Sortie du nucléaire : qui sont les hypocrites?

Le débat sur la sortie du nucléaire tourne beaucoup autour des conséquences de la première étape de la fermeture des centrales, à savoir celle de nos trois plus anciens réacteurs, Beznau 1 et 2, et Mühleberg. Ceux-ci devraient en effet être débranchés dans l’année succédant le vote, c’est à dire à en 2017.

 

Les opposants à l’initiative ont commencé par nous annoncer à grands cris un black-out. Mais dans une Europe où l’on produit tellement d’électricité que les prix se sont effondrés et mettent en péril la rentabilité de nos barrages, une telle menace ne tient pas la route. De plus, deux réacteurs, Beznau I et surtout le très puissant Leibstadt, sont actuellement à l’arrêt à cause de problèmes techniques et le resteront encore une bonne partie de cet hiver. L’électricité manquant de ce fait est nettement plus élevée que celle des trois petits réacteurs qui devraient fermer en 2017 si l’initiative était acceptée. Or point de black-out, il faut bien le constater.

 

Ne pouvant plus effrayer les citoyens avec cet épouvantail, les adversaires de l’initiative accusent les initiants d’hypocrisie. En fermant nos plus vieux réacteurs après 45 ans, nous nous condamnerions à importer de l’électricité sale, issue de centrales nucléaires ou à charbon. On doit tout d’abord se réjouir du fait que ces Messieurs s’inquiètent autant du changement climatique. C’est nouveau.

 

Pour ce qui est des importations d’électricité sale, le problème existe cependant aujourd’hui déjà. La Suisse importe et exporte régulièrement de l’électricité et celle qui arrive chez nous n’est pas garantie « sans tache ». Or peu de parlementaires s’en émeuvent. Et ceux qui dénoncent aujourd’hui les risques d’importations de courant sale ont refusé de le soumettre à une taxe afin d’en décourager l’importation lors du traitement de la Stratégie énergétique. Certains d’entre eux attaquent même la Stratégie énergétique en référendum. Ils rejettent ainsi plusieurs mesures favorables au climat, ainsi que les soutiens au développement d’énergies renouvelables locales, qui nous permettraient justement de nous émanciper des importations de courant. Alors, qui est hypocrite, dans cette affaire ?

 

En réalité, une offre importante d’électricité propre européenne existe. Elle est en plein boom, alors que les modes de production néfastes pour l’environnement sont appelés à régresser, notamment du fait des engagements de l’Accord de Paris sur le climat. Actuellement, la moitié des centrales nucléaires françaises sont en outre à l’arrêt pour des raisons techniques et l’Allemagne sort du nucléaire en 2022. La sécurité de l’approvisionnement n’est pas à chercher là, mais dans les énergies renouvelables. Il est tout à fait possible de les privilégier lors de nos importations. C’est d’ailleurs ce que les initiants demandent depuis longtemps, indépendamment de la date de fermeture de nos centrales. Nos entreprises électriques ont investi dans des installations d’énergies renouvelables en Europe, dont il serait tout naturel de rapatrier les fruits.

 

Enfin, quelle est l’alternative proposée par les adversaires à l’initiative pour une sortie programmée du nucléaire ? Ils misent précisément sur de l’électricité sale ! Leur but est de continuer à faire fonctionner, en les tirant jusqu’à la corde, des centrales nucléaires suisses qui mettent inutilement en danger la population, tout en produisant du courant sale, générant des déchets toxiques pendant des milliers d’années, qu’aucune région de notre pays ne veut stocker sur son territoire ! Même l’argument « autarcique » ne tient pas la route : produire notre propre électricité nucléaire – sale – ne nous rend pas plus indépendants de l’étranger, puisque nous devons importer l’uranium utilisé dans nos centrales.

 

Bref, la meilleure solution pour la Suisse est de fermer à temps ses vieux réacteurs dangereux, qui ne sont de toute façon plus rentables, pour autant qu’ils l’aient jamais été. La question des importations ne se serait pas posée si le parlement avait, comme les Verts le demandent depuis longtemps, encouragé suffisamment le développement des énergies renouvelables locales. A cause de cette erreur politique, on ne peut exclure qu’il faille, pendant une brève phase de transition, importer un peu plus d’électricité que nous le faisons aujourd’hui. De l’électricité propre, car c’est tout à fait possible. Ceci jusqu’à ce que les 40'000 projets en attente des soutiens prévus par la Stratégie énergétique soient réalisés. L’électricité qu’ils produiront compensera alors intégralement les pertes liées à la fermeture de nos trois plus vieux réacteurs.

Cela vaudra toujours mieux que de continuer à produire sur place de l’électricité nucléaire sale, dépendant d’un combustible importé, en mettant en danger la population de notre pays. Pour rappel, nos centrales ont été conçues pour durer 30 à 40 ans, pas 60. Et un accident nucléaire sur le plateau suisse exigerait l’évacuation de villes comme Fribourg, Berne ou Zurich. Il y a des risques que nous n’avons pas le droit de prendre, alors que des alternatives sûres existent.

 

Adèle Thorens Goumaz

Adèle Thorens Goumaz est conseillère aux Etats verte vaudoise. Elle a coprésidé les Verts suisses entre 2012 et 2016 et siégé au Conseil national entre 2007 et 2019. Philosophe et politologue de formation, elle a obtenu un certificat postgrade en politiques de l’environnement et de la durabilité à l’IDHEAP. Elle a ensuite fait de la recherche et de l’enseignement en éthique et en gestion durable des ressources, puis travaillé comme responsable de la formation au WWF Suisse. Elle siège actuellement à la commission de l’économie, à la commission des finances et à la commission de l’environnement du Conseil des États. Ses dossiers de prédilection sont l'économie circulaire, la finance durable, la transition énergétique, la préservation du climat, l’agriculture et la biodiversité. Plus d’informations sur www.adelethorens.ch