Photo © Abdul Aziz Muhamat, de retour de Lesbos
Il y a quelques jours, la Suisse annonçait son aide financière et matérielle à la Grèce. Elle s’accompagnera sans doute de conseils suisses au gouvernement grec qui s’intéresse au bilan positif de la procédure accélérée. Mais sur les îles la situation humanitaire est si grave que l’on se trouve dans une situation où les criminels de droit commun sont bien mieux traités en Europe. En plus, l’aide suisse se concentre sur un objectif, celui de maintenir les réfugiés loin de nos frontières. C’est regrettable. Elle doit faire mieux en soutenant des ONG locales expérimentées et connectées et elle doit faire plus en proposant la relocalisation rapide de familles particulièrement vulnérables.
Une souffrance sans nom dans les îles grecques
Avec l’arrivée de 59 726 personnes en 2019, les îles de Samos, Lesbos, Chios, Leros et Kos accueillent actuellement quelque 40 000 personnes dont 85% viennent de pays en conflits (Syrie, Afghanistan, Irak, Palestine, Somalie, RDC) et méritent selon le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) un statut de protection.
Depuis le mois de juillet 2019, le nombre de personnes enregistrées à Moria (Lesvos) a quadruplé. Il accueille désormais plus de 18 000 personnes, neuf fois sa capacité d’hébergement réelle (2 200 personnes) et surtout le tiers de la population du camp est constituée d’enfants de moins de 12 ans dont beaucoup sont malades. Ils ne bénéficient d’ailleurs plus de soins depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle loi sur l’asile en novembre.
MSF et le HCR ont demandé l’évacuation rapide des personnes dont la santé s’aggrave, des mineurs non accompagnés et des familles vers des logements décents en Grèce continentale.
“Je n’ai jamais été aussi traumatisé de ma vie”
La hausse des arrivées depuis la Turquie a commencé au printemps 2018 avec la politique répressive turque à l’égards des réfugiés syriens et afghans sur son territoire. L’Union européenne reste quant à elle campée sur la fermeture de ses frontières et profite des îles grecques pour y parvenir. De son côté, la Grèce souffre d’un système d’asile défectueux.
Le spectre de la politique australienne de détention forcée sur les îles éloignées de Nauru et de Manus hante les esprits. Même si les politiciens européens se défendent de vouloir en arriver là, on y est presque selon Abdul Aziz Muhamat, lauréat 2019 du Prix Martin Ennals, lui-même victime du système australien. Il revient de Moria, traumatisé par la souffrance et le désespoir qui règne là-bas. Son témoignage vaut de l’or après ce qu’il a enduré pendant des années dans un centre de détention pour requérants d’asile sur l’île de Manus.
“Je n’ai jamais vu un tel désastre humanitaire, le camp de Moria n’a pas assez de toilettes, de douches, de chambres…Là-bas ils et elles font la queue des heures et pour tout. La nourriture est absolument insuffisante, les femmes n’osent pas sortir la nuit et dorment avec des langes, deux jeunes hommes ont récemment été poignardé. Il n’y a que 10 policiers qui ne travaillent pas la nuit, ” raconte-il éprouvé par tout ce qu’il a vu.
L’aide suisse est insuffisante
On peut se réjouir de l’aide humanitaire matérielle (fournitures de médicaments, de matériel médical, de couvertures, de tentes et de lits) et financière suisse pour les personnes bloquées sur les îles et pour les mineurs non accompagnés sur le continent. L’aide sera, comme les années précédentes, fournie par le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) et le Corps suisse d’aide humanitaire (DDC) et comprendra l’envoi d’experts pour l’enregistrement des demandes d’asile et l’identification des requérants d’asile et une aide aux retours volontaires.
En plus, le SEM soutient financièrement ZEUXIS, une jeune ONG créée en 2018 qui dispose à Athènes d’une structure d’accueil pour des jeunes filles mineures non accompagnées et un centre de jour pour le soutien psychologique et social des enfants de migrants et de leurs familles. Un nouveau centre pour jeunes garçons mineurs non accompagnés sera financé en 2020 pour un montant total de CHF 570’000.
La Suisse a aussi promis de s’activer pour le regroupement familial des requérants mineurs non accompagnés (RMNA) ayant de la famille en Suisse et conformément au règlement Dublin. Le SEM s’est aussi dit prêt à tenir compte d’autres critères humanitaires mais le nombre de RMNA qui pourraient être concernés n’est pas connu. Il a été bas entre 2015 et 2020 avec seulement 10 à 15 regroupements par année. L’organisation METAdrasi estime que le nombre de mineurs non accompagnés ayant de la famille en Suisse est faible, ils seraient 40 jeunes au maximum. Bien sûr, la rapidité de cette procédure dépend aussi de la rapidité des formalités en Grèce et des délais tenus.
Cette aide n’est pas assez ambitieuse. Promettre le regroupement familial de quelques mineurs non accompagnés est insuffisant. Elle doit aussi rapidement proposer la relocalisation des réfugiés particulièrement vulnérables directement depuis les îles. Les demandes d’asile en Suisse n’ont fait que baisser depuis quatre ans et plusieurs centres d’hébergement vides ont été fermés en 2019. La crise humanitaire grecque est l’occasion de les rouvrir.
La Grèce souhaite importer la procédure accélérée suisse
Tout porte à croire que le nouveau gouvernement grec souhaite importer la procédure accélérée suisse. Dans l’urgence, il vient de passer une nouvelle loi durcie sur l’asile et il a annoncé la construction de nouveaux centres (insert Youtube link) ouverts le jour mais fermés la nuit. A ce stade de la crise, nombre d’organisations, comme le HCR, approuvent mais à certaines conditions (1). En réalité, ces futurs centres pourraient bien ressembler à nos centres fédéraux d’où les renvois ou retour volontaires seraient exécutés. Entre décembre 2018 et juin 2019, le SEM a financé les retours volontaires de 108 personnes déboutées de l’asile en Grèce. Il compte poursuivre et même accroître cette aide en 2020.
Avant l’argent, l’organisation avec la création d’un Bureau de coordination humanitaire
Les besoins financiers en Grèce sont immenses et les ONG locales de qualité ne manquent pas. Il faut les soutenir dans leur travail. Les activités de tutelle et d’hébergement des mineurs non accompagnés de METAdrasi sont menacées suite au non renouvellement du soutien de 2 millions d’euros de l’Union européenne. L’organisation PRAKSIS a aussi été contrainte de fermer plusieurs centres d’accueil fin 2018.
Un rapport de la Commission sur le soutien financier de l’UE à la Grèce précisait que plus de 690 millions d’euros ont été octroyés à des organisations internationales et plus de 275 millions d’euros ont été acheminés vers les autorités nationales grecques via l’instrument de soutien d’urgence de l’UE. En tout, 1.6 milliards d’euros auraient été distribués depuis 2015 via trois fonds européens différents.
En 2020, l’Union européenne et les Etats européens devront davantage soutenir les ONG locales avec une longue expérience sur le terrain. Par exemple, il serait préférable d’employer des interprètes grecs déjà formés pour la procédure d’asile au lieu d’employer des interprètes en provenance d’autres pays sous contrats du Bureau européen d’asile qui eux coûtent en moyenne trois fois plus chers. Un exemple parmi tant d’autres. On ne peut reprocher au gouvernement grec de « dilapider les fonds européens » quand on voit où va l’argent.
La Suisse doit promouvoir toutes les actions en faveur d’une meilleure coopération entre les acteurs institutionnels, associatifs et civils sur le terrain. Elle doit financer uniquement les organisations qui démontrent un réseau solide axé sur la coordination de l’action humanitaire. Les organisations sur le terrain doivent aussi mieux coordonner leurs actions selon Lora Pappa, directrice et fondatrice de METAdrasi et ancienne collaboratrice du HCR.
“Il y a une multitude de départements gouvernementaux, d’organisations internationales gouvernementales en plus des ONG locales, étrangères et internationales sur le terrain, mais la coordination entre ces organisations fait défaut”, déplore Lora Pappa.
Par la même occasion, l’enregistrement des ONG et de leurs employés est le passage obligé vers une meilleure coordination de leur travail. Si cette exigence est mal perçue par certains, plusieurs observateurs l’approuvent car les ONG se sont multipliées comme des champignons et beaucoup opèrent dans leur coin, en solo.
Sur la situation à Moria voir en particulier le documentaire d’ARTE accessible ici: Plongée dans l’enfer de Moria
Note:
- Il demande que les requérants mineurs non accompagnés, les familles avec enfants en bas âges, les personnes malades et âgées soient immédiatement transférées sur le continent.
Je trouve votre combat admirable mais je n’y souscris pas. La majorité des pays que vous citez (nb: la Palestine est citée 2x, un lapsus freudien ? 🙂 ) ne connaissent pas de crises humanitaires (au sens du droit d’asile) et, surtout, ces populations ont traversé de très nombreux états sûrs avant de venir s’entasser en Grèce. Et plus nous ouvrirons de places, plus ils viendront, toujours plus nombreux. Calais l’a montré…
A mon avis, il faut donner un message clair: à moins d’avoir un motif d’asile manifeste (reconnaissable sous 48 heures), ils ne sont pas les bienvenues en Europe.
Les temps ont changé: l’Asie et une partie de l’Afrique (éthiopie p. ex.) a un taux de croissance qui leur permettent d’accueillir et d’intégrer ces populations. Mais ce n’est plus le cas de l’Europe. Notre continent est en train de s’effondrer sous le poids des budgets sociaux. A un moment donné, il ne faut plus écouter les junkies de l’humanitaire mais se montrer réaliste. La génération de nos parents a imposé un fardeau que nous ne pouvons pas porter; notre futur sera nettement moins bon que le leur, c’est manifeste pour qui a moins de 30 ans. Et il est temps de parler écologie, décroissance, contrôle des naissances et réduction de la population (par la fermeture des frontières).
Vous rêvez d’une Europe qui n’a jamais existé; celle qui aurait eu les moyens d’intégrer tous les malheureux de la Terre sans contrepartie…
C’est la fin …..
28 février 2020
D’un côté, le Conseil fédéral interdit toute manifestation de plus de 1000 personnes pour essayer de nous protéger d’une pandémie…
De l’autre, la Turquie ouvre grand ses frontières pour déverser des centaines de milliers de personnes malades, fragiles et qui vous déstabiliser tous nos gouvernements !
“La Turquie n’empêchera plus les migrants qui essaient de se rendre en Europe de franchir la frontière, a assuré à l’AFP un haut responsable turc vendredi.
La décision d’«ouvrir les portes» a été prise lors d’un conseil de sécurité extraordinaire présidé par le chef de l’Etat Recep Tayyip Erdogan dans la nuit de jeudi à vendredi.
Cette réunion a été convoquée après la mort de dizaines de militaires turcs dans la région d’Idleb (nord-ouest de la Syrie) dans des frappes aériennes attribuées par Ankara au régime syrien soutenu militairement par la Russie.
«Nous ne retiendrons plus ceux qui veulent se rendre en Europe», a déclaré ce responsable sous couvert d’anonymat.”