

Assumer nos responsabilités sur notre territoire : un principe éthique

Au-delà de ces considérations techniques ou économiques, reste l’enjeu éthique lié à notre responsabilité. Le principe des compensations de CO2 à l’étranger, c’est finalement de payer pour que d’autres réduisent leurs émissions de CO2 à notre place, en espérant que cela nous coûtera moins cher. Honnêtement, ce n’est pas très glorieux de la part d’un des pays du monde les plus riches et les plus avancés technologiquement. Les réductions de CO2 sont, en tous les cas pour le moment, moins chères à l’étranger ? Alors laissons les pays moins privilégiés que nous les réaliser eux-mêmes et occupons-nous de nos propres émissions, que nous avons tout à fait les moyens de gérer.

« Et le soutien que nous devons aux pays moins développés ? », diront encore, la main sur le cœur, les défenseurs des compensations à l’étranger. Il se trouve qu’un tel soutien est prévu dans le cadre de l’Accord de Paris, sous la forme d’un Fonds pour le climat, qui devrait aider les pays défavorisés à réaliser la transition énergétique et à gérer les conséquences déjà effectives du changement climatique. Les pays industrialisés se sont engagés à débloquer à cet effet 100 milliards de dollars par an dès 2020. Or la Suisse traine les pieds : jusqu’à présent, elle a contribué à ce fonds en puisant principalement dans ses budgets déjà existants d’aide au développement. Il est urgent de trouver des moyens de financement supplémentaires, car ces soutiens climatiques ne doivent pas concurrencer les autres programmes d’aide au développement affectés à des thématiques spécifiques, comme l’éducation ou la santé, même si des synergies peuvent bien sûr exister et être exploitées.

Privilégier les réductions directes: un gage d’efficacité

Il ne s’agit pas de condamner tout mécanisme de flexibilité, mais l’on voit bien que ceux qui impliquent des compensations de CO2 à l’étranger posent des difficultés. Il est donc légitime d’en limiter la portée dans le cadre de la Loi sur le CO2 et il faut espérer que le Conseil des Etats, qui traite actuellement la loi, restera sur cette ligne. Il est plus fiable de se concentrer sur des compensations réalisées le plus possible sur place, si des compensations sont nécessaires. Mieux encore, nous devons miser avant tout sur des réductions directes de nos émissions de CO2, dont on est sûr de l’efficacité et qui constituent en outre un investissement dont nous bénéficierons tous.

Parallèlement à cela, nous devons bien sûr aider les pays pauvres à s’adapter au changement climatique et à s’émanciper des énergies fossiles. Mais cela ne doit pas se faire à la place de la réduction de nos propres émissions de CO2 sur notre territoire, ou à la place d’autres programmes d’aide au développement. Ce soutien doit avoir lieu en plus, via l’instrument prévu à cet effet dans le cadre de l’Accord de Paris. Là encore, c’est la notion d’additionnalité qui est centrale.

Circular Economy Switzerland : un mouvement pour l’économie de demain

Le mouvement Circular Economy Switzerland (https://www.circular-economy-switzerland.ch) a été lancé le 5 février à Bâle. Son but est de promouvoir l’économie circulaire en Suisse, afin de gérer plus durablement nos ressources. Le défi est de taille, car notre économie fonctionne aujourd’hui de manière très linéaire : on extrait les matières premières, on en fait des produits de masse, le plus souvent conçus pour être vendus à bon marché et remplacés rapidement, puis on les jette. Ce processus génère un gigantesque gaspillage de matières premières et d’énergie, de la pollution et des montagnes de déchets. L’économie circulaire vise au contraire un fonctionnement cyclique : un maximum de matériaux doit être économisé ou revalorisé dans de nouveaux cycles d’utilisation. On cherche d’abord à réduire l’utilisation de ressources, puis à optimiser la durée de vie et d’usage des produits, avant d’envisager enfin le recyclage de leurs composants.

Des petits pas pour l’économie circulaire au niveau fédéral

La Suisse est l’un des plus gros producteurs de déchets par habitant d’Europe, même si nous fûmes des pionniers du recyclage. Il y a donc à faire ! Au niveau politique, une première discussion a eu lieu grâce à l’initiative pour une économie verte, qui voulait inscrire les principes de l’économie circulaire dans la Constitution. Depuis, des progrès ont été faits au niveau de certaines matières premières, comme le phosphore, que l’on peut extraire des eaux usées pour répondre aux besoins de l’agriculture. Le Conseil fédéral a aussi répondu positivement à plusieurs demandes issues du parlement : il prépare une étude sur les incitations fiscales qui pourraient favoriser l’économie circulaire, sur demande de mon collègue Beat Vonlanthen, et a accepté un postulat de ma part pour une stratégie de gestion durable des plastiques. Celle-ci impliquerait évidemment d’adopter une perspective circulaire pour ces matériaux.

Les villes et les cantons innovent

Dans les villes et les cantons, les collectivités publiques vont aussi de l’avant. A Genève, l’Etat organise une coordination entre les entreprises et industries, pour qu’elles bénéficient de services partagés et que les déchets des unes puissent devenir les ressources des autres. La plateforme www.genie.ch leur permet de connaître leurs besoins réciproques. Zurich s’est lancée dans l’«urban mining» et récupère, pour les revaloriser, les métaux restés dans les scories de son usine d’incinération. Ou encore, Yverdon met à disposition des consommateurs et des take-away de la ville des récipients réutilisables, pour éviter le gaspillage et le littering.

L’économie amorce la transition

L’économie ne reste pas inactive. Dans le domaine de la construction, par exemple, des entreprises comme Losinger Marazzi cherchent à concevoir en amont les bâtiments de manière à ménager les ressources et à favoriser la revalorisation des matériaux. Les magasins en vrac fleurissent un peu partout et la grande distribution se met à tester des solutions pour réduire les emballages. Dernier exemple, l’économie de fonctionnalité, qui propose aux consommateurs de payer pour l’usage des biens plutôt que de les posséder, devient un modèle d’affaire de plus en plus apprécié. Il ne s’agit plus seulement de partager des véhicules, mais aussi toutes sortes d’objets de la vie courante, des vêtements aux outils les plus spécialisés.

Un mouvement pour catalyser notre engagement

Il manquait en Suisse une plateforme pour permettre à tous ceux qui s’engagent pour l’économie circulaire d’échanger leurs idées et leurs pratiques. Circular Economy Switzerland répond à cette lacune. Le mouvement, financé par la MAVA et Migros Engagement, réunit des organisations fondatrices comme Impact Hub, PUSH ou sanu durabilitas, avec qui je collabore. Il met en relation les entreprises, les collectivités publiques et les organisations de la société civile. Il leur fournit les données dont elles ont besoin pour avancer, en travaillant avec les milieux de la recherche. Tous ensemble, nous construisons ainsi l’économie responsable, innovante et durable de demain.