METAdrasi fondé par Lora Papa, reçoit le Prix Conrad N. Hilton pour son travail auprès des requérants d’asile en Grèce

Lora Pappa est une femme de terrain inspirante et déterminée. En décembre 2009 elle fonde METAdrasi, Action pour la migration et le développement afin de soutenir de nouvelles actions en Grèce pour une gestion plus efficace des flux migratoires. Son travail vient d’être récompensé par le prestigieux prix humanitaire “N. Hilton Humanitarian Prize” qui sera remis lors d’une cérémonie qui se tiendra à Los Angeles le 18 octobre 2019. Le prix Hilton est considéré de loin le plus important (2 millions de dollars) et le plus prestigieux prix humanitaire au monde. 

 



 

Activités novatrices de METAdrasi

En 2010 METAdrasi se lance dans la formation d’interprètes et dans l’accompagnement des mineurs non-accompagnés. Un réseau d’escortes est créé pour transférer rapidement les mineurs et enfants non-accompagnés des centres de détention vers des foyers appropriés. Avec le temps, METAdrasi développe d’autres activités novatrices, comme le réseau de tuteurs pour protéger les mineurs dès leur arrivée, un système de parrainage grâce à un réseau de familles d’accueil, des foyers de transit sur les îles. En 2018, METAdrasi lance un nouveau programme permettant aux mineurs non accompagnés de 16 à 18 ans, bénéficiant du statut de réfugié, de vivre en autonomie assistée.  L’organisation offre une assistance juridique et procède à l’identification et à la certification des victimes de torture. Enfin elle est engagée dans la formation avec notamment des cours de langues. 

 

Comment tout a commencé

Après des études à Genève à l’Institut des hautes études internationales et du développement (IUHEID), Lora Pappa retourne en Grèce où elle travaille plusieurs années pour le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). C’est lors de missions sur les îles qu’elle constate le manque d’assistance aux requérants mineurs non-accompagnés, littéralement laissés-pour-compte, sans hébergement appropriés, sans aides particulières, destinés à l’errance, donc des cibles idéales pour les réseaux criminels. 

 

Je voyais beaucoup de requérants mineurs non-accompagnés totalement délaissés dans des camps fermés avec des adultes. Je savais qu’ils devaient être transférés au plus vite vers des foyers sur le continent mais il n’y avait personne pour le faire. Les préfectures avaient l’ordre des procureurs de les transférer mais ces ordres restaient lettre morte ou  cela se faisaient dans de mauvaises conditions. Il y avait des enfants qui passaient plus de temps que les adultes dans des conditions de détention sur les îles. Comme aucune ONG ne souhaitait s’en charger, j’ai décidé de créer METAdrasi pour combler ce vide.”

Lora Pappa se rend aussi compte du manque d’interprètes compétents et impartiaux. Dès 2010, l’ONG se lance dans un vaste programme de sélection et de formation d’interprètes. Aujourd’hui METAdrasi en compte 350 qui couvrent 43 langues et dialectes en tout. Ils sont appelés pour traduire  dans le cadre de la procédure d’asile, durant l’enregistrement sur les îles, dans des camps de réfugiés sur le continent mais aussi dans les hôpitaux ou auprès des services publics comme les écoles. Les interprètes sont aussi actifs auprès d’autres organisations non-gouvernementales (ONG) ou internationales, notamment le HCR. Dans ce domaine METAdrasi pourrait bien être une pointure au niveau européen. 

Nous nous occupons de la sélection des interprètes, de leur formation et de leur évaluation. Le succès de METAdrasi vient de la formation qu’elle délivre et de la coordination des interprètes sur le terrain. Autre particularité, la nouvelle loi de 2013 en Grèce oblige les interprètes à signer avec un code ce qui les protège des tentatives de corruption. Nous sommes un des seul pays à le faire en Europe. Les auditions d’asile sont aussi enregistrées.”

Lora Pappa déplore par contre la prolifération d’entreprises privées depuis 2015 qui facturent des prix élevés au Bureau européen d’appui en matière d’asile (EASO) alors que leurs interprètes font l’objet de plaintes récurrentes. Lora Pappa songe sérieusement à répondre au prochain appel d’offre de EASO parce que l’expertise de METAdrasi est unique et doit profiter au plus grand nombre. 

 

“Nous sommes devenus la main droite des procureurs” 

En Grèce se sont les procureurs qui sont nommés tuteurs provisoires d’office pour les mineurs non-accompagnés. Mais ils ne voient jamais ces enfants car ils n’ont pas le temps. Alors nous sommes devenus la main droite des procureurs en créant en 2014 un réseau de tuteurs spéciaux. Pour chaque enfant, les procureurs nous donnent un pouvoir de tutelle. Nous pouvons accéder aux mineurs non-accompagnés et les représenter durant toute la procédure. Nous veillons à leur bien- être, mais que dire quand il y a une absence totale de places d’hébergements, de nourriture et de vêtements? Nos tuteurs sont confrontés à des reproches parce qu’ils dépassent leur mandat! Nous n’avons pas assez de ressources pour pouvoir prendre en charge tous les enfants non-accompagnés. Nous avons 60 tuteurs spéciaux et 5’500 mineurs et enfants isolés dans toutes la Grèce. C’est la première fois que nous avons autant de mineurs non-accompagnés enregistrés. Sur les îles la situation nous dépasse. Aujourd’hui au camp de Moria (île de Lesvos) nous avons dépassé les 1’100 enfants non-accompagnés et nous avons une équipe de 8 tuteurs spéciaux. Donc nous essayons de prendre en priorité les enfants de moins de 15 ans, toutes les filles, tous les cas vulnérables et les enfants qui ont besoin d’un regroupement familial.”

Depuis janvier 2019, et c’est un immense progrès, METAdrasi a reçu des procureurs (excepté à Samos) un ordre général pour accompagner les mineurs non-accompagnés dès leur arrivée en Grèce. 

Cette nouvelle mesure est un grand pas en en avant car elle nous permet d’être présent dès l’enregistrement effectué par FRONTEX à l’arrivée aux frontières et ainsi d’éviter autant que possible la disparition du mineur dans la foule. Nous avons donc la possibilité d’enclencher rapidement les demandes de regroupement familial et toute autre procédure,” explique Lora Pappa. 

 

Les conditions de vie sont extrêmes et inhumaines pour les mineurs non-accompagnés

Depuis toujours, les îles grecques en face de la Turquie (Lesvos, Chios, Samos, Leros, Kos) ont été les points d’arrivée des requérants d’asile mais la crise humanitaire de 2015 a fait exploser leurs besoins humanitaires. Pour répondre aux manques, METAdrasi a ouvert, en 2015, plusieurs centres de transit sur les îles de Samos, Lesbos et Chios et aussi un à Athène pour les enfants de moins de 12 ans. Ces centres d’accueil et d’hébergements de transit ont déjà bénéficié à plus de 400 jeunes. 

L’avantage de ces centres c’est que les mineurs ne passent pas par le camp hotspot, qui est très traumatisant, ils vont directement dans nos centres durant le temps de la procédure. Au début quand nous les avons ouvert, ils ne restaient que 12 jours en moyenne mais depuis que les frontières sont bloquées et depuis l’accord avec la Turquie, nous avons des enfants qui sont chez nous encore après deux ans. Depuis le mois d’août 2016 nous avons commencé un système de parrainage et nous plaçons les enfants non-accompagnés dans des familles grecques. Cette solidarité envers eux m’impressionne. Nous avons déjà hébergé 85 enfants. Comme le taux de rejet des demandes de regroupement familial est élevé (40%), nous avons maintenant plusieurs cas de parrainage à long-terme et même deux adoptions. Les citoyens grecs se rendent compte qu’il n’y a pas de solidarité des Etats européens. Ce qu’endure tous les jours les habitants des îles est incroyable. On parle peu de Samos mais c’est là que la situation humanitaire est la pire. 

Jusqu’en mars 2016, date de l’accord entre l’Union européenne et la Turquie, les requérants d’asile étaient transférés vers le continent aussi rapidement que possible, mais depuis, les îles sont devenues les “zones tampons de l’Europe” d’où les transferts se font au goutte-à-goutte. Au 31 août, le nombre total de mineurs non accompagnés enregistrés dans le pays était de 4’393 bien supérieur aux capacités d’accueil existantes estimées à 1’903 lits. Mais selon les chiffres de METAdrasi le nombre d’enfants non-accompagnés tourne plutôt autour de 5’500. Beaucoup ne sont pas encore enregistrés par le service d’asile. 

Fin septembre plusieurs ONG internationales ont dénoncé la situation humanitaire dans les îles grecques. Malgré les financements européens importants, les hébergements manquent cruellement aujourd’hui et les conditions de vie de milliers de mineurs non-accompagnés sont extrêmes (1). 

Le cadre de financement ne permet aucune flexibilité pour répondre aux vrais besoins et de manière immédiate. Nos foyer sur les îles sont financés par des fonds privés, car le fait que nous acceptons des filles et des garçons ne nous permet pas d’être financé par les fonds européens accordés au gouvernement grec. Heureusement que nous avons des donateurs qui croient à notre travail. Mais c’est vraiment très difficile de devoir se battre pour des choses aussi évidentes.”

 

Faciliter le regroupement familial des mineurs non-accompagnés

Pour toutes sortes de mauvaises raisons beaucoup de mineurs non-accompagnés n’arrivent pas à rejoindre leur famille en Europe. Les juristes de METAdrasi jonglent avec les exigences ubuesques qui varient d’un pays à l’autre, déplore Lora Pappa. 

“Les dispositions du Règlement Dublin en matière de regroupement familial sont souvent ignorées par les pays. Beaucoup de mineurs non-accompagnés n’arrivent pas à rejoindre des membres de leur famille dans d’autres Etats membres de l’Union européenne qui nous demandent tellement de preuves qui n’ont rien à voir avec l’intérêt supérieur de l’enfant dont peu de pays tiennent compte. Nous sommes sur le terrain et nous aidons le service d’asile grec pour finalement réussir à envoyer le dossier dans le délai imparti de trois mois. C’est une course contre la montre. En ce moment il y a des dizaine de cas par jour qui perdent leur droit à la réunification parce que il ya tant de formalités et de preuves à apporter que nous n’arrivons pas à respecter ce délai. Si on ne remplit pas toutes les exigences, souvent dépourvues de sens, nous savons que la demande sera rejetée. Je suis très fâchée et je considère que cette politique est immorale et inacceptable. Il est clair que nous devons simplifier les formalités pour les pays de premier accueil. Imaginez-vous! Dans le camp de Moria (Lesvos) où  il n’y a même pas de couverture à donner aux enfants, essayer de faire les recherches – entre les tentes et les containers du camp – sur la situation économique et sociale de la famille en Allemagne et ensuite obtenir le livret de famille d’un enfant syrien ou afghan et puis de devoir écrire 30 pages pour justifier que l’intérêt supérieur de l’enfant est de pouvoir rejoindre un membre de sa famille… Avec ces obstacles nous ne faisons que livrer ces mineurs aux mains de passeurs pour qu’ils traversent les frontières illégalement afin de rejoindre un frère ou un parent. C’est un gros problème et il faut que les pays européens se mettent d’accord sur les conditions à fournir pour permettre les réunifications familiales.” 

 

 Le soutien de la Suisse 

L’avenir proche ne promet rien de réjouissant. La Turquie qui accueille 3,6 millions de réfugiés syriens a menacé d’ouvrir les portes à moins de bénéficier d’un soutien international pour déplacer 1 million de réfugiés dans le nord de la Syrie. 

Le HCR vient d’annoncer le déplacement de milliers de civils au nord de la Syrie suite à l’opération militaire turque. Depuis le mois de janvier 2019, 48’518 personnes sont arrivées en Grèce dont 38’000 sur les îles. Au camp de Moria sur l’île de Lesbos la situation est explosive avec près de 13’000 requérants d’asile alors que le camp est fait pour en contenir 3’000. 

Malgré la situation, Lora Pappa dit garder espoir dans la solidarité en Europe. Elle est très reconnaissante au Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) de l’avoir soutenue en 2016 et 2017 et admet que notre pays pourrait jouer un rôle positif dans l’aide au regroupement familial des mineurs non-accompagnés (2). 

“Si vous avez des places d’hébergement, pourquoi ne pas accueillir les mineurs non-accompagnés en attendant qu’ils puissent rejoindre leurs familles dans d’autres pays européens. Ce serait une aide considérable. La Suisse pourrait montrer le chemin de la solidarité et je suis sûre que d’autre pays suivront.” 

Il faut rappeler que la Suisse a plusieurs centres vides. Madame la Conseillère fédérale Karin Keller-Sutter vient d’annoncer leur fermeture. Une décision probablement prématurée. Un geste de solidarité envers les mineurs non-accompagnés bloqués en Grèce serait bienvenu, soit sous forme de réinstallation directe avec la collaboration du HCR, soit sous forme de visas humanitaires exceptionnels avec la collaboration de la Croix-Rouge Suisse. 

 


 

  1. Beaucoup de mineurs non-accompagnés sont logés dans des hôpitaux surtout les plus jeunes. Certains se retrouvent en détention préventive, ou vivant dans des conditions inhumaines sur les îles, d’autres vivent sans abri dans les rues d’Athène et de Thessaloniki. L’exploitation de ces enfants représente un danger permanent. En mars et en juin 2019 la Cour européenne des droits de l’homme a rendu deux jugements sévères à l’encontre des autorités grecques pour avoir placé des mineurs non-accompagnés en détention préventive et de manière prolongée. Affaire H.A. et autres c. Grèce, requête no 19951/16, Arrêt du 28.2.2019 et Affaire Sh.D. et autres c. Grèce, Autriche, Croatie, Hongrie, Macédoine, Serbie et Slovénie, requête no. 14165/16, Arrêt du 13.6.2019. Selon l’organisation Human Rights Watch cette pratique continue, ce que confirme d’ailleurs le Comité contre la torture dans ses observations rendues au mois d’août. 
  2. METAdrasi a déjà bénéficié d’un soutien important de la Suisse en 2016 durant 6 mois et en 2017 sur une période de 4 mois, principalement pour couvrir les besoins en interprétation dans le cadre de la procédure d’asile. Lora Pappa considère ce soutien comme un exemple unique de confiance envers une ONG locale contrairement à d’autres États européens qui ont pour habitude d’envoyer leurs interprètes (qui ne parlent même pas grecque), à un coût de 4 fois supérieur à ce que coûte un interprète de METAdrasi. 

Jasmine Caye

Avec une expérience juridique auprès des requérants d'asile à l'aéroport de Genève, Jasmine Caye aime décrypter l'information sur les réfugiés et les questions de migration. Elle a présidé le Centre suisse pour la défense des droits des migrants (CSDM) et continue d'assister des personnes en procédure d'asile. Les articles sur ce blog paraissent en version courte sur un autre blog ForumAsile.

Une réponse à “METAdrasi fondé par Lora Papa, reçoit le Prix Conrad N. Hilton pour son travail auprès des requérants d’asile en Grèce

  1. J’aime bien la nuance de votre conclusion.

    Elle dit, ce serait bien que la Suisse accueille temporairement les MNA dans l’attente de la réunion familiale avec leur famille dans un autre pays européen.
    Vous dites, ce serait bien que la Suisse accueille les MNA ET leur famille définitivement.

    Et, s’agissant des centres fédéraux fermés, vous seriez la première à dénoncer l’inhumanité de leur emplacement pour des MNA (notamment l’éloignement des écoles, etc). Merci d’être un peu cohérente et ne pas faire semblant d’avoir une solution pour vous réserver de la critiquer ensuite…

    Cette dame me paraît plein de bon sens, ce qui est rare dans le personnel des associations d’aide aux migrants, et j’apprécie son discours mesuré. Si seulement elles/ils pouvaient être plus nombreux.. Mais je crains que son travail de “bras droit” de l’état entraîne des difficultés au quotidien de la part du personnel des autres associations, toujours prêts à dénoncer celles et ceux qui “collaborent” avec l’autorité… j’imagine que vous dénoncez d’ailleurs le travail de “ses” interprètes? et souhaitez qu’ils soient systématiquement enregistrés … 🙂

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