Ils sont détenus au secret depuis quinze ans
Ils ont été arrêtés il y a quinze ans. C’était le 18 septembre 2001 au petit matin. Les forces de sécurités érythréennes, ont arrêté 11 membres officiels du gouvernement parce qu’ils avaient émis, dans une lettre ouverte, des critiques sur les excès dictatoriaux du Président Isaias Aferworki. Ils demandaient l’application de la Constitution et la tenue d’élections. Cette lettre avait lancé le débat et mis le feu aux poudres. Quelques jours plus tard, les rédacteurs en chef de tous les médias indépendants furent arrêtés et transférés dans un lieu de détention isolé. Depuis ce jour, il n’y a plus de presse indépendante en Erythrée.
Ces personnes sont détenues au secret depuis quinze ans alors qu’elles n’ont jamais été inculpées, ni jugées, ni visitées par leurs proches ou par le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), présent depuis 1998.
Sont-ils encore vivants ? Selon Reporters Sans Frontières (RSF) et Human Rights Watch, près de la moitié seraient morts. Les appels internationaux en faveur de leur libération n’ont servi à rien.
Parmi les personnes arrêtées, il y a le général Petros Solomon, libérateur d’Asmara en 1991 et ancien Ministre des affaires étrangères, Haile Woldentensae, ancien camarade de bataille du Président et Ogbe Abraha, l’ancien chef d’état-major. Il y a aussi des journalistes connus comme Dawit Isaac, double national -érythréen et suédois – dont le Ministre de l’information de l’époque, Ali Abdu expliquait en 2013 ne rien savoir de son sort. Ali Abdu s’est d’ailleurs lui-même exilé en décembre 2012 ce qui a provoqué l’arrestation immédiate de plusieurs membres de sa famille, dont sa fille Ciham Ali Abdu qui avait 15 ans. Comme elle est aussi de nationalité américaine, sa détention a été discutée au sein d’une sous-commission de la Chambre des représentants. Les autorités américaines sont sans nouvelles d’elle depuis 2012.
La Suisse et la question érythréenne
Doit-on collaborer avec un tyran pour stopper le flux migratoire en provenance d’Erythrée ? Comment éviter les morts en Méditerranée ? Comment dissuader la venue de nouveaux demandeurs d’asile en Europe ? Comment promouvoir la paix et le bien être social dans ce pays ? Comment y faciliter les renvois? Ces questions tourmentent certains politiciens suisses et européens.
En Suisse on se rappelle de la visite du groupe parlementaire en février de cette année. Elle a, à juste titre, provoqué de nombreuses critiques car un parlementaire n’a aucun moyen d’y vérifier la situation des droits de l’homme.
Depuis 2015, la Suisse développe des projets de soutien aux migrants dans la région mais le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) reconnaît que la situation des droits humains reste problématique. En 2016 il a accordé l’asile à 46% des demandeurs d’asile érythréens. Et malgré le fait que le nombre de demandes d’asile déposées en Suisse en 2016 a chuté – moins 57% par rapport à 2015 – le SEM a encore durci sa pratique, n’accordant l’asile politique ou l’admission provisoire qu’aux déserteurs et objecteurs de conscience. Ainsi une personne qui aurait quitté son pays illégalement avant d’avoir été appelée au service militaire, ne pourrait plus prétendre au statut de réfugié ou obtenir l’admission provisoire. Elle recevrait une décision négative d’asile et serait placée à l’aide d’urgence, pour une durée indéterminée. Le SEM opte définitivement pour une pratique dissuasive à l’égard des demandeurs d’asile érythréens tout en sachant que les renvois sont impossibles et intolérables.
En attendant, l’Erythrée redore son blason avec l’aide de l’Union européenne
L’Union européenne (UE) cherche des solutions semblables à celle qu’elle a trouvé en signant l’accord migratoire avec la Turquie au mois de mars dernier. Elle est plus agressive dans ses projets de développement et tisse des liens économiques et culturels avec Asmara. Les rencontres institutionnelles et politiques se sont intensifiées en 2016. D’ailleurs, le treizième Festival du film européen qui s’ouvre à Asmara fin septembre est largement sponsorisé par l’Union européenne qui lance aussi un Concours de photographie sur les femmes en Erythrée.
Les représentants d’Asmara qui se sont récemment exprimés décrivent un pays respectueux de sa population. Interrogé par Radio France International (RFI) au mois de juin sur la situation des personnes arrêtées en 2001, Osman Saleh, le Ministre érythréen des affaires étrangères, a déclaré que les personnes arrêtées en 2001 étaient vivantes et qu’ils seraient jugés lorsque le gouvernement le déciderait. Comme Yemane Gebreat (ambassadeur d’Erythrée à l’ONU), il a dénoncé le récent rapport de la Commission d’enquête de l’ONU. Ce rapport dénonce 25 ans de crimes contre l’humanité et demande au Conseil de sécurité de l’ONU de saisir le procureur de la Cour pénale internationale pour poursuivre les responsables de ces crimes, les dirigeants actuels de l’Erythrée.
En se rapprochant d’Asmara, l’UE cherche des solutions pour empêcher la venue de migrants érythréens en Europe mais la situation dans ce pays n’est pas propice à la signature d’accords de réadmission qui nécessiteraient l’instauration d’une vraie démocratie respectueuse des droits humains. Aujourd’hui, malgré toutes les parades et les déclarations des membres du gouvernement érythréen, ce pays reste une dictature, une prison sans nom. Abraham Tesfarmariam a fui le pays illégalement en 2007, il est convaincu que rien n’a changé dans son pays d’origine. “Notre Constitution n’est jamais entrée en vigueur. En Érythrée, il n’y a ni lois, ni juridiction. Le gouvernement et ses auxiliaires décident arbitrairement et arrêtent, maltraitent et torturent les gens, sans avoir à se justifier “, a-t-il récemment déclaré à Barabara Graf Mousa de l’Organisation suisse des réfugiés (OSAR).