On parle beaucoup ces derniers temps de risques de pénuries d’électricité et de sécurité de l’approvisionnement. La transition vers l’électromobilité fait partie des défis que nous devons gérer dans ce contexte. Elle est nécessaire, dans la mesure où nous devons cesser de brûler des énergies fossiles, que l’électromobilité semble pour le moment être la meilleure alternative, et que tous les trajets ne peuvent pas être réalisés en transports publics, à pied ou à vélo. Cependant, le passage à l’électromobilité devrait représenter une hausse de la consommation d’électricité de 15 à 20 %. Cela exige que nous développions massivement les énergies renouvelables, pour répondre quantitativement à cette demande supplémentaire, mais aussi parce que le mode de production de l’électricité consommée est décisif dans le bilan écologique des voitures électriques.
Outre cette exigence d’approvisionnement quantitatif en électricité propre, la transition vers l’électromobilité représente un défi pour la stabilité de notre approvisionnement. Celle-ci dépend en effet non seulement de la consommation globale, mais aussi des pics de consommation à un instant donné, auxquels on doit pouvoir répondre en permanence, en offrant la quantité d’énergie requise sur le réseau. La recharge simultanée de très nombreux véhicules électriques peut ainsi être problématique. De plus, les énergies renouvelables (principalement solaire et éolien) sont produites de manière intermittente. Comment peut-on équilibrer le réseau, de manière à ce que chacune et chacun puisse accéder à la quantité d’électricité dont il a besoin, au moment où il en a besoin ? Sur le moyen terme, des solutions de stockage existent (lacs de retenue de nos barrages, poids empilés par des grues, production d’hydrogène).
Cependant, il peut aussi se produire des déséquilibres à plus court terme, ou encore localement. Le « smart charging » constitue une première réponse de ce point de vue, en favorisant les recharges de véhicules électriques aux moments où le réseau dispose de suffisamment d’électricité. Des solutions de ce type sont d’ores et déjà offertes par certains gestionnaires de réseau. Elles permettent de piloter les recharges, afin d’éviter que trop d’entre elles aient lieu au même moment. A l’échelle d’un parking, cela permet aussi de ne pas dépasser la puissance électrique disponible dans le bâtiment et d’éviter de coûteuses augmentations de puissance pour le raccordement. De telles solutions sont nécessaires pour équilibrer le réseau, mais probablement pas suffisantes.
Les technologies de Vehicle to Grid (V2X) pourraient idéalement les compléter. Elles permettent aux véhicules électriques d’offrir de nouvelles opportunités pour le stockage intermédiaire flexible d’électricité renouvelable, ainsi que pour le délestage du réseau. Il s’agit de rendre possible, outre la recharge de la batterie du véhicule qui va de soi, sa décharge sur le réseau, le but étant d’utiliser cette option de décharge aux moments où une alimentation du réseau en électricité est nécessaire pour le stabiliser. Une telle solution serait loin d’être anecdotique en termes d’impact. En effet, la Suisse devrait compter, à partir de 2030, plus d’un million de voitures électriques. Le potentiel théorique de ces véhicules mis ensemble correspond, pendant une période certes limitée, à une puissance comparable à ce que fournissent les centrales nucléaires suisses.
Dans la mesure où les véhicules privés restent stationnés plus de 95 % du temps, il existerait une réelle opportunité de réaliser ce type d’opération, l’essentiel pour l’automobiliste étant que sa voiture soit suffisamment chargée au moment de son départ. Cette utilisation bidirectionnelle du courant électrique exige évidemment des stations de recharge spécifiques et des voitures compatibles. Heureusement, de nombreuses marques de bornes de recharge et de voitures ont annoncé récemment des modèles qui supportent ou supporteront bientôt le V2X.
L’Office fédéral de l’énergie s’intéresse depuis quelques années déjà à cette thématique et soutient différents projets de recherche, ainsi que des projets pilotes et de démonstration sur le sujet, dont les premiers résultats sont encourageants. Par exemple sur le site d’« Erlenmatt Ost », l’utilisation du V2X a démontré son impact positif sur l’autoconsommation et la réduction des pics de consommation. Le courant solaire excédentaire a notamment pu être stocké temporairement dans les batteries des voitures pendant la journée, pour être ensuite réinjecté dans le réseau local le soir.
Ces technologies posent cependant encore de nombreuses questions, que ce soit aux niveaux technique, financier ou encore législatif :
- Comment faciliter la tâche des gestionnaires de réseau qui tentent de mettre en place des solutions de « smart charging » ?
- Quels sont les avantages et les inconvénients des solutions de recharge bidirectionnelles et de stockage V2X, par rapport à des solutions de batteries de stockage stationnaires ?
- Quels sont les coûts de ces solutions et comment les financer ?
- Comment inciter les propriétaires de véhicules à adhérer à ce type de solutions ?
- Comment les tarifs de charge et la rémunération pour la réinjection du courant devraient-ils être conçus pour favoriser tant le « smart charging » que le V2X ?
- Comment intégrer ces nouvelles pratiques dans la gestion du réseau ?
- Quelles technologies pour des réseaux connectés et intelligents devraient accompagner la mise en œuvre du V2X ?
- La durée de vie des batteries sera-t-elle impactée ?
- A quel niveau du réseau de distribution cette flexibilité a-t-elle le plus d’avenir ?
- Quels aspects légaux devraient-ils être adaptés pour un déploiement optimal ?
Il pourrait en outre être pertinent d’explorer la manière dont les batteries de véhicules électriques pourraient être utilisées de manière stationnaire pour répondre à des enjeux comparables, lors de leur deuxième vie, alors qu’elles ne sont plus jugées assez performantes pour être utilisées sur des véhicules, mais qu’elles offrent une capacité de stockage qui peut encore être utile pour d’autres usages. Il s’agirait ainsi de les réutiliser avant de les recycler, dans une perspective d’économie circulaire. Des « fermes de batteries » commencent à être mises en place dans d’autres pays. Ce type de solution implique évidemment des avantages et des inconvénients qui mériteraient d’être mis en lumière.
C’est pour obtenir des réponses à ces nombreuses questions que j’ai déposé un postulat au Conseil des États, demandant au Conseil fédéral de réaliser un rapport sur le sujet. La réponse du Conseil fédéral devrait arriver d’ici au mois de septembre.