Appel des femmes genevoises face à la catastrophe humanitaire en Méditerranée

Elles sont plus de 100 femmes genevoises, issues de la vie politique et de la société civile, de tout bords politiques, qui n’en peuvent plus de l’apathie de la Suisse et de l’Europe face aux drames en Méditerranée.

C’était une erreur magistrale de renoncer aux procédures d’asile aux ambassades en 2013. Il a été remplacé par le système des visas humanitaires qui est un leurre, une vitrine d’humanité alors qu’ils sont octroyés au compte-goutte, souvent avec l’assistance et la persévérance d’un avocat ou d’un juriste en Suisse.

Et la mer Méditerranée se transforme jour après jour en un gigantesque tombeau. Le Haut-commissariat aux réfugiés a comptabilisé 2’900 noyés en 2016 et les drames vont continuer. De Syrie, d’Afghanistan, d’Irak, d’Iran, de Somalie, d’Erythrée, ce sont des femmes enceintes, des hommes âgés, ce sont des adolescents, des enfants, des bébés, ce sont des hommes responsables de leur famille qui coulent tout au fond de la Méditerranée rejoindre d’autres naufragés.

Combien de morts faudra-t-il tolérer avant de comprendre que les ambassades peuvent jouer un rôle positif et contribuer à éviter ce drame humain ?

Dans l’esprit de l’Appel de Neuchâtel qui demande l’octroi élargi de visas humanitaires, l’Appel des femmes genevoises demande que les personnes qui doivent fuir la guerre ou la persécution, puissent faire une demande de protection et de visa aux ambassades.

Cet appel est sans couleur politique. Je l’ai signé car je pense que nos ambassades doivent et peuvent jouer un rôle décisionnel plus important dans ce domaine. Il est adressé au Conseil fédéral, au Conseil national, au Conseil des Etats et au Conseil de l’Europe. Le voici.

Nous, femmes, vivant à Genève, siège du Haut-Commissariat des Nations Unies aux réfugiés, du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme, du Comité International de la Croix-Rouge

Considérant

  • les familles, les hommes, les femmes, les enfants forcés par la guerre à quitter leur pays, leur foyer ;
  • les conditions de voyage précaires et périlleuses mettant gravement en danger des vies humaines ;
  • les plus de 7’000 personnes migrantes décédées en mer depuis 2014 (source OIM) ;
  • les personnes retenues aux frontières sur la route des Balkans, et ailleurs, dans des conditions indignes de notre société ;
  • la traite d’êtres humains, dont les femmes et les enfants sont plus particulièrement victimes (10’000 enfants mineurs non accompagnés disparus dans l’espace Schengen (source Europol) ;
  • l’accord calamiteux signé entre l’Union européenne et la Turquie ne répondant en aucune manière au besoin de protection des populations issues des pays en conflit.

Nous appelons à ce que les demandes d’asile qui émanent des personnes fuyant la guerre ou victimes de persécutions, puissent être déposées par les requérant-e-s auprès des ambassades et des consulats européens de leurs pays respectifs ou du pays de transit, ou à défaut, leur permettre une voie légale d’entrée en Europe.

Genève, le 28 juin 2016

VOUS POUVEZ SIGNER CETTE PETITION  ICI

Contact: Jannick Frigenti Empana, 076 343 75 06

Le comité : Laurence Corpataux, Alia Chaker Mangeat, Jannick Frigenti Empana, Maria Vittoria Romano, conseillères municipales en Ville de Genève.

 

 

 

 

Alerte rouge en Méditerranée

Depuis le début de l’année, pas une semaine ne passe sans annonces de naufrages et de décès en Méditerranée. Les derniers drames furent spectaculaires et nous pouvions les voir presque en temps réel.

Les chiffres

De janvier à mai 2016, l’Organisation internationale des migrations (OIM) a constaté la disparition de 2’443 personnes, une hausse de 34% par rapport à la même période l’année dernière. Mais les cinq jours noirs ont eu lieu entre le 25 et le 30 mai, durant lesquels trois naufrages importants ont eu lieu, et causé la mort de plus de 800 migrants : hommes, femmes et enfants coincés au fond des cales.

Cj70R9DXIAAshc_Selon Federico Soda, directeur du bureau de coordination de l’OIM à Rome, il y a eu 13’000 arrivées en Italie entre le 23 et le 29 mai. Cette hausse est due en partie au beau temps et à l’utilisation de gros bateaux en bois qui sont surchargés avec 500 à 700 personnes à bord. Il est fréquent qu’ils prennent l’eau dès le départ de la traversée. Ils sont souvent remorqués par de plus petits bateaux qui les laissent en plan en pleine mer avec un numéro d’urgence.

Un jeune érythréen qui a survécu au naufrage très meurtrier du 26 mai, à 30 kilomètres des côtes lybiennes, a expliqué à l’OIM les causes de ce drame.

“The vessel was being towed by another smuggling boat, which had an estimated 800 people on board. After several hours, the smaller boat began to take on water (…) the captain of the towing boat then cut the tow line. The second vessel continued to take on water and eventually capsized. There were many women and boys in the hold. We were taking on water, but we had a pump that helped us to push the water out. When the pump ran out of fuel, we asked for more fuel to the captain of the first boat, who said no. At this point there was nothing left to do: the water was everywhere and we slowly started to sink. There were between about 35 women and 40 children next to me: they all died.”

En fait, les bateaux utilisés sont défectueux et surchargés et la distance à effectuer dépasse les 200 kilomètres. Christopher Catrambone, fondateur de MOAS (« Migrant Offshore Aid Station ») qui est en charge des opérations de survie en Méditerranée depuis 2013, expliquait récemment au New York Times pourquoi les naufrages ont augmenté.

“Le plus souvent, les noyades ont lieu dans la “zone morte” qui se trouve dans les eaux territoriales libiennes ou en marge de cette limite, à 12 milles nautiques soit 22 kilomètres des côtes. Le problème est que la Libye se trouve encore dans un état de chaos et n’est pas en mesure d’entreprendre des opérations de sauvetage. On voit beaucoup de Syriens, beaucoup de Nigérians qui disent fuirent Boko Haram, on voit des Somaliens, des Ethiopiens, on voit aussi des personnes qui sont clairement des migrants économiques. Il n’est pas rare de voir 12 à 13 nationalités différentes sur les navires mais ils viennent tous de Libye. La Libye est le robinet de l’Afrique.”

Les passeurs réussissent où l’Europe échoue

En Grèce, les requérants d’asile ont été déplacés du camp d’Idoméni vers d’autres camps de fortune comme celui de Softex à Thessaloniki. Ceux-là et ceux qui sont bloqués dans les « hotspots » sur les îles grecques, souffrent des dysfonctionnements graves dans la procédure d’enregistrement et des conditions d’accueil insoutenables.

Ils cherchent à tout prix des moyens de partir et beaucoup d’entre eux ne souhaitent pas s’enregistrer du tout car ils n’ont pas confiance dans le système de relocalisation européen. Pour beaucoup le passeur est la seule issue de secours.

Certains observateurs considèrent que l’Union européenne a réussi un coup de maître en signant l’accord avec la Turquie parce que les arrivées en Grèce ont baissé de manière drastique. Il est pourtant naïf de penser que la Turquie ne pouvait pas mieux surveiller ses côtes avant l’accord alors qu’elle parvient très bien à sceller sa frontière avec la Syrie.

Cet accord stagne et il vient d’être encore affaiblit par une décision récente du tribunal de Lesbos jugeant les renvois involontaires de syriens en Turquie illicites. Depuis le 20 mars, seulement 411 personnes ont été renvoyées en Turquie alors que 9’700 personnes sont encore arrivées sur les îles grecques. Pendant ce temps, les trafiquants se sont déplacés plus au sud. Le 27 mai, un bateau en détresse au large de la Crête (Grèce) a été secouru avec 64 personnes d’origine afghane, iranienne et irakienne dont des femmes enceintes et un bébé de 9 mois. Ces personnes sont parties de Marmaris, pas loin de Bodrum.

Les filières de passeurs existeront tant que la demande mord à l’hameçon, ce qu’elle fait malgré les dangers de noyades. Cet été donc, les départs continueront depuis la Lybie, la Turquie, l’Italie et la Grèce où la plupart des requérants d’asile ne souhaitent pas rester.

Ils traverseront quand même

Malheureusement, l’Union européenne se concentre pour l’instant sur quatre solutions « armées »:

  1. contenir les requérants d’asile dans l’Europe périphérique (Italie et Grèce) grâce aux centre d’enregistrement et de relocalisation « hostpots » qui ne désemplissent pas,
  2. accroître ses contrôles aux frontières extérieures grâce aux nouveaux moyens donnés à Frontex et l’Opération militaire navale EUNAVFOR,
  3. négocier des accords de partenariat avec des gouvernements peu sûrs comme la Turquie, la Lybie et le Soudan et
  4. développer les infrastructures de détention de migrants clandestins afin de permettre à ces pays de les contenir d’une manière ou d’une autre.

Cette dernière solution est la pire. Elle viole tous les principes de droits humains fondamentaux sur lesquels l’Europe s’est construite. La révélation récente du Spiegel, concernant les tractations secrètes des dirigeants européens avec Omar Hassan El-Bechir, chef d’Etat soudanais contre lequel la Cour pénale internationale a émis un mandat d’arrêt pour les crimes commis au Darfour, est certainement la plus démoralisante qui soit.

Alors je sais que si j’étais migrante économique ou victime de persécution dans mon pays d’origine, je ferais la traversée à n’importe quel prix et par n’importe quel temps, le plus vite possible même si je risque la mort.

 

 

 

Les aumôniers auprès des requérants d’asile sont tout aussi utiles aux autorités

La présence des églises protestantes et catholiques auprès des requérants d’asile est utile, souvent nécessaire et quelques fois indispensable. En Suisse, ce sont les aumôniers qui ont le plus souvent accès aux prisons, aux centres de détention administratives et aux cinq centres d’enregistrement et de procédure en plus des deux aéroports internationaux de Genève et de Zurich.

Des policiers aux juristes, des assistants sociaux aux médecins, en passant par les fonctionnaires de l’Etat et de la Confédération, les aumôniers sont en contact avec tous les intervenants de l’asile. Ils ont une place unique et forment une courroie de transmission entre les besoins des uns et les exigences des autres tout en humanisant, autant que possible, le contexte de l’asile.

A Genève c’est l’Aumônerie genevoise œcuménique auprès des requérants d’asile (AGORA) qui offre ses services aux requérants d’asile. Depuis 2009, l’AGORA est au cœur du Foyer des Tattes à Vernier. Là, elle accueille quotidiennement les requérants d’asile et organise des cours et des activités.

Les aumôniers effectuent des visites quotidiennes à l’aéroport de Genève et des visites hebdomadaires dans les centres de détention administrative et dans les abris PC. Ces visites leur permettent d’appréhender avec humanité et pragmatisme la réalité quotidienne des requérants d’asile mais aussi des personnes en charge de ces centres.

Dans ces lieux inaccessibles pour le commun des mortels où les personnes souffrent de solitude et de détresse sinon de maladie, les aumôniers offrent en plus d’une écoute spirituelle, une aide concrète.

On les estime parce qu’ils sont extrêmement bien renseignés et positivement hyperactifs, hyper connectés et hyper créatifs. Le dévouement des aumôniers inspire le respect et suscitent la reconnaissance de valeurs communes malgré les différences religieuses. A l’AGORA les projets fusent, le répondant est réactif, les idées sont positives et constructives.

Nicole Andreetta, Véronique Egger, Eric Imseng et Anne-Madeleine Reinmann déploient toute leur énergie, assistés de nombreux stagiaires, civilistes et bénévoles. L’année dernière, l’AGORA a engagé une nouvelle aumônière catholique. Elle est Suisse d’origine irakienne, membre de l’Eglise chrétienne d’Orient. Ghada Haodiche-Kariakos a dû fuir l’Irak en 1997 avec son mari et ses deux enfants. Elle poursuit sa formation d’aumônière avec enthousiasme et conviction.

Nous ne faisons aucun prosélytisme et nous aidons tous les requérants d’asile sans distinctions. Il nous arrive bien sûr de prier avec les requérants d’asile mais nous essayons, surtout, de rester à l’écoute des besoins des personnes, explique Anne-Madeleine Reinmann.

Avec un carnet d’adresse en or, elles sont les personnes à contacter si on souhaite aider ou simplement comprendre la vie des requérants d’asile arrivés à Genève. L’AGORA est d’ailleurs régulièrement contactée par les écoles pour faire des présentations sur son travail et sur la situation des migrants en Suisse.

Notre tâche est d’humaniser la procédure d’asile. Les décisions qui sont prises dans ce domaine affectent non seulement les requérants mais aussi les policiers et fonctionnaires qui participent à l’application de ces décisions, par exemple dans le cadre de l’exécution des renvois, déclare Nicole Andreetta.

Elle sait que le renvoi est un évènement traumatisant pour le requérant débouté mais aussi pour les personnes en charge de son exécution.