Pourquoi notre politique climatique est un échec en matière de mobilité

Les transports sont responsables de plus du tiers de nos émissions de CO2, et deux tiers de cette part correspondent au trafic individuel motorisé. Or, dans ce domaine si important, les mesures de politique climatique échouent de longue date. Voyez plutôt : alors que les émissions de CO2 liées à notre mobilité auraient dû, dans le cadre du Protocole de Kyoto, être réduites de 8 % d’ici à 2012[1], elles ont au contraire augmenté de 13 % ! Et cela ne s’améliore pas depuis. Pourquoi ? Peut-être parce que les décisions prises jusqu’ici ont omis un point important : les technologies ne font pas tout, il faut aussi considérer l’usage qu’on en fait. Derrière toute technologie se cachent… des êtres humains, dont on ne peut négliger ni les choix, ni les comportements.

Des prescriptions techniques à la rescousse

A partir de 2012 et en réponse à l’initiative des Jeunes Verts dite « anti 4×4 », la Suisse a fixé des prescriptions pour les émissions de CO2 des voitures nouvellement admises sur le marché. Il s’agit depuis lors de notre principale mesure de politique climatique pour le trafic individuel motorisé. L’objectif était de réduire les émissions moyennes des nouveaux véhicules à 130 g de CO2/km[2], comme cela se fait aussi dans l’Union européenne. La Suisse avait du chemin à faire, puisqu’elle possédait déjà l’un des parcs automobiles les plus polluants d’Europe, avec une moyenne de 149 g de CO2/km pour les nouvelles voitures immatriculées en 2012[3].

A l’issue de la première phase de mise en œuvre, les résultats de cette mesure sont doublement un échec, comme le montre un rapport récemment publié par l’OFEN[4]. Tout d’abord, les importateurs n’ont pas atteint les objectifs qui leur ont été fixés. En 2015, les voitures nouvellement immatriculées ont certes vu leurs émissions réduites, mais à 135 g de CO2/km seulement, 5 g au dessus de la cible[5]. Par ailleurs, et c’est bien plus grave, les émissions de CO2 globalement liées aux transports continuent à excéder les exigences fixées par la loi sur le CO2 : en 2014, les émissions de gaz à effet de serre liées à la consommation de carburants en Suisse étaient encore à 8 % de plus qu’en 1990, alors que l’objectif pour 2015 était de les stabiliser au niveau de 1990. Les derniers chiffres sortis depuis la publication de l’étude montrent que l’objectif n’a effectivement pas été atteint.

Les raisons d’un échec

Comment expliquer de si mauvais résultats ? La réalité est que les prescriptions techniques ne font pas tout. Il ne sert pas à grand-chose d’avoir des véhicules plus efficients, si leurs gains en matière d’efficience sont annulés par la croissance de leur nombre et du nombre des kilomètres parcourus. La moyenne de CO2 émis par les nouveaux véhicules importés en Suisse a certes quelque peu baissé entre 2012 et 2015. Mais comme, durant la même période, le nombre de véhicules et celui des kilomètres parcourus ont augmenté de 7 % chacun, il n’est pas étonnant que nous échouions, une fois de plus, à tenir nos engagements.

D’autres mesures sont nécessaires

Contre l’augmentation du nombre de véhicules et des kilomètres parcourus, les prescriptions sur l’efficience sont impuissantes. Il ne s’agit en effet pas d’un problème technique, mais d’un enjeu de comportement. Pour agir à ce niveau, d’autres instruments existent. Ils sont bien connus et d’autres pays, en particulier au Nord de l’Europe, disposent déjà d’expériences probantes en la matière. On peut ainsi :

  • renchérir le prix de l’essence et la fiscalité sur les automobiles à essence, pour décourager leur achat comme leur usage excessif, voire exclure l’immatriculation de nouveaux véhicules à essence, lorsque l’offre en voitures électriques est assez diversifiée et abordable ;
  • favoriser l’achat et l’usage durable, via des possibilités de recharge adéquates et en électricité verte, des voitures électriques ;
  • encourager les transports publics, pour les rendre encore plus performants et attractifs ;
  • valoriser la mobilité douce, qui a encore un potentiel de développement considérable ;
  • promouvoir la flexibilité des horaires de travail et le travail à distance, ainsi qu’un aménagement du territoire plus durable, pour mieux maîtriser notre mobilité ;
  • mettre en place un système de mobility-pricing ou « tarification de la mobilité », afin d’optimiser l’utilisation de nos infrastructures ;
  • évaluer le potentiel de la numérisation de notre économie et de notre société pour une mobilité plus durable (véhicules autonomes, par exemple) et l’exploiter systématiquement.

Un véritable projet de société

La plupart de ces mesures ne bénéficie pour le moment de majorité ni au Conseil fédéral, ni au parlement. Et il faut admettre que leur mise en œuvre, qui devrait être coordonnée et crédible, constitue un défi autrement plus complexe que l’imposition de simples prescriptions techniques. Cependant, il faudra bien affronter ce défi, si nous voulons un jour remplir nos engagements internes et internationaux en matière climatique et, en particulier, appliquer correctement l’accord de Paris sur le climat. La transition vers une mobilité durable ne constitue pas seulement un changement technique. Elle doit s’inscrire dans un nouveau projet, transversal et commun, de société.

[1] Toujours par rapport à la référence de 1990.

[2] Il faut savoir que ces objectifs sont des valeurs normalisées, mesurées en banc d’essai, qui ne reflètent pas les émissions réelles, lors de l’usage du véhicule. Or l’écart entre les estimations d’émissions normalisées et celles en usage peut être considérable, de l’ordre de 40 %…

[3] La même année, la moyenne des émissions des nouvelles voitures immatriculées en Europe était de 132 g de CO2/km.

[4] https://www.admin.ch/gov/fr/accueil/documentation/communiques.msg-id-65066.html

[5] Manifestement, les sanctions financières prévues lors du non-respect de ces objectifs ne sont pas assez élevées pour que les importateurs fassent plus d’efforts. Par ailleurs, il faut savoir que les améliorations en termes d’efficience des moteurs sont en partie annulées par le poids croissant des véhicules vendus.

Climat : après la ratification de l’accord de Paris, le combat commence

Notre parlement vient d’accepter de ratifier l’accord de Paris sur le climat. L’heure est maintenant à l’action, en Suisse et ailleurs, ce d’autant plus que les Etats-Unis manquent désormais à l’appel. Or on sait déjà que les objectifs de réduction des émissions de CO2 annoncés par les différentes parties ne suffiront pas à nous maintenir en dessous de la limite des deux degrés de réchauffement.

Un projet minimaliste du Conseil fédéral

Le Conseil fédéral, qui s’est fixé un objectif de réduction de 50 % de nos émissions de CO2 d’ici à 2030, a mis en consultation une révision de la Loi sur le CO2. Ce projet est déjà conspué par les milieux conservateurs : la Suisse ne devrait pas agir en pionnière dans le domaine climatique, les mesures de réduction des émissions devraient être prises au maximum à l’étranger plutôt qu’en Suisse, les seules mesures acceptables seraient volontaires… Pourtant, le projet du Conseil fédéral est déjà minimaliste. L’une des victoires de l’accord de Paris a été d’exiger que le réchauffement climatique soit maintenu en dessous des 2 degrés, idéalement à 1,5 degrés. Or notre pays n’a pas adapté les mesures qui étaient envisagées auparavant, des mesures qui avaient déjà été jugées insuffisantes pour atteindre un objectif de 2 degrés.

S’émanciper du mazout

Venons-en aux mesures concrètes. En matière de logement, le Conseil fédéral prévoit certes de relever la taxe CO2 sur le mazout, qui a d’ores et déjà fait ses preuves, voire d’interdire, mais en 2029 seulement et à titre de mesure subsidiaire, l’installation de nouveaux chauffages à mazout (la Norvège prévoit, elle, de le faire en 2020 déjà). Ces deux mesures, violemment attaquée par les milieux bourgeois, sont indispensables. Le premier défi sera de les faire accepter par le parlement. Il ne suffit cependant pas d’augmenter la taxe CO2: si les propriétaires ne parviennent pas à investir dans un système de chauffage écologique ou dans l’isolation de leur logement, elle ne sera pas efficace. Tant que les coûts de ces adaptations constituent un obstacle, il faut continuer à soutenir l’assainissement énergétique des bâtiments. Et bien sûr imposer des prescriptions de plus en plus exigeantes en matière d’innovation et d’efficience, conformément aux derniers développements technologiques, pour les nouveaux bâtiments.

Passer aux voitures électriques

En matière de mobilité, le Conseil fédéral veut réduire progressivement les moyennes d’émissions de CO2 des nouveaux véhicules introduits sur le marché. Cependant, sans taxation de l’essence, et alors que les importateurs ont échoué récemment encore à atteindre les objectifs fixés, il est à craindre que l’impact de telles mesures soit limité. Il faudrait appliquer au domaine de la mobilité le même principe qu’à celui du chauffage. Quand des alternatives innovantes et propres existent et qu’elles deviennent abordables – par exemple les chauffages basés sur les énergies renouvelables ou les voitures électriques – il faut exclure les technologies dépassées et polluantes du marché. Plusieurs pays suivent déjà cette voie : le gouvernement norvégien veut interdire la vente de véhicules équipés d’un moteur à combustion à partir de 2025. Aux Pays-Bas, la Chambre basse du Parlement a adopté une proposition similaire. Enfin, le ministre de l’énergie indien vise un parc automobile 100 % électrique en 2030. Si la Suisse décidait de ne plus immatriculer de nouvelles voitures à essence à partir de 2025, son parc automobile serait assaini d’ici à 2035, compte tenu de la durée de vie moyenne des véhicules. Cela exigerait bien sûr une politique d’accompagnement en termes d’infrastructure de recharge et de production d’électricité durable. Les alternatives au transport individuel motorisé doivent par ailleurs être encouragées de manière renforcée.

Agir sur le trafic aérien

Des solutions doivent être trouvées pour réduire les émissions de CO2 dans l’aviation. Aujourd’hui déjà, cette dernière est responsable de 16% des émissions attribuées à la Suisse. Pourtant, le Conseil fédéral ne prévoit aucune mesure dans ce domaine, si ce n’est d’intégrer l’aviation au système des certificats de CO2 européen, qui ne fonctionne pas du tout, tant les « droits de polluer » sont bon marché. Tout doit être fait pour développer des technologies plus efficientes et le principe du pollueur-payeur doit être appliqué à ce secteur, où les prix sont dérisoires. Ils ne tiennent aucunement compte des dégâts climatiques causés et rendent vaine toute tentative d’innovation. Des systèmes de taxation existent déjà dans plusieurs pays européens, dont la Grande-Bretagne, qui perçoit ainsi entre 3 et 4 milliards de livres par an. Cet argent peut être redistribué à la population ou en partie réinvesti, par exemple dans de nouvelles technologies écologiques en matière de transports. Les alternatives propres existantes doivent aussi être développées, en particulier à l’échelle continentale. Il est surréaliste, notamment, que les trains de nuit soient peu à peu supprimés un peu partout en Europe. L’offre devrait au contraire être améliorée et promue.

Produire et manger mieux

En matière d’alimentation, le Conseil fédéral prévoit de fixer des objectifs à l’agriculture et de prendre des mesures dans la prochaine politique agricole. C’est nécessaire, même si les adaptations de la politique agricole de ces dernières années vont dans le bon sens. Il faudra notamment cesser d’encourager activement la production et la consommation de viande, pour des raisons climatiques mais aussi de santé publique. Notre consommation – plus de 50 kg de viande par personne et par an – est quatre fois plus élevée que ce que recommandent les médecins. Chacun est libre de choisir ce qu’il met dans son assiette et cela doit rester ainsi. Cependant, il n’est pas acceptable que la Confédération dépense chaque année des millions de francs pour faire la promotion de la consommation de viande. Cet argent serait mieux investi dans la sensibilisation aux avantages d’une alimentation locale, diversifiée et de saison. L’efficience et la durabilité dans les méthodes de production agricole doivent aussi être améliorées. Quand on sait que l’agriculture suisse importe deux calories sous forme de pétrole pour produire une seule calorie alimentaire, on perçoit toute l’ampleur de l’enjeu.

Investir dans les technologies propres

Enfin, des mesures doivent être prises pour décourager les investissements dans le carbone. Rien n’est prévu à cet effet dans le projet du Conseil fédéral. Pourtant, chaque franc offert aux barons des énergies fossiles génère des émissions de CO2 et manque aux technologies de l’efficience et des renouvelables. Dans un récent rapport, les Artisans de la transition montraient qu’avec moins de 10 pour cent de sa fortune placés à la Bourse des Etats-Unis, soit 61,5 milliards de dollars, la BNS émettait autant de CO2 que la Suisse entière, contribuant ainsi à placer le monde sur une trajectoire de plus 4 à plus 6 degrés de hausse des températures. Cela doit cesser : la BNS ne peut pas se mettre en totale contradiction avec la politique climatique de la Confédération, ce d’autant plus que l’accord de Paris exige que les flux financiers deviennent compatibles avec la préservation du climat. Par ailleurs, les clients et investisseurs de nos banques et caisses de pensions doivent pouvoir connaître le bilan carbone lié à leur argent, afin d’être à même de prendre des décisions responsables en la matière.

Se mobiliser pour demain

On le voit, la ratification de l’accord de Paris par la Suisse n’est pas un aboutissement. C’est le début d’un combat qui, dans un parlement où la droite conservatrice a la majorité, n’est pas gagné d’avance. Une forte mobilisation des forces progressistes, innovantes et responsables est plus nécessaire que jamais.

Pourquoi je ne suis pas végane

Ma collègue verte lausannoise Léonore Porchet est l’auteure d’un hashtag que j’aime bien : #etreecolocestrigolo. La plupart du temps, ce hashtag est tout à fait justifié. Mais, admettons-le, il y a des domaines où, être écolo, cela peut être un peu compliqué malgré tout. Prenons donc un sujet qui fâche, avec l’alimentation et, en particulier, notre rapport à la viande.

De la cohérence du véganisme

Le mouvement végane a pris rapidement de l’ampleur, alors qu’il n’y a pas si longtemps, le simple fait d’être végétarien vous faisait passer pour un ayatollah de l’écologie. Cela ne peut que m’interpeler comme verte. Le véganisme a quelque chose qui me séduit énormément : la cohérence. En effet, les végétariens qui consomment des produits laitiers cautionnent de fait la filière de la viande bovine, dans la mesure où il faut qu’une vache ait régulièrement des veaux pour produire du lait. Or, ces veaux, il faut bien en faire quelque chose : ils sont consommés par ceux d’entre nous qui sont restés omnivores. Quand on est végane, contrairement aux végétariens, on refuse l’élevage dans son ensemble. Les choses sont claires.

La vie d’un animal de rente peut-elle valoir la peine d’être vécue ?

Cette position vaut cependant la peine que l’on réfléchisse à ses aboutissements. Si l’on refuse tout produit issu de l’élevage d’animaux, cela va plus loin que de refuser l’exploitation ou l’abattage de ces derniers. Si vous décidez, par exemple, de cesser de consommer des produits issus de la pêche ou de la chasse, des animaux sauvages continueront à exister indépendamment de votre choix. Par contre, si nous décidions à large échelle de ne plus consommer de produits issus d’animaux d’élevages, ceux-ci disparaîtraient car ils n’existent que du fait de notre consommation. Se pose alors une question fondamentale : leur disparition est-elle souhaitable ? Dans le cas de l’élevage industriel de masse, je pense que oui. De telles vies entrent tellement en contradiction avec les besoins fondamentaux d’êtres sensibles, qu’elles ne valent pas la peine d’être vécues. Mais, dans de bonnes conditions d’élevage, à petit échelle, extensives, en plein air, correspondant aux besoins de l’espèce, de telles vies ne pourraient-elles pas valoir la peine d’être vécues ?

Manger moins de viande : un impératif pour les consommateurs

Même si j’ai le plus grand respect pour ceux qui ont fait le choix d’être véganes, je continue à manger des laitages et, de temps en temps, la viande qui va avec. Parce que, à tort ou à raison, je ne peux pas renoncer à l’idée qu’un élevage respectueux est possible et que, dans certaines conditions, des animaux de rente peuvent vivre une vie digne d’être vécue. Peut-être aussi parce que je suis gastronome et que je ne suis pas prête à un si grand changement… Mais j’ai réduit drastiquement ma consommation et je choisis des produits locaux et labellisés. Pour notre santé, il est recommandé de se limiter à 240 grammes de viande par semaine. Ce qui est bon pour nous est aussi bon pour notre environnement. En Suisse, nous engloutissons en moyenne une cinquantaine de kilos de viande par personne et par année. C’est beaucoup trop pour notre santé, mais c’est aussi destructeur pour le climat : la production de viande est responsable de 14 % des émissions mondiales de CO2. Enfin, seul un élevage à petite échelle peut assurer un certain respect des animaux.

Politique: les conditions-cadres doivent aussi évoluer

La politique joue également un rôle. Ce mardi 6 juin, le parlement a refusé de supprimer des subventions annuelles de six millions de francs visant à promouvoir la viande. Vous vous souvenez de cette publicité « Tout le reste n’est que garniture » ? Une telle politique de soutien est complètement dépassée à l’heure de l’Accord de Paris et du rejet, par des consommateurs de plus en plus nombreux, de l’élevage traditionnel. Les conditions-cadres doivent évoluer, sans qu’il soit pour autant nécessaire de nous contraindre dans nos choix personnels. Ce n’est certainement pas la consommation de viande que les collectivités publiques doivent encourager, mais celle d’aliments écologiques et sains. Ensuite, chacun d’entre nous est libre de choisir ce qu’il met dans son assiette.

Il faut oser étudier l’opportunité de soutiens à la presse

Médias romands: une situation inquiétante

La situation des médias en Suisse, et particulièrement en Suisse romande, est très inquiétante. La disparition de L’Hebdo a été accompagnée de coupes sévères dans les effectifs des autres grands titres romands. C’est ainsi la diversité de la presse qui est menacée, mais aussi sa qualité. Alors que le service public est violemment attaqué par l’initiative No Billag, il est temps de réagir et de s’engager avec fermeté pour la diversité, l’indépendance et la qualité de nos médias.

La numérisation aux origines de la crise

La crise de ce secteur est étroitement liée à la numérisation. Celle-ci a d’abord fait perdre aux médias écrits leur attrait en tant que supports publicitaires. L’internet offre désormais la possibilité de faire de la publicité à bas prix, avec un très large public. Pour un tout petit marché comme la Suisse romande, cette concurrence est mortelle. La publicité a permis aux médias de vivre dans une sécurité relative pendant des années. Les grands éditeurs se sont habitués à certains rendements et, face à leur chute, n’hésitent plus à sacrifier des titres. Le risque est grand qu’ils abandonnent progressivement ce secteur dans les années à venir, pour s’orienter vers des activités plus lucratives. Par ailleurs, la presse écrite, mais aussi l’audiovisuel, ne peuvent plus survivre sans être présents sur le net et les réseaux sociaux : c’est là que le public se trouve. Cette transition exige des investissements. Il faut enfin citer les difficultés générées par le développement de contenus gratuits, dans les journaux gratuits mais aussi sur les réseaux sociaux.

Les médias comme infrastructure du débat démocratique

Bien sûr, la numérisation offre aussi des opportunités. Sans elle, des projets innovants comme Republik ou Bon pour la tête, lancés grâce au crowdfunding, n’auraient pas pu voir le jour. Cependant, la presse vit une phase de transition délicate qui pourrait créer des dégâts majeurs: atteintes à sa diversité et à sa qualité, mais aussi perte d’indépendance, avec le rachat de titres par de grands groupes d’intérêts. Nous ne pouvons pas nous le permettre. Dans un pays comme le nôtre, où les citoyens sont appelés à voter tous les trois mois sur des enjeux majeurs, les médias jouent un rôle central. Ils constituent une infrastructure sans laquelle le débat démocratique ne peut fonctionner. Les données échangées sur les réseaux sociaux ne peuvent en rien remplacer leur rôle. Chacun y évolue dans sa bulle. De plus, les émetteurs ne sont soumis à aucune règle déontologique, contrairement aux journalistes, formés au traitement correct des contenus et à respecter certaines règles éthiques.

Des pistes pour agir

Une mobilisation est dès lors indispensable pour soutenir non pas tel ou tel média mais, en soi, la diversité, l’indépendance et la qualité de notre infrastructure médiatique. La première chose à faire est de lutter sans concession contre l’initiative No Billag, dont l’acceptation équivaudrait à la condamnation de la SSR et du service public. Il faut ensuite renforcer les soutiens indirects à la presse. Plusieurs propositions ont été déposées, dont certaines ont déjà été acceptées : réduction de la TVA pour les contenus électroniques (ils ne disposaient jusqu’ici pas du taux plus bas offert aux contenus papier), renforcement de l’ATS, soutiens supplémentaires à l’impression et à l’envoi des journaux papier, tant que ce format existe. Par ailleurs, il faut oser étudier l’opportunité de soutiens directs, au moins durant cette phase de transition. Ceux-ci existent déjà dans plusieurs pays européens. En France, un journal comme Le Monde bénéficie de soutiens annuels de près de 14 millions de francs, et personne ne douterait de son indépendance éditoriale. Le fait de dépendre de publicitaires ou de grands groupes d’intérêts constitue un risque bien plus réel.

Une interface pour réunir les soutiens

Il ne serait cependant pas sain que des soutiens publics aillent directement aux rédactions : une structure intermédiaire doit être créée. Le projet romand FIJOU (pour « financement du journalisme ») pourrait jouer ce rôle, tout en restant ouvert à d’autres sources de financement (crowdfunding ou fondations, par exemple). Ce projet, constitué sur le modèle des soutiens à la culture, prouve que le secteur est prêt à innover et à se mobiliser pour développer un nouveau modèle économique. Les médias doivent aussi se préparer à s’émanciper des éditeurs, dans l’hypothèse où ceux-ci se retireraient du secteur. Pour minimiser leurs coûts, ils pourraient se doter d’infrastructures et de moyens communs, notamment en matière d’ingénierie informatique ou de système de micro-paiement, mais aussi via la création de bourses d’échange d’articles, par exemple.

Des prestations de service public à défendre 

Enfin, une fois le danger de No Billag écarté, peut-être faudra-t-il se poser la question de l’évolution du service public. A l’origine, seule la SSR avait vocation à être soutenue dans ce cadre, car la réalisation de contenus audiovisuels exigeait des investissements considérables. Aujourd’hui cependant, les frontières entre les différents formats s’effacent : dans un monde numérique, tout devient multimédia. Par ailleurs, on ne peut plus nier le fait que la presse joue aussi un rôle de service public : la SSR ne peut assurer seule la fonction d’infrastructure médiatique de notre démocratie. Les prestations de service public assumées par les médias écrits, en complément du rôle, toujours aussi indispensable, de la SSR, méritent certainement d’être aussi soutenues par les collectivités, en tant que garantes du bon fonctionnement de notre démocratie. Car nous avons besoin autant d’une SSR forte, que de médias libres, diversifiés et indépendants.

Stratégie énergétique 2050 : sur quoi vote-t-on exactement le 21 mai ?

La campagne autour de la Stratégie énergétique, caractérisée par de nombreux « faits alternatifs », nécessite un retour aux contenus précis du projet. Pour que la démocratie fonctionne, chacun doit savoir sur quoi il vote exactement, avant même que le débat d’idées ou de valeurs commence.

Sur quoi vote-t-on donc le 21 mai ? La Stratégie énergétique a ses racines dans la catastrophe nucléaire de Fukushima, en 2011. Deux projets de nouvelles centrales nucléaires étaient alors à l’agenda en Suisse, pour remplacer nos plus vieux réacteurs. Après Fukushima, le Conseil fédéral annonça qu’il ne donnerait plus d’autorisation pour de nouvelles centrales. Les Verts ayant lancé leur initiative pour une sortie programmée du nucléaire, la Stratégie énergétique fut conçue comme son contre-projet. Elle vise à inscrire dans la loi le refus d’autoriser de nouvelles centrales nucléaires, mais répond aussi à un triple défi. Il s’agit d’assurer notre approvisionnement électrique en remplaçant progressivement la production de nos vieilles centrales qui, même en l’absence de délais, vont fermer les unes après les autres, pour des raisons économiques et de sécurité. La Stratégie énergétique constitue en outre un premier pas dans l’application de l’Accord de Paris sur le climat, puisqu’elle comprend des mesures de réduction de nos émissions de CO2. Enfin, elle vise à renforcer notre autonomie énergétique. Aujourd’hui, 75 % de l’énergie que nous consommons – essence, mazout, gaz, uranium – sont importés, pour environ 10 milliards de francs par an. En renforçant les énergies renouvelables produites localement, nous serons plus indépendants et investirons notre argent chez nous.

 

La Stratégie énergétique a été conçue en deux étapes. Seul le premier volet, qui nous mènera jusqu’en 2035 environ, est soumis au vote le 21 mai. Il prévoit principalement la poursuite et le renforcement de mesures éprouvées, dont la plupart sont déjà en vigueur. La décision du Conseil fédéral de ne plus autoriser de nouvelle centrale nucléaire sera concrétisée légalement. Les soutiens aux énergies renouvelables seront renforcés, afin d’assurer notre approvisionnement. Cette mesure coûtera environ 40 francs par an et par famille. Elle permettra de réaliser des projets qui sont depuis longtemps en attente : 38’000 projets d’installations d’énergies renouvelables, principalement du solaire, dorment dans les tiroirs de l’administration. Ils pourront compenser la production de nos plus vieux réacteurs. Avec 1’000 nouveaux projets déposés chaque mois, nous pouvons être optimistes quant au potentiel de production nécessaire au remplacement, le moment venu, des réacteurs plus récents. Des soutiens seront également destinés à nos barrages, aujourd’hui menacés, afin d’éviter qu’ils ne soient vendus à des acteurs étrangers et pour qu’ils puissent optimiser leur production. La loi octroie par ailleurs un intérêt national aux grandes installations d’énergie renouvelable. Cela ne signifie pas que l’on pourra construire des éoliennes partout. Le droit de recours des organisations environnementales – qui soutiennent le projet – reste valable, et la loi prévoit une protection totale des biotopes d’intérêt national. Enfin, l’efficacité énergétique sera promue dans les domaines des appareils électriques et de production, des voitures et du bâtiment. Nous pourrons donc bénéficier d’appareils, de véhicules et de logements plus économes, avec à la clé des gains financiers : les automobilistes pourront économiser environ 400 francs par an, par exemple, grâce à des voitures moins gourmandes en essence. La Stratégie énergétique est favorable à l’environnement et au climat, car elle réduit nos émissions de CO2 et permet une sortie progressive du nucléaire. Elle favorise en outre notre économie, via la création de nombreux emplois, notamment dans le bâtiment, et les gains des entreprises, qui réduiront leurs dépenses énergétiques en étant plus efficientes.

 

On le voit, il n’y a dans le premier volet de la Stratégie énergétique, soumis au vote le 21 mai, aucune nouvelle taxe, aucune interdiction ni aucune mesure menant à des privations pour les entreprises ou les particuliers. Les chiffres agités par les opposants à la Stratégie énergétique sont faux. Ils tiennent compte, qui plus est de manière erronée, de mesures qui ont certes été évoquées, mais qui auraient du appartenir au deuxième volet de la Stratégie énergétique. Ce deuxième volet n’est d’ailleurs plus d’actualité. Il a été balayé par le Conseil national, tous les partis, y compris les Verts, y étant opposés. La loi soumise au peuple le 21 mai est au contraire un projet issu de cinq années de débats parlementaires, un compromis réaliste, qui réunit l’adhésion de tous les partis hormis l’UDC. L’UDC qui, en attaquant la Stratégie énergétique, lutte de facto contre la sécurité et l’indépendance énergétiques de notre pays, contre la pérennité de nos barrages et contre la compétitivité de notre économie. Ne vous laissez donc pas berner le 21 mai : c’est un oui qu’il faut glisser dans les urnes.

Pourquoi les Verts renouent avec le succès, en Suisse et en Europe

Les Verts ont gagné cinq sièges ce dimanche au Grand Conseil de Neuchâtel. Ce succès n’est pas isolé : le parti a obtenu 12 sièges supplémentaires lors des dernières élections cantonales, dont beaucoup en Suisse romande. A cela s’ajoutent l’élection d’Alec von Graffenried à la Mairie de Berne et la belle victoire de Jurg Altwegg, qui a battu son concurrent UDC avec 60 % des voix à la Municipalité de Winterthur. L’écologie a de nouveau le vent en poupe, et pas seulement en Suisse. En Autriche et en Hollande, ce sont les Verts, avec Alexander van der Bellen et Jesse Klaver, qui ont fait sensation lors des dernières élections et barré la route à l’extrême droite populiste. Ces succès suisses et européens sont bien sûr le résultat de l’engagement fort, sur le terrain, de personnalités vertes dont la crédibilité a été reconnue par les électeurs. Mais ils s’inscrivent également dans un mouvement de fond, dont j’aimerais souligner ici deux aspects.

On assiste tout d’abord à une repolitisation de l’écologie. Les Verts ont subi des pertes un peu partout en Suisse entre 2011 et 2015, après que Doris Leuthard ait annoncé la sortie du nucléaire. Ce déclin ne doit pas être interprété comme un rejet de l’écologie. Le thème est simplement passé, dans sa dimension politique, après d’autres préoccupations, dont la crise migratoire et la force du franc. Cependant, la dimension politique de l’écologie est progressivement revenue sur le devant de la scène. En Suisse, la population a compris, au fil du traitement de la Stratégie énergétique, passablement édulcorée puis attaquée en référendum par l’UDC, que le tournant énergétique n’était pas joué d’avance et qu’un engagement politique restait nécessaire dans ce domaine comme dans d’autres. Parallèlement à cela, les Verts ont mené devant le peuple deux initiatives populaires, pour une économie verte et pour une sortie programmée du nucléaire, remettant les enjeux écologiques au cœur du débat public. Au niveau international, la signature de l’Accord de Paris, quelques semaines après les élections fédérales de 2015, a montré qu’un engagement politique concerté au niveau international était possible, rendant espoir à de nombreux citoyens favorables à l’environnement. Peu après, l’élection de Trump et sa volonté de détruire les récentes avancées environnementales et climatiques, ont mobilisé ces citoyens, qui ont constaté que rien n’était définitivement acquis. On peut enfin citer les mouvements de rejet, partout en Europe, des accords TTIP ou CETA, qui manifestent la même prise de conscience. Notre engagement comme consommateur responsable ne suffit pas. Les solutions qui font la transition écologique existent aujourd’hui déjà, mais elles ont besoin, pour s’imposer, de conditions-cadres favorables et d’un soutien clair au niveau politique. Or les Verts restent le parti le plus crédible sur les questions environnementales.

Les Verts sont aussi le parti d’une société ouverte sur le monde, accueillante, tolérante, respectueuse. En 2015, il n’est pas exclu que cette orientation ait contribué à leurs pertes, en pleine crise migratoire, alors que les craintes que cette crise a pu susciter ont été habilement récupérées par l’UDC. Mais la donne a changé. La montée de l’extrême droite et de courants populistes, nationalistes et xénophobes, choque à juste titre une partie croissante de la population. En Suisse, celle-ci sanctionne désormais les excès de l’UDC en votation. Le repli et l’exclusion n’apportent aucune réponse aux conflits et à la misère qui contraignent des centaines de milliers de personnes à l’exil. Le vert hollandais Jesse Klaver, dont les parents sont issus de la migration, a su montrer qu’au contraire, la solidarité et l’ouverture sont une chance et constituent les fondements de l’Europe. Si les Verts défendent une société et une économie ouvertes, ils exigent des règles du jeux équitables pour cadrer les échanges internationaux et les mettre au service tant de l’environnement que des citoyens. Une telle perspective d’avenir, confiante et positive, est nécessaire aujourd’hui pour contrer les discours conservateurs des populistes. Une société et une économie à la fois ouvertes et équitables, c’est possible et c’est ce que nous devons construire ensemble : voilà ce que disent les Verts. Et ils sont entendus, car ils ont toujours défendu cette ligne, par beau comme par mauvais temps.

Trump et ceux qui s’en inspirent sont allés trop loin. Instrumentaliser les peurs issues des conflits et des ratés de la mondialisation, nier les grands enjeux environnementaux, tout en ne proposant aucune vision crédible pour l’avenir : cela ne peut pas être convaincant sur le long terme. Nous avons au contraire besoin d’un projet collectif positif pour demain. Les récents succès des Verts illustrent certainement cette aspiration.

Contre la post-réalité et le désenchantement, un récit pour donner envie de demain

2016 aura montré que les faits seuls ne font plus recette dans nos démocraties. Je ne parle pas seulement du Brexit ou de l’élection de Donald Trump : en Suisse aussi. La campagne des opposants à l’initiative pour une économie verte, qui annonçait une dictature du renoncement pour les particuliers, alors qu’il s’agissait de soutenir l’efficience et l’innovation dans les entreprises, est un bon exemple de désinformation à succès. Quelques mois plus tard, une étude montrait que les citoyens ayant refusé la sortie programmée du nucléaire, deuxième vote environnemental crucial de l’année, l’avaient fait en étant mal informés.

 

Nous sommes nombreux à être inquiets et scandalisés par ce phénomène. Doit-on pour autant en conclure que les citoyens aiment à être trompés ? Certainement pas. Ce qui les séduit, ce n’est probablement pas qu’on leur raconte des mensonges. C’est qu’on leur raconte une histoire. La différence est ténue, mais elle existe. Elle est importante, parce qu’elle ouvre la porte à une troisième voie entre un discours strictement rationnel, exact et descriptif, et le délire cynique qu’il est désormais convenu de qualifier de « post-factuel ». Au fond, ce que montre 2016, c’est que les citoyens sont aujourd’hui à la recherche d’un récit. Or un récit peut très bien être fondé sur des faits, qu’il se contente de mettre en perspective, de manière sérieuse, crédible et loyale.

 

C’est ce que nous, défenseurs d’une société libérale, ouverte, responsable et durable, avons à apprendre de 2016. Je ne suis pas toujours d’accord avec le grand écologiste Pierre Rabhi, mais il a dit quelque chose de très beau sur son engagement. L’écologie, dit-il, c’est l’émerveillement. L’émerveillement face à la nature, bien sûr, mais aussi face aux solutions de toutes sortes qui nous permettent aujourd’hui de vivre en harmonie avec elle, face à un projet de société capable d’assurer notre bien-être sans remettre en cause celui de nos enfants. Cet émerveillement, et le récit qui le porte, sont aujourd’hui en panne, ou du moins sont recouverts par un autre récit. Un récit de peur, de fermeture et de repli vers un passé mythique et idéalisé, où tout était tellement plus simple et plus facile. Le slogan « Yes we can », qui désignait l’envie d’un monde nouveau, plein de possibles, a été remplacé par « Make America great again », parce qu’aujourd’hui, nombreux sont ceux qui pensent que « c’était mieux avant ».

 

Comme  verte, je suis la première à trouver que nous devons considérer la notion de « progrès » de manière critique. Mais une société où l’histoire qui convainc est un récit de repli sur le passé a un grave problème. Le désenchantement – antithèse de l’émerveillement prôné par Pierre Rabhi – mais aussi le cynisme, le « no future » ou le « après moi le déluge » qui en découle, ne peuvent pas guider nos choix. Comme le disait en substance Nelson Mandela, nos décisions doivent être fondées sur nos espoirs, et non sur nos craintes.

 

Or des pistes existent pour des récits d’espoir d’aujourd’hui. En ce qui concerne les écologistes, il est clair que le temps n’est plus – ou plus seulement – à la dénonciation sèche et chiffrée des dommages que nous portons à l’environnement. Tout le monde sait aujourd’hui que nous allons dans le mur, et c’est peut-être pour cela que certains, méconnaissant les solutions qui sont à notre disposition, sombrent dans une funeste nostalgie conservatrice. Nous, les écologistes, devons assumer d’être aussi des porteurs de bonnes nouvelles ! Il s’agit de valoriser les nombreuses solutions qui nous permettront de relever les défis de ce siècle et de les mettre en perspective dans un récit abordable et motivant: nouvelles technologies, nouveaux modèles économiques, nouvelles pratiques individuelles et collectives…

 

Le succès du film Demain montre que c’est possible. Il constitue une narration, strictement basée sur des faits mais très mobilisatrice, qui présente toute une série de solutions, d’ores et déjà développées au niveau local, et qui ne demandent qu’à être mieux connues, puis généralisées. Ce film redonne du sens aux notions de progrès ou d’innovation, en liant solutions locales et enjeux globaux (un des fondamentaux des Verts), en intégrant les innovations technologiques dans un projet de société, et en montrant le plaisir – et les succès – de ceux qui s’engagent dans leur quotidien pour un monde plus durable. Lors de la campagne pour l’initiative pour une économie verte, nous avons adopté la même ligne, avec Swisscleantech et bien d’autres, symbolisée sur les réseaux sociaux par le « hashtag » #çamarche ou #esgeht. Nous n’avons pas atteint une majorité cette fois-ci, mais ce n’est que le début de notre engagement pour une économie verte. La campagne pour la stratégie énergétique 2050, dans le cas de l’aboutissement du référendum de l’UDC, devra elle aussi raconter en quoi la transition énergétique est non seulement possible, mais constitue un magnifique projet de société, qui permettra à chacun d’entre nous de contribuer à notre approvisionnement en énergie propre.

 

Les enjeux écologiques ne sont pas les seuls auxquels doit s’appliquer cette logique narrative. Nous avons urgemment besoin de nouveaux récits mobilisateurs autour d’une Europe plus décentralisée, solidaire et citoyenne, des acquis incontestables du droit international et des droits humains, des chances d’une globalisation équitable et d’une numérisation bien gérée pour notre économie comme pour notre société. Parviendrons-nous à développer de tels récits, à la fois crédibles et enthousiasmants, ancrés dans des données factuelles, mais portés par nos espoirs, sur les grands enjeux du 21ème siècle ? Ces récits feront-il le poids face à la mythologie passéiste des populistes et extrémistes de tout bords ? Les citoyens seront-ils disposés, selon l’expression de l’économiste Nicolas Bouzou, à « aimer l’avenir » ?  Voilà les questions que je me pose en ces premiers jours de 2017.

 

 

Soutenir la Stratégie énergétique 2050 face aux fantasmes étatistes et passéistes de Blocher

Christoph Blocher veut donc subventionner les centrales nucléaires, qui fonctionnent actuellement à perte à cause de la surproduction de courant en Europe. Une telle proposition va à rebours du bon sens et amène le tribun UDC à se contredire lui-même.

 

Comment Christoph Blocher peut-il proposer de telles subventions, alors qu’il dénonce en même temps la politique de soutiens aux énergies renouvelables en Allemagne, mais aussi en Suisse, via le référendum contre la Stratégie énergétique 2050 ? La question de savoir si des subventions se justifient dans le domaine de l’énergie et plus particulièrement de l’électricité est pertinente. Mais alors, il faut la poser sérieusement.

 

Pourquoi soutient-on aujourd’hui les énergies renouvelables ? Parce qu’il s’agit d’un investissement indispensable pour garantir notre approvisionnement. Les énergies renouvelables sont des technologies récentes, dont le prix est encore relativement élevé, même s’il baisse régulièrement. Ceci les rend, du moins momentanément, moins concurrentielles. Or nous avons besoin de les développer rapidement. En effet, à part quelques rares illuminés, plus personne ne souhaite construire de nouvelles centrales nucléaires en Suisse. Et notre parc nucléaire, parmi les plus vieux du monde, est en bout de course. Actuellement, tous nos réacteurs, sans exception, sont touchés par des problèmes techniques. Mühleberg fermera en 2019 à cause de fissures irréparables. Leibstadt est à l’arrêt depuis plusieurs mois du fait d’une anomalie de ses combustibles. Beznau I est à l’arrêt depuis bientôt deux ans, après la découverte de plus de 900 « défauts » dans la paroi en acier de sa cuve. Enfin, on a appris tout récemment que les centrales de Beznau et de Gösgen doivent subir des contrôles car des malfaçons pourraient avoir affecté certains de leurs composants. On voit combien le nucléaire, qui centralise la production d’électricité sur un petit nombre de sites, fragilise notre sécurité d’approvisionnement et notre autonomie énergétique. Si nous voulons garantir ces dernières, nous devons aujourd’hui investir dans des énergies alternatives sûres et décentralisées. C’est la raison pour laquelle nous soutenons les énergies renouvelables : elles doivent pouvoir remplacer rapidement une production nucléaire de plus en plus défaillante.

 

De tels soutiens ne sont d’ailleurs nécessaires que pour pallier à un important dysfonctionnement du marché. En effet, si les énergies renouvelables tardent à s’imposer, c’est principalement à cause des subventionnements directs et indirects apportés en Suisse et ailleurs aux énergies fossiles et à l’industrie de l’atome. Nos centrales nucléaires ne sont pas correctement assurées : ce sont les contribuables qui se portent garants et qui passeraient à la caisse en cas d’accident. Ils le feront aussi, ainsi que leurs descendants sur de nombreuses générations, pour le démantèlement des centrales et la gestion de leurs déchets, pendant des milliers d’années. Les prix actuels de l’électricité nucléaire, tout comme ceux du pétrole, du charbon et du gaz, ne reflètent pas leurs coûts réels pour notre société. Si c’était le cas, il ne serait pas nécessaire de subventionner les énergies renouvelables, qui reviendraient beaucoup moins cher. Le nucléaire ne se serait d’ailleurs jamais développé. Il est, de fait, indissociable des soutiens de l’Etat.

 

Ce que demande Christoph Blocher, c’est dès lors que nous nous enfoncions encore un peu plus dans cette politique étatiste et centralisée de subventionnement, qui plus est d’une filière qui n’a jamais été effectivement rentable, et qui est aujourd’hui moribonde et sans avenir. Ceci au détriment d’un système énergétique décentralisé, qui nécessite des investissements momentanés, certes, mais qui sera rapidement rentable, et dont les véritables acteurs sont la population – le peuple, dirait M. Blocher. En effet, chacun peut aujourd’hui devenir producteur d’électricité, renforçant ainsi notre autonomie et notre sécurité. La position de Christoph Blocher est donc non seulement passéiste et absurde d’un point de vue économique, mais elle est en outre étatiste et centralisatrice. Elle empêche le peuple suisse de devenir, en toute indépendance, l’acteur de son propre approvisionnement. Beau paradoxe.

 

Plutôt que de dépenser de l’argent à fonds perdu dans une technologie en fin de vie, mieux vaudrait y mettre rapidement un terme. Christoph Blocher n’aime pas les subventions aux énergies renouvelables ? Alors fermons nos vieilles centrales nucléaires, en commençant par les deux réacteurs de Beznau. En luttant contre la surproduction d’électricité et la chute des prix qui lui est liée, une telle mesure revalorisera nos centrales hydroélectriques, actuellement en difficultés, et les énergies renouvelables, en contribuant à les rendre plus rapidement rentables. La Stratégie énergétique 2050 s’inscrit dans cette perspective d’investissements ponctuels et ciblés, qui relève du pur bon sens. Il faudra la soutenir avec la plus grande fermeté si le référendum de l’UDC aboutit.

Pour une agriculture multifonctionnelle et durable, sans OGM

Le Conseil national vient de refuser d’autoriser la culture d’OGM en Suisse dans le cadre d’un concept de “coexistence” que proposait le Conseil fédéral. Il a en outre prolongé le moratoire sur la production d’OGM de quatre années supplémentaires. Ces deux décisions sont à saluer car elles renforcent une agriculture et une production alimentaire durables dans notre pays.

 

En 1996, les Suisses ont fait un choix de société en inscrivant dans la Constitution les principes d’une agriculture multifonctionnelle, répondant à la fois aux exigences du développement durable et à celles du marché. Quelques années plus tard, en 2005, ils votaient pour un moratoire sur les OGM, prolongé plusieurs fois depuis. C’est dans ce cadre qu’un large consensus s’est constitué autour de la notion de « Stratégie qualité ». Celle-ci se base sur des valeurs comme le naturel, la sécurité et la santé, l’authenticité ou la durabilité. Elle implique notamment que « l’agriculture renonce volontairement, afin de saisir des opportunités du marché, à utiliser des organismes génétiquement modifiés ».

 

Ce positionnement axé sur la qualité et sur le renoncement aux OGM a fait ses preuves et contribue à rendre l’agriculture suisse plus concurrentielle, performante et attractive, pour le plus grand bénéfice de nos agriculteurs. Il correspond en outre aux attentes des consommateurs. Selon un récent sondage de la Coop, 85 % des consommateurs suisses rejettent les produits contenant des OGM.

 

Or le système de coexistence proposé par le Conseil fédéral porterait atteinte à cette volonté des consommateurs. La Suisse est un petit territoire et une séparation sûre et surtout économiquement viable des filières avec et sans OGM est parfaitement illusoire. La coexistence aboutirait de fait à un renchérissement des produits alimentaires, sur le dos des producteurs “sans OGM”, et sur une impossibilité de garantir des produits sans OGM, au détriment de la liberté de choix des consommateurs.

 

La culture d’OGM implique, de fait, une agriculture intensive et polluante, qui est à l’opposé de ce que recherchent les consommateurs suisses, mais aussi des exigences de l’article 104 de notre Constitution tout comme de la stratégie qualité. Les plantes OGM actuellement sur le marché, principalement du soja, du maïs et du colza, sont utilisées comme fourrages pour le bétail dans le cadre de la production industrielle de viande, dont l’impact sur le climat est désastreux, sans parler du bien-être des animaux. Leur contribution à la diminution de la faim dans le monde, une promesse récurrente des promoteurs des OGM, est inexistante, puisqu’elles sont principalement utilisées pour la production de masse de produits carnés à l’intention des pays développés.

 

Les plantes génétiquement modifiées sont en outre en général conçues pour résister, dans le cadre de monocultures intensives, à des pesticides. Les OGM contribuent ainsi à une augmentation de leur usage. Or la Confédération vient de décider, dans le cadre du Plan d’action sur les pesticides, de réduire l’usage de ces produits pour des raisons écologiques et sanitaires. La culture d’OGM en Suisse serait absurde au vu de cet objectif.

 

Les promoteurs des OGM aiment décrire ceux qui s’y opposent comme des obscurantistes, mus par des craintes irrationnelles. C’est tout à fait faux. Il n’est pas nécessaire d’entrer dans le débat sur les risques liés – ou pas – à la consommation de produits OGM, pour en refuser la production dans notre pays. Les conséquences néfastes sur la santé et sur l’environnement d’une agriculture intensive et riche en pesticides sont scientifiquement prouvées, or ce type d’agriculture est aujourd’hui indissociable des OGM.

 

Avec le moratoire prolongé par le parlement, la recherche reste en tout temps possible dans ce domaine. Si des produits OGM de qualité, sûrs et écologiques, s’inscrivant dans une agriculture durable et respectueuse de l’autonomie des paysans, et répondant aux attentes des consommateurs, arrivaient soudainement sur le marché, le débat pourrait reprendre dans notre pays.

 

Le refus des OGM ne repose ainsi pas sur le rejet obtus d’une technologie. Il se fonde sur une réflexion principalement économique, réalisée par la branche agro-alimentaire elle-même, à propos du positionnement qu’elle souhaite adopter sur le marché, et sur la manière dont elle entend répondre à la volonté des Suisses de bénéficier d’une agriculture et de produits alimentaires durables. Une volonté exprimée depuis des années, à maintes reprises, à la fois dans leurs choix de consommateur et dans leurs votes en tant que citoyens, au point que notre Constitution en a été modifiée à deux reprises. Ceci est absolument légitime et n’a rien à voir avec un rejet de la science.

 

Sortie du nucléaire : qui sont les hypocrites?

Le débat sur la sortie du nucléaire tourne beaucoup autour des conséquences de la première étape de la fermeture des centrales, à savoir celle de nos trois plus anciens réacteurs, Beznau 1 et 2, et Mühleberg. Ceux-ci devraient en effet être débranchés dans l’année succédant le vote, c’est à dire à en 2017.

 

Les opposants à l’initiative ont commencé par nous annoncer à grands cris un black-out. Mais dans une Europe où l’on produit tellement d’électricité que les prix se sont effondrés et mettent en péril la rentabilité de nos barrages, une telle menace ne tient pas la route. De plus, deux réacteurs, Beznau I et surtout le très puissant Leibstadt, sont actuellement à l’arrêt à cause de problèmes techniques et le resteront encore une bonne partie de cet hiver. L’électricité manquant de ce fait est nettement plus élevée que celle des trois petits réacteurs qui devraient fermer en 2017 si l’initiative était acceptée. Or point de black-out, il faut bien le constater.

 

Ne pouvant plus effrayer les citoyens avec cet épouvantail, les adversaires de l’initiative accusent les initiants d’hypocrisie. En fermant nos plus vieux réacteurs après 45 ans, nous nous condamnerions à importer de l’électricité sale, issue de centrales nucléaires ou à charbon. On doit tout d’abord se réjouir du fait que ces Messieurs s’inquiètent autant du changement climatique. C’est nouveau.

 

Pour ce qui est des importations d’électricité sale, le problème existe cependant aujourd’hui déjà. La Suisse importe et exporte régulièrement de l’électricité et celle qui arrive chez nous n’est pas garantie « sans tache ». Or peu de parlementaires s’en émeuvent. Et ceux qui dénoncent aujourd’hui les risques d’importations de courant sale ont refusé de le soumettre à une taxe afin d’en décourager l’importation lors du traitement de la Stratégie énergétique. Certains d’entre eux attaquent même la Stratégie énergétique en référendum. Ils rejettent ainsi plusieurs mesures favorables au climat, ainsi que les soutiens au développement d’énergies renouvelables locales, qui nous permettraient justement de nous émanciper des importations de courant. Alors, qui est hypocrite, dans cette affaire ?

 

En réalité, une offre importante d’électricité propre européenne existe. Elle est en plein boom, alors que les modes de production néfastes pour l’environnement sont appelés à régresser, notamment du fait des engagements de l’Accord de Paris sur le climat. Actuellement, la moitié des centrales nucléaires françaises sont en outre à l’arrêt pour des raisons techniques et l’Allemagne sort du nucléaire en 2022. La sécurité de l’approvisionnement n’est pas à chercher là, mais dans les énergies renouvelables. Il est tout à fait possible de les privilégier lors de nos importations. C’est d’ailleurs ce que les initiants demandent depuis longtemps, indépendamment de la date de fermeture de nos centrales. Nos entreprises électriques ont investi dans des installations d’énergies renouvelables en Europe, dont il serait tout naturel de rapatrier les fruits.

 

Enfin, quelle est l’alternative proposée par les adversaires à l’initiative pour une sortie programmée du nucléaire ? Ils misent précisément sur de l’électricité sale ! Leur but est de continuer à faire fonctionner, en les tirant jusqu’à la corde, des centrales nucléaires suisses qui mettent inutilement en danger la population, tout en produisant du courant sale, générant des déchets toxiques pendant des milliers d’années, qu’aucune région de notre pays ne veut stocker sur son territoire ! Même l’argument « autarcique » ne tient pas la route : produire notre propre électricité nucléaire – sale – ne nous rend pas plus indépendants de l’étranger, puisque nous devons importer l’uranium utilisé dans nos centrales.

 

Bref, la meilleure solution pour la Suisse est de fermer à temps ses vieux réacteurs dangereux, qui ne sont de toute façon plus rentables, pour autant qu’ils l’aient jamais été. La question des importations ne se serait pas posée si le parlement avait, comme les Verts le demandent depuis longtemps, encouragé suffisamment le développement des énergies renouvelables locales. A cause de cette erreur politique, on ne peut exclure qu’il faille, pendant une brève phase de transition, importer un peu plus d’électricité que nous le faisons aujourd’hui. De l’électricité propre, car c’est tout à fait possible. Ceci jusqu’à ce que les 40'000 projets en attente des soutiens prévus par la Stratégie énergétique soient réalisés. L’électricité qu’ils produiront compensera alors intégralement les pertes liées à la fermeture de nos trois plus vieux réacteurs.

Cela vaudra toujours mieux que de continuer à produire sur place de l’électricité nucléaire sale, dépendant d’un combustible importé, en mettant en danger la population de notre pays. Pour rappel, nos centrales ont été conçues pour durer 30 à 40 ans, pas 60. Et un accident nucléaire sur le plateau suisse exigerait l’évacuation de villes comme Fribourg, Berne ou Zurich. Il y a des risques que nous n’avons pas le droit de prendre, alors que des alternatives sûres existent.