En finir avec le “délit de solidarité” en Suisse

Quand Nadia Murad (Prix Nobel de la Paix en 2018) s’est échappée de la voiture qui la conduisait vers un marché aux esclaves où l’homme qui la tenait prisonnière voulait la revendre, elle a couru dans les rues de Mossoul frappant aux portes pour se cacher. Une famille a osé la recevoir malgré les risques encourus dans une ville occupée par le groupe État islamique. Elle l’a hébergée et l’a soignée avant de l’aider à rejoindre un camp de réfugiés. Et si aucune porte ne s’était ouverte?

Le pasteur Norbert Valley est poursuivi pour avoir donné une clé de survie

Hier le pasteur Norbert Valley a été entendu par le Ministère public neuchâtelois. Il est poursuivi pour avoir logé et aidé un requérant d’asile togolais dont la demande d’asile avait été rejetée. En février 2018, Norbert Valley est interpelé dans son église en plein culte du dimanche au Locle pour être auditionné par la police. En août 2018, il fait opposition contre sa condamnation par ordonnance pénale en vertu de la Loi sur les étrangers (1). Au micro de Marie Vuilleumier (journaliste à Swissinfo), Norbert Valley expliquait pourquoi il a eu raison d’aider le requérant en détresse, ajoutant que la Loi sur les étrangers (2008) confondait les criminels qui abusent des personnes vulnérables avec les femmes et les hommes qui leur viennent en aide. 

C’est absurde de mettre dans le même paquet
des gens qui abusent de la fragilité de personnes qui sont dans une situation de détresse
avec ceux qui agissent pour les aider dans leur détresse.
Cela me paraît totalement inconcevable.”

En sortant hier de l’audience, un air serein marquait les visages du pasteur et de son avocat Maître Olivier Bigler qui déclarait encourager le Ministère public à classer l’affaire. Sinon, il se disait prêt à aller avec son client et après épuisement des voies de recours en Suisse, jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme.

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Renvois impossibles vers l’Érythrée, des solutions pragmatiques s’imposent

Aujourd’hui une manifestation a eu lieu à l’occasion de la remise d’une Pétition adressée au Grand Conseil et au Conseil d’Etat de Genève. Cette pétition, signée par près de 4’000 personnes, soutient les requérants Érythréens déboutés de l’asile et démis de leur permis F (Admission provisoire).

Les signataires comme moi considèrent que les conditions ne sont pas réunies pour organiser des renvois vers l’Érythrée et que cette politique ne fait que grossir le nombre de personnes à l’aide d’urgence encourageant la clandestinité de jeunes dont beaucoup ont déjà fait leurs preuves dans le monde professionnel en Suisse.

La pétition “Droit de rester pour les Érythréen-e-sdemande aux autorités politiques genevoises de ne pas exclure de l’aide sociale cette  population et d’éviter leur précarisation. Elle demande aussi d’autoriser les Érythréens déboutés à poursuivre leur formation dans le canton et de leur permettre de travailler à Genève. Elle prie les autorités cantonales d’intervenir auprès du Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) pour qu’il suspende les levées d’admissions provisoires et pour qu’il accorde aux Érythréens le droit de rester en Suisse en mettant en place une action de régularisation extraordinaire.

Gardons à l’esprit que le SEM est dans l’incapacité d’organiser des renvois vers l’Érythrée. L’article Bloqués en Suisse de Marie Vuillemier (Swissinfo.ch) démontre bien la situation ubuesque dans laquelle les Érythréens se retrouvent aujourd’hui. D’ailleurs, la Suisse est aussi le seul pays à rendre des décisions de renvoi à l’égard des ressortissants Érythréens.

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Un index sur l’apatridie compare 18 pays européens et montre que la Suisse est à la traîne

Les personnes apatrides sont parmi les plus vulnérables du globe. Elles n’ont tout simplement pas le “droit d’avoir des droits” comme l’expliquait Hannah Arendt.  Pour les personnes apatrides, accéder à l’éducation, aux soins, au marché du travail, à la justice ou même à l’ouverture d’un compte en banque, est impossible. En plus, les personnes apatrides sans titre de séjour sont souvent arbitrairement placées en détention administrative bien qu’aucun renvoi (vers quel pays?) n’est possible. Le Haut-Commissariat de l’ONU aux réfugiés (HCR) estime que l’apatridie concerne plus de 10 millions de personnes dans le monde et près de 500’000 personnes en Europe.

L’Index sur l’apatridie

L’Index a été mis sur pied par le Réseau européen sur l’apatridie (European Network on Statelessness). Il permet de comparer et évaluer la législation, les politiques et les pratiques des pays européens en matière de protection, de prévention et de réduction de l’apatridie par rapport aux normes et aux bonnes pratiques internationales.

Depuis février 2019, il permet de comparer simultanément 17 pays européens (Bulgarie, Italie, Lettonie, Norvège, Hongrie, France, Allemagne, Macédoine, Moldavie, Pays Bas, Pologne, Serbie, Slovénie, Royaume Uni, Ukraine, Chypre) en plus de la Suisse sur quatre thèmes principaux: la ratification des principaux traités de protection des personnes apatrides, le comptage des personnes apatrides, la détermination du statut d’apatride, la détention, la prévention et la réduction des apatrides. L’accès à l’index est gratuit et mis à disposition des ONG, des différents services gouvernementaux, des avocats et juristes, des chercheurs et des personnes apatrides elles-mêmes.

Les manquements à l’égard des apatrides en Suisse 

En comparaison de beaucoup d’autres pays la Suisse est mauvais élève (1). Sur l’index, l’information détaillée sur la pratique des autorités est fournie par la plateforme d’information Humanrights.ch qui insiste sur les mesures légales, administratives et pratiques que la Suisse doit entreprendre pour mieux protéger les apatrides.

L’index permet de constater que la Suisse présente une faible protection des personnes apatrides en comparaison des autres États européens, même s’il existe certaines mesures spécifiques positives (voir notre article sur l’apatridie en Suisse). Elle gère plutôt bien l’enregistrement d’enfants nouveaux nés apatrides. Elle fait également en sorte que les pratiques liées à l’adoption ne conduisent pas à créer de nouveaux cas d’apatridie. Idem pour les enfants trouvés. La Suisse ne dispose cependant d’aucune mesure de protection pour les enfants qui naissent apatrides sur son sol, ce qui viole le droit de l’enfant à acquérir une nationalité, comme le spécifient pourtant l’art. 24 du Pacte ONU II et l’art. 7 de la Convention des droits de l’enfant (voir notre article sur les enfants apatrides).”

Quelques recommandations du HCR

Notre pays est donc très en retard sur la ratification des traités protégeant les personnes apatrides. En 1972 elle a ratifié la Convention relative au statut des apatrides (1954) qu’elle interprète à sa guise. Elle devrait aussi ratifier la Convention de 1961 sur la réduction des cas d’apatridie, la Convention européenne sur la nationalité de 1997 et la Convention de 2006 sur la prévention des cas d’apatridie en relation avec la succession d’États (2).

Il est impératif que la Suisse ait une loi spécifique qui réglemente, comme dans neuf autres pays, la procédure de reconnaissance des apatrides. Actuellement, la procédure d’octroi du permis de séjour accordé aux personnes reconnues comme apatrides se base sur le droit général de la procédure administrative. Une loi spéciale permettrait de définir non seulement le statut juridique des personnes concernées en cours de procédure, mais aussi de prévoir des auditions et déterminerait mieux le fardeau de la preuve ainsi que les conditions recours.

Une autre pratique problématique concerne la détention administrative des personnes apatrides. En Suisse, l’apatridie n’est pas considérée comme un fait juridiquement pertinent dans les décisions de détention et un pays de renvoi n’a pas besoin d’être identifié avant la détention. La détention peut aussi être ordonnée pendant que les autorités établissent l’identité de la personne. Si la loi prévoit quelques alternatives à la détention, elles ne sont que rarement appliquées. Actuellement, on ne sait d’ailleurs pas combien de personnes apatrides se trouvent en détention administrative en Suisse en vertu du droit des étrangers.

(1) Lire aussi: En Suisse, le taux de reconnaissance des apatrides est trop bas selon le HCR qui demande des changements et le dernier rapport du HCR publié et présenté en novembre 2018.

(2) Lire à ce sujet Résumé et recommandation: l’Apatridie en Suisse.

Informations complémentaires