Le Tribunal fédéral a fixé les limites à la détention dans le cadre de la procédure Dublin

Peut-on faire pire dans l’exécution d’un renvoi?

En mai 2016, un couple afghan et ses trois enfants, âgés de huit à trois ans, sont entrés en Suisse pour déposer une demande d’asile. Conformément au règlement Dublin auquel la Suisse est associée, les autorités d’asile ne sont pas entrées en matière sur leur demande, estimant que cette famille devait poursuivre la procédure d’asile en Norvège.

C’était au Canton de Zoug d’exécuter le renvoi. La police est venue arrêter le couple et leurs quatre enfants (dont le cadet a juste quatre mois) le 3 octobre 2016. Elle a promis un nouveau logement mais ils ont passé la nuit en prison. Le lendemain à quatre heures du matin ils sont emmenés à l’aéroport de Zurich mais le père s’oppose au renvoi car les pièces d’identité des enfants manquent au dossier remis. Le lendemain, une autre tentative de renvoi est interrompue. Alors les autorités du canton de Zoug ordonnent la détention administrative des parents. La mère est placée au centre de détention de l’aéroport de Zürich avec son nourrisson de quatre mois. Elle est séparée de son mari et de ses trois autres jeunes enfants. Le père est placé à l’établissement carcéral de Zoug dans le secteur réservé à la détention administrative. Les enfants de trois, six et huit ans sont séparés de leurs parents et placés en foyer. Pour couronner le tout, ils sont interdits de tout contact téléphonique pendant plusieurs jours. Puis le 25 octobre toute la famille est renvoyée en vol spécial vers la Norvège. 

Le Tribunal fédéral condamne la détention et la séparation de la famille

Pour le Tribunal fédéral qui a admis le recours des parents, cette détention Dublin est illégale. Les juges ont rappelé l’importance de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH) qui garantit le respect de la vie privée et familiale, un droit fondamental qui ne permet aucune ingérence sauf pour préserver un intérêt public prépondérant. Mais pour le tribunal, le bien de l’enfant revêt une importance accrue dans le cadre de cette pesée des intérêts.

“(…) la détention administrative des parents et le placement extrafamilial des enfants dans un foyer, qui ont conduit à la séparation de la famille, n’aurait été partant admissible qu’en dernier ressort et après examen approfondi de la possibilité de prendre des mesures moins incisives (p. ex. le placement de la famille dans un immeuble appartenant au canton ou dans un foyer de passage). En l’espèce, l’évaluation d’autres mesures n’a cependant pas eu lieu. Par conséquent, l’incarcération séparée des parents et le placement extrafamilial d’enfants mineurs dans un foyer ont constitué des mesures disproportionnées au regard de l’article 8 CEDH.”

Un jugement contraignant pour tous les cantons

Pour Denise Graf coordinatrice asile à Amnesty International Suisse “ce jugement a valeur de précédent”. Elle ajoute que les autorités en charge de la migration et de la protection de l’enfance n’ont pas assumé leurs responsabilités vis-à-vis des enfants et de la famille violant grossièrement la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant. Elle rappelle qu’au moment de l’exécution des renvois, le SEM doit veiller à ce que tous les documents présentés par les candidats dans le cadre de leur procédure arrivent à temps aux autorités cantonales chargées de l’exécution du renvoi.

Quelles suites?

Selon Guido  Ehrler, l’avocat de la famille, le canton de Zoug a échappé de justesse à une réprimande en vertu de l’article 3 de la CEDH pour traitement inhumain et dégradant. Dommage, car une récente déclaration suggère que les autorités cantonales suisses en charge des renvois Dublin feront tout pour maintenir le cap sur une pratique dur et ce malgré  l’hostilité croissante de la société civile suisse (1). En effet à la RTS, la direction de la sécurité du canton de Zoug a déclaré que le Tribunal fédéral n’avait pas tenu suffisamment compte des risques de fuite et qu’il manquait des dispositions adaptées en matière d’hébergement des familles migrantes dans ce type de situation.

Cette déclaration fait froid dans le dos. Il n’est pas superflu de rappeler que la Suisse est le pays qui expulse le plus de demandeurs d’asile en vertu des accords de Dublin. Amnesty international Suisse précise qu’au cours des 8 dernières années (de début 2009 à fin 2016), la Suisse a renvoyé 25’728 personnes dans un autre pays européen, ce qui représente 13,6 pour cent de tous les demandeurs d’asile qui ont déposé une demande en Suisse. En comparaison, ce pourcentage est seulement de trois pour cent en Allemagne.

Communiquée de presse du Tribunal fédéral ici

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Plaidoyer en faveur d’une application différente de l’accord Dublin

  1. Dans un appel national lancé de pair avec Solidarité Tattes, Collectif R, Solidarité sans frontières, Droit de rester et l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés, Amnesty International demande au Conseil fédéral que la Suisse se saisisse davantage des demandes d’asile Dublin s’il s’agit de cas de rigueur et/ou pour des raisons humanitaires.

 

 

Véronique Marti sur les traces d’Angèle, requérante d’asile renvoyée en Italie

Cette semaine accrochez-vous à l’émission radio Vacarme sur la RTS qui sera diffusée tous les jours à 13 heures. Vous en sortirez grandis car vous vivrez quelques jours du parcours d’Angèle (1), une jeune requérante d’Afrique de l’Ouest. Elle voulait rester en Suisse pour sa procédure d’asile mais elle a été transférée par avion en Italie en application de l’Accord d’association au règlement Dublin, le lendemain de son arrestation à Genève. C’est en Italie que sa demande devrait être examinée si les circonstances pratiques le permettent.

Une arrestation honteuse

C’est le jeudi 30 mars vers 9 heures alors que la jeune femme vient de faire renouveler son « permis de rester » – son attestation d’aide d’urgence – à l’Office cantonal de la population et des migrations (OCPM) qu’Angèle est arrêtée.

Elle était accompagnée de Véronique Egger, aumônier à l’AGORA. Tout en prolongeant son attestation jusqu’au 6 avril, l’OCPM a donné le signal de sa présence à la police pour qu’elle puisse l’arrêter et la renvoyer. C’est une pratique courante très contestable et très critiquée par les organisations proches des requérants d’asile. Véronique Egger avait mis en garde la jeune femme : un prolongement de l’attestation ne garantit pas que la Suisse renonce au renvoi. Alors que les deux femmes étaient installées dans la voiture pour repartir, soulagées du prolongement de délai, elles furent violemment appréhendées par des policiers surgissant d’un véhicule banalisé.

(suite…)

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