Asile: les superpouvoirs des interprètes

Les interprètes jouent un rôle déterminant dans la communication lors des auditions d’asile. La restitution des propos du demandeur d’asile comme celles des questions de l’auditeur repose sur eux. Une mauvaise traduction peut avoir des effets dramatiques sur le destin d’une personne ou d’une famille.

Encore aujourd’hui, les erreurs de traduction (dates, calendriers, temps de conjugaison) sont courantes et il n’est pas rare que des tensions entre le requérant d’asile et l’interprète infectent le cours d’une audition qui continue alors qu’elle devrait être interrompue séance tenante.  

Plusieurs affaires, actuellement en cours de réexamen auprès des autorités d’asile, mettent en évidence des besoins de vérifications sur les antécédents et les liens politiques des interprètes, sur leurs compétences linguistiques, sur leur sensibilisation notamment en ce qui concerne les violences sexuelles.

La nouvelle procédure d’asile accélérée vient d’entrer en vigueur le 1er mars 2019. Sans efforts de formation, sensibilisation et encadrement supplémentaires, les bavures iront en augmentation.

AFFAIRES EN COURS ET TÉMOIGNAGES

 

Les témoignages récoltés récemment auprès de juristes, avocats et requérants d’asile sont effarants. Il y a régulièrement des problèmes entre des requérants parlant le farsi (Iran) assistés d’interprètes parlant le dari (Afghanistan) et vice-versa. Un requérant yézidi n’a pas osé parler devant un interprète kurde musulman. Un requérant parlant le bilen un autre parlant le tigrinya se retrouvent flanqués d’un interprète parlant l’arabe. Un requérant iranien affirme qu’il comprenait assez de français pour s’apercevoir que l’interprète était très imprécis. Il devait systématiquement le corriger. Une femme kurde n’a pas osé parlé des violences subies devant l’interprète masculin.

Trois affaires sont actuellement examinées par le SEM, le TAF et le Comité des Nations Unies contre la torture. L’une implique une famille kurde irakienne, l’autre un requérant afghan, mineur au moment des auditions, le troisième un requérant iranien. Les représentants juridiques dénoncent des interprètes inadéquats, incompétents ou qui n’ont pas respecté les codes de déontologie, notamment le devoir de neutralité. Ils critiquent aussi la mauvaise foi du SEM qui refuse de reconnaître les problèmes tout en profitant de relever des contradictions pour justifier une décision de renvoi.

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“Eden” l’excellente nouvelle série fiction sur la crise migratoire

A quelques jours des élections européennes “Eden” la nouvelle série fiction d’Arte est bienvenue. Elle permet de mieux comprendre les enjeux de la crise migratoire et les difficultés des personnes qui arrivent en Europe pour demander l’asile. Cette série franco-allemande plonge le téléspectateur dans un autre monde, complexe et méconnu. J’invite mes lecteurs et commentateurs à la regarder.

En six épisodes, des comédiens de tous les pays et de toutes les langues racontent avec sensibilité le parcours de migrants, de réfugiés, de gardiens de camps, de famille d’accueils. 

                                       

A travers cinq histoires puissantes, le récit aborde les difficultés de la migration, le choc des cultures avec ses préjugés et ses promesses. Il critique aussi la lenteur des procédures d’asile, le système d’asile européen et le “business” de la migration fait d’entreprises privées appâtées par le gain. Si ce sujet d’actualité est difficile a abordé, le réalisateur français Dominik Moll a tenu promesse. La fiction est fine, réaliste et esthétique. Il se confiait hier matin sur France Inter

Pour faire cette série (…) il fallait se concentrer sur quelques destins individuels et essayer de donner des visages à cette masse, enfin qui est souvent présentée comme ça à la télévision.

“Les réfugiés, les migrants”…On imagine une horde qui vient nous envahir et du coup ça fait un peu peur…

L’idée c’était justement de dédramatiser aussi et d’enlever cette peur et de montrer que ces personnes qui fuient leur pays sont des individus avec leurs peurs, leurs espoirs, leurs défauts, leurs qualités comme tout le monde. “

 

La mise en scène, les acteurs (dont l’actrice Sylvie Testud dans le rôle de directrice d’un camp de migrants), la fiction elle-même, ressemblent aux images vues dans les actualités et aux parcours réels de milliers de requérants arrivés en Suisse et en Europe. D’ailleurs, plusieurs comédiens sont eux-mêmes en situation d’exil.

 

 

 

La première scène a été vécue de nombreuses fois par des vacanciers sur les plages de Méditerranée à Lampedusa, en Sicile, à Malte ou sur les îles grecques qui font face à la Turquie. Un jeune homme sur une plage de l’île de Chios (Grèce) voit arriver un zodiac, d’où débarquent des dizaines de migrants. C’est le début de plusieurs histoires: celle d’Hélène (Sylvie Testud) qui travaille pour une entreprise privée qui tire profit de la gestion d’un centre grec pour requérants d’asile, celle des deux gardes de sécurité à Athène responsable de l’accident mortel de Daniel un requérant nigérian, celle d’Amaré son petit frère mineur qui utilise des passeurs sans scrupules pour quitter la Grèce et rejoindre l’Angleterre, celle de ce couple de réfugiés syriens à Paris et enfin celle d’une famille allemande à Manheim qui accueille un requérant syrien.   

 

Les six épisodes peuvent, dès aujourd’hui, être visionnés sur le site d’Arte. La diffusion des épisodes à la télévision a commencé hier et se poursuit jeudi prochain 9 mai. Vous pouvez aussi écouter l’interview de Dominik Moll par Sonia Devillers dans l’Instant M sur France Inter