L’initiative pour la sortie programmée du nucléaire doit compléter la Stratégie énergétique

La Stratégie énergétique a enfin été votée par les chambres, plus de cinq ans après Fukushima. Elle constituait le contre-projet du Conseil fédéral à l’initiative pour la sortie programmée du nucléaire, lancée par les Verts juste après l’accident nucléaire. Pourtant, l’initiative sera soumise au peuple le 27 novembre prochain. En effet, la Stratégie énergétique, même si elle constitue un indiscutable progrès, ne permet pas de prendre congé du nucléaire dans des conditions économiques et de sécurité acceptables.

 

Malgré des objectifs de développement des énergies renouvelables revus à la baisse, la Stratégie énergétique permettra certes de réduire le blocage des investissements dans les énergies renouvelables, en augmentant les moyens de la rétribution à prix coûtant (RPC). Par ailleurs, elle facilitera la construction de grandes installations d’énergie renouvelable, par exemple d’éoliennes, en leur accordant le même niveau d’importance que la protection du paysage, et fixe des objectifs de réduction de notre consommation d’électricité.

 

Tout cela est très positif mais pas suffisant. La Stratégie énergétique néglige un volet central de la transition énergétique : la fermeture progressive de notre vieux parc nucléaire. En termes sécuritaires, notre situation est en effet – c’est un paradoxe – plus incertaine aujourd’hui qu’avant Fukushima. Les exploitants envisageaient alors de fermer leurs vieilles centrales, pour des raisons économiques et de sécurité, après 45 à 50 ans d’exploitation, au profit de nouvelles installations nucléaires. La Stratégie énergétique exclut certes la construction de nouvelles centrales, mais elle ne dit pas quand les anciennes doivent être arrêtées. Pire, elle permet leur prolongation indéterminée : nos vielles centrales pourraient fonctionner jusqu’à 60 ans ou plus, une durée de vie qui n’avait jamais été envisagée jusqu’ici. Les centrales nucléaires ont été conçues à l’origine pour durer environ 30 ans. Et la durée de vie moyenne des centrales nucléaires dans le monde est de 25 ans.

 

Lors du traitement de la Stratégie énergétique, L’IFSN, qui est notre organe de surveillance nucléaire, a demandé au parlement de renforcer au moins les exigences de sécurité et de surveillance pour les centrales nucléaires fonctionnant au-delà de 40 ans. Cette demande a été balayée. Nous nous apprêtons donc à soumettre le peuple suisse à un test grandeur nature, en tirant nos vieilles centrales nucléaires jusqu’à la corde, sans aucune cautèle supplémentaire et contre l’avis de notre propre organe de surveillance. Prendre un tel risque est absurde, car nous disposons déjà des technologies nécessaires au remplacement de l’électricité nucléaire. La réalisation des 40'000 projets d’installations d’énergie renouvelable qui sont en attente d’un soutien de la part de la RPC permettrait déjà de produire l’équivalent de l’électricité de nos deux plus vieux réacteurs nucléaires : Beznau I qui, avec ses 47 ans, est le plus vieux réacteur encore en service au monde, et Beznau II. Pour un approvisionnement électrique autochtone renouvelable à 100 % d'ici 2029, nous devrions augmenter la production d'électricité propre de seulement 210 kWh par an et par habitant. Ceci est inférieur à la production d'un simple panneau photovoltaïque !

 

Economiquement, il est par ailleurs plus intelligent d’investir dans les énergies propres de demain, créatrices d’emplois localement ancrés, plutôt que dans de l’uranium importé et dans la prolongation d’installations dangereuses et obsolètes. Les centrales nucléaires ne sont d’ailleurs pas rentables. Elles perdent plus de 500 millions de francs par an par rapport au marché de l’électricité. Pour compenser ces pertes, les électriciens veulent brader notre patrimoine hydraulique à des fonds étrangers ! Plutôt que d’accepter l’inéluctable, ils se lancent dans une fuite en avant, au mépris de notre sécurité, espérant vainement que les profits reviendront. Ce sont vraisemblablement les contribuables qui finiront par payer la facture… sans parler des risques croissants d’un accident nucléaire, qui pourrait rendre une grande partie du plateau suisse inhabitable et exiger l’évacuation de villes entières.

 

Misons plutôt sur nos barrages et sur les énergies renouvelables, qui sont à même d’assurer notre prospérité, notre sécurité et notre autonomie sur le long terme. C’est ce que veut l’initiative pour une sortie programmée du nucléaire. En limitant la durée d’exploitation de nos centrales à 45 ans, elle nous évite de prendre des risques inutiles et dirige les investissements vers les technologies propres et sûres de demain. Elle constitue ainsi un complément nécessaire à la Stratégie énergétique.

Adèle Thorens Goumaz

Adèle Thorens Goumaz est conseillère aux Etats verte vaudoise. Elle a coprésidé les Verts suisses entre 2012 et 2016 et siégé au Conseil national entre 2007 et 2019. Philosophe et politologue de formation, elle a obtenu un certificat postgrade en politiques de l’environnement et de la durabilité à l’IDHEAP. Elle a ensuite fait de la recherche et de l’enseignement en éthique et en gestion durable des ressources, puis travaillé comme responsable de la formation au WWF Suisse. Elle siège actuellement à la commission de l’économie, à la commission des finances et à la commission de l’environnement du Conseil des États. Ses dossiers de prédilection sont l'économie circulaire, la finance durable, la transition énergétique, la préservation du climat, l’agriculture et la biodiversité. Plus d’informations sur www.adelethorens.ch