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Celles et ceux qui ont lancé la caravane des migrants depuis la petite ville meurtrière de San Pedro Sula au Honduras ont réussi à intéresser le monde entier sur leurs conditions de vies déplorables et dangereuses. Partis le 12 octobre 2018 avec l’aide de l’organisation humanitaire Pueblos sin fronteras (« Peuples sans frontières »), ils ont décidé de quitter leur pays en groupe pour mieux s’entraider durant le long parcours vers les Etats-Unis et se protéger des gangs criminels.
Au départ la caravane comptait 160 personnes puis elle s’est agrandie atteignant près de 7’000 personnes principalement originaires du Honduras mais aussi du Guatemala et du Salvador. La caravane a fait une pause ce dimanche à Tapanatepec dans la province de Oaxaca au sud du Mexique.
Passablement diminuée, elle compte maintenant 3 à 4000 personnes. Hier la caravane a quitté la localité de Niltepec pour rejoindre Juchitan, toujours dans l’Etat d’Oaxaca.
Selon Annie Correal du New York Times, la caravane avance très lentement et elle ne fait pas pour l’instant route vers les Etats-Unis contrairement aux informations alarmistes de l’administration Trump qui prévoit de déployer 5200 soldats à la frontière, en plus des 2100 membres de la Garde nationale déjà mobilisés.
Une deuxième caravane de près de 2000 personnes progresse plus au Sud, vers Tapachula, dans l’Etat du Chiapas après être parvenue à traverser le fleuve Suchiate qui sépare le Guatemala du Mexique.
Le changement climatique, une des causes du mouvement migratoire
Si pour le Haut Commissariat de l’ONU aux réfugiés (UNHCR), les migrants fuient principalement la persécution de gangs prédateurs qui volent les terres, les maisons et les biens de milliers de familles, beaucoup d’experts insistent sur l’impact néfaste du changement climatique sur les conditions de vie en Amérique centrale. La sécheresse provoquée par El Niño a touché une grande partie de l’Amérique centrale au cours des quatre dernières années, mais elle a été ponctuée de pluies catastrophiques. Les ouragans, les inondations et les glissements de terrain se sont intensifiés et ont affecté les agriculteurs.
Le Guardian vient de publier un article éclairant à ce sujet. Certaines personnes dans la caravane ont expliqué qu’ils ne pouvaient plus rembourser leurs dettes à cause d’une mauvaise récolte due au changement climatique.
Récemment le journaliste Todd Miller, auteur du livre “Storming the Wall: Climate Change, Migration, and Homeland Security,” affirme que le changement climatique est un facteur clé obligeant les familles à fuir l’Amérique centrale et le Mexique. Autre problème, la puissance commerciale des Etats-Unis qui désavantage les producteurs agricoles de petites tailles. Miller évoque, statistiques à l’appui, les effets dévastateurs de l’Accord de libre-échange centraméricain sur les petits agriculteurs qui se sont soudainement retrouvés en concurrence directe avec l’agroalimentaire et les transporteurs de céréales fortement subventionnés des États-Unis. Selon Miller, environ 2 millions de petits agriculteurs, en particulier dans le sud du Mexique, ont été déplacés ou n’arrivent plus à joindre les deux bouts.
Par ailleurs, le manque de moyens pour contrer des épidémies qui touchent l’agriculture, est aussi une cause de migration. Les données de la douane et de la patrouille frontalière des États-Unis révèlent une augmentation de la migration de l’ouest du Honduras, où se cultive le café. Or depuis 2012, une épidémie appelée rouille des feuilles ravage les plantations en Amérique centrale. Selon certaines estimations, 70% des exploitations agricoles sont détruites. Normalement, le champignon meurt lorsque les températures chutent le soir, mais les nuits plus clémentes lui permettent de se développer.
Vers une meilleure protection des réfugiés climatiques en Amérique centrale
Fatigués et découragés, beaucoup de personnes ont décidé de rebrousser chemin, d’autres ont choisi de déposer une demande d’asile au Mexique, d’autres encore aimeraient poursuivre leur chemin vers Mexico à 700 km, en car si possible, car ils souhaitent y déposer des demandes de permis transitoire avant de reprendre leur route vers les Etats-Unis. Mais c’est une option de moins en moins envisagée, selon Annie Coreal. Le UNHCR tente d’informer les migrants sur la possibilité de déposer une demande d’asile au Mexique et a déjà enregistré près de 2000 demandes. Le Mexique s’attend cette année à recevoir près de 23’000 demandes d’asile, une projection qui pourrait être bientôt revue à la hausse.
Mais la Convention de Genève de 1951 relative au statut international des réfugiés exclu de son champ d’application les réfugiés du climat. Depuis 1951, aucune autre convention n’est venue préciser leur statut en droit international. Avec environ 150 millions à 300 millions de réfugiés climatiques qui devraient être déplacés dans le monde d’ici 2050, un nouveau cadre international sera nécessaire pour les accueillir.
«Si votre ferme a été complètement séchée ou si votre maison a été inondée et si vous vous enfuyez pour sauver votre vie, vous n’êtes pas très différent de tout autre réfugié», a déclaré au Guardian Michael Doyle, spécialiste des relations internationales à l’Université Columbia.
Doyle fait partie d’un groupe d’universitaires qui plaident en faveur d’un nouveau traité qui se concentrerait sur les besoins des personnes déplacées plutôt que sur la raison de leur départ, afin de couvrir la vague attendue de migrants climatiques.
Très alarmée, la Banque mondiale estime que le réchauffement climatique et les conditions météorologiques extrêmes obligeront environ 3,9 millions de migrants climatiques à fuir l’Amérique centrale au cours des 30 prochaines années.
Le débat s’est enflammé aux Etats-Unis à la veille des élections législatives de mi-mandat du 6 novembre. La décision très choquante de l’administration Trump de déployer 5000 soldats supplémentaires pour empêcher des femmes, des enfants et des hommes souhaitant déposer une demande d’asile coûterait USD 50 millions de dollars, une sommes qui pourrait être intelligemment investie en Amérique centrale pour venir en aide aux agriculteurs et pour soutenir des projets de développement durable dans la région.
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(1) Sam Dupre, chercheur à l’Université du Maryland Baltimore.