Pour une agriculture multifonctionnelle et durable, sans OGM

Le Conseil national vient de refuser d’autoriser la culture d’OGM en Suisse dans le cadre d’un concept de “coexistence” que proposait le Conseil fédéral. Il a en outre prolongé le moratoire sur la production d’OGM de quatre années supplémentaires. Ces deux décisions sont à saluer car elles renforcent une agriculture et une production alimentaire durables dans notre pays.

 

En 1996, les Suisses ont fait un choix de société en inscrivant dans la Constitution les principes d’une agriculture multifonctionnelle, répondant à la fois aux exigences du développement durable et à celles du marché. Quelques années plus tard, en 2005, ils votaient pour un moratoire sur les OGM, prolongé plusieurs fois depuis. C’est dans ce cadre qu’un large consensus s’est constitué autour de la notion de « Stratégie qualité ». Celle-ci se base sur des valeurs comme le naturel, la sécurité et la santé, l’authenticité ou la durabilité. Elle implique notamment que « l’agriculture renonce volontairement, afin de saisir des opportunités du marché, à utiliser des organismes génétiquement modifiés ».

 

Ce positionnement axé sur la qualité et sur le renoncement aux OGM a fait ses preuves et contribue à rendre l’agriculture suisse plus concurrentielle, performante et attractive, pour le plus grand bénéfice de nos agriculteurs. Il correspond en outre aux attentes des consommateurs. Selon un récent sondage de la Coop, 85 % des consommateurs suisses rejettent les produits contenant des OGM.

 

Or le système de coexistence proposé par le Conseil fédéral porterait atteinte à cette volonté des consommateurs. La Suisse est un petit territoire et une séparation sûre et surtout économiquement viable des filières avec et sans OGM est parfaitement illusoire. La coexistence aboutirait de fait à un renchérissement des produits alimentaires, sur le dos des producteurs “sans OGM”, et sur une impossibilité de garantir des produits sans OGM, au détriment de la liberté de choix des consommateurs.

 

La culture d’OGM implique, de fait, une agriculture intensive et polluante, qui est à l’opposé de ce que recherchent les consommateurs suisses, mais aussi des exigences de l’article 104 de notre Constitution tout comme de la stratégie qualité. Les plantes OGM actuellement sur le marché, principalement du soja, du maïs et du colza, sont utilisées comme fourrages pour le bétail dans le cadre de la production industrielle de viande, dont l’impact sur le climat est désastreux, sans parler du bien-être des animaux. Leur contribution à la diminution de la faim dans le monde, une promesse récurrente des promoteurs des OGM, est inexistante, puisqu’elles sont principalement utilisées pour la production de masse de produits carnés à l’intention des pays développés.

 

Les plantes génétiquement modifiées sont en outre en général conçues pour résister, dans le cadre de monocultures intensives, à des pesticides. Les OGM contribuent ainsi à une augmentation de leur usage. Or la Confédération vient de décider, dans le cadre du Plan d’action sur les pesticides, de réduire l’usage de ces produits pour des raisons écologiques et sanitaires. La culture d’OGM en Suisse serait absurde au vu de cet objectif.

 

Les promoteurs des OGM aiment décrire ceux qui s’y opposent comme des obscurantistes, mus par des craintes irrationnelles. C’est tout à fait faux. Il n’est pas nécessaire d’entrer dans le débat sur les risques liés – ou pas – à la consommation de produits OGM, pour en refuser la production dans notre pays. Les conséquences néfastes sur la santé et sur l’environnement d’une agriculture intensive et riche en pesticides sont scientifiquement prouvées, or ce type d’agriculture est aujourd’hui indissociable des OGM.

 

Avec le moratoire prolongé par le parlement, la recherche reste en tout temps possible dans ce domaine. Si des produits OGM de qualité, sûrs et écologiques, s’inscrivant dans une agriculture durable et respectueuse de l’autonomie des paysans, et répondant aux attentes des consommateurs, arrivaient soudainement sur le marché, le débat pourrait reprendre dans notre pays.

 

Le refus des OGM ne repose ainsi pas sur le rejet obtus d’une technologie. Il se fonde sur une réflexion principalement économique, réalisée par la branche agro-alimentaire elle-même, à propos du positionnement qu’elle souhaite adopter sur le marché, et sur la manière dont elle entend répondre à la volonté des Suisses de bénéficier d’une agriculture et de produits alimentaires durables. Une volonté exprimée depuis des années, à maintes reprises, à la fois dans leurs choix de consommateur et dans leurs votes en tant que citoyens, au point que notre Constitution en a été modifiée à deux reprises. Ceci est absolument légitime et n’a rien à voir avec un rejet de la science.

 

Adèle Thorens Goumaz

Adèle Thorens Goumaz est conseillère aux Etats verte vaudoise. Elle a coprésidé les Verts suisses entre 2012 et 2016 et siégé au Conseil national entre 2007 et 2019. Philosophe et politologue de formation, elle a obtenu un certificat postgrade en politiques de l’environnement et de la durabilité à l’IDHEAP. Elle a ensuite fait de la recherche et de l’enseignement en éthique et en gestion durable des ressources, puis travaillé comme responsable de la formation au WWF Suisse. Elle siège actuellement à la commission de l’économie, à la commission des finances et à la commission de l’environnement du Conseil des États. Ses dossiers de prédilection sont l'économie circulaire, la finance durable, la transition énergétique, la préservation du climat, l’agriculture et la biodiversité. Plus d’informations sur www.adelethorens.ch