Pour Jean Ziegler, l’Europe a créé des camps de concentration en Grèce

Jean Ziegler vient de publier un livre intitulé “Lesbos: la honte de l’Europe” sorti le 9 janvier aux Editions du Seuil. Il raconte la situation humanitaire dans les camps de réfugiés sur l’île de Lesbos. Il y dénonce les politiques européennes qui ont créé ces camps où des enfants, des femmes vulnérables, des vieillards sont moins bien traités que des criminels enfermés dans nos prisons. Un comble. Il explique comment l’Europe s’est laissée allée à maltraiter ainsi des réfugiés fuyant des conflits et la violence généralisée. 

Voyage à Lesbos

 

En mai 2019, Jean Ziegler  effectuait un voyage d’étude à Lesbos où se trouve l’un des centres “hotspot” répartis sur cinq îles grecques. Ces centres abritent aujourd’hui quelque 40 000 demandeurs d’asile (1). Durant son voyage il a découvert avec effroi les conditions de vie inhumaines de milliers de personnes entassées dans des tentes humides, des cabanes en plastique et des containers bondés en violation totale des droits humains les plus élémentaires.

Dans une interview à l’Illustré, Jean Ziegler explique ce qu’il a vu à Moria:

Des barbelés, de la nourriture avariée, des conditions d’hygiène absolument affreuses. A Moria, les toilettes sont insalubres et ne ferment pas. Il y en a une pour plus de 100 personnes. Les douches sont à l’eau froide. Le camp se divise en deux. A l’intérieur du camp officiel, plusieurs familles se partagent un seul container, ce qui ne leur laisse que 6 m2 pour vivre. A l’extérieur, ce que les officiels appellent poétiquement «l’oliveraie», c’est un bidonville à l’image de ceux de Manille ou de Dacca. Les enfants jouent dans les immondices entre les serpents et les rats, et lorsqu’il neige, les tentes s’effondrent. Ces camps de réfugiés qu’on appelle des «hot spots» sont de véritables camps de concentration (…) Le droit à l’alimentation est aussi violé. Le camp de Moria est une ancienne caserne. C’est donc le Département de la défense qui est en charge de la nourriture distribuée aux réfugiés (…) Très souvent, le poulet, le poisson sont avariés. J’ai assisté à une dizaine de distributions de nourriture. Les gens attendent trois à quatre heures dans la queue, il y a souvent des bagarres et, quatre fois sur dix, j’ai vu des gens jeter directement leur nourriture et ne garder que les pommes de terre, le riz ou les spaghettis qui l’accompagnent. L’Union européenne paie mais les généraux grecs, souvent corrompus, s’accordent avec des sociétés de traiteurs et détournent une partie de l’argent envoyé par l’UE. Ce que les réfugiés reçoivent comme nourriture est scandaleusement insuffisant et personne ne peut rien y faire car l’armée grecque est souveraine.” 

Les centres “hotspot” sont des camps où droit d’asile, droit à l’alimentation et droits de l’enfant sont niés

 

Les personnes retenues sur ces îles viennent pour la plupart d’Irak, de Syrie, d’Afghanistan, d’Iran et du Soudan et Jean Ziegler a eu l’occasion de leur parler. Ils ont subi la torture, l’extorsion, les passeurs dangereux, les naufrages, les familles décimées, les tentatives de refoulement de Frontex et des garde-côtes grecs et turc.

 

A Lesbos, il y aurait actuellement 19 000 requérants d’asile dans un camp conçu pour héberger 2 800 personnes. Médecins sans frontières (MSF) alerte le monde sur les suicides qui s’y multiplient aussi parmi les mineurs. C’est d’ailleurs le seul endroit où l’ONG a mis en place une mission pédopsychiatrique destinée à éviter les suicides des enfants et adolescents. 

 

Cliquez sur l’image ci-dessous pour consulter les photos de Aris Messinis/ AFP parues dans le Guardian

Life in a Greek Makeshift camp

 

En plus, les requérants mineurs non-accompagnés n’arrivent pas à rejoindre leurs famille déjà établies en Allemagne, en France et en Suisse. Dans une interview récente pour ce blog Lora Pappa fondatrice et directrice de l’ONG grecque METAdrasi critiquait la complexité des démarches et les délais imposés, différents d’un pays de l’Union européenne à l’autre. 

Fin décembre, le gouvernement grec a contacté plusieurs pays européens, dont la Suisse, pour leur demander un soutien, notamment dans l’accélération des procédures de demande de regroupement familial pour les requérants mineurs non accompagnés bloqués sur les îles. 

En retour, le Département fédéral de justice et police (DFJP) aurait promis son aide mais il dit surtout attendre de l’UE des changements en vue d’améliorer le système commun d’asile. 

Fermer les centres hotspots et amender les pays de l’Est qui ne jouent pas le jeu

 

Jean Ziegler estime qu’il faut fermer immédiatement les centres «hotspots». 

La stratégie de la terreur (…) crée des situations totalement inhumaines et détruit les valeurs fondatrices de l’Europe.” 

Il recommande comme beaucoup d’experts, la relocalisation des réfugiés selon une clé de répartition qui tiendrait compte du PIB de chaque pays. Les pays de l’Est, soit la Hongrie, la Pologne, la Slovaquie et la République tchèque bloquent tout et s’opposent depuis 2016 à la relocalisation des réfugiés. Il n’est pas tendre vis-à-vis de ces pays et recommande une politique ferme à leur égard. 

Ces pays, je les appelle des Etats mendiants: ils vivent presque uniquement des subventions de l’aide régionale européenne qui vise à rééquilibrer les situations économiques entre les Etats membres. L’année dernière, cette aide s’élevait à 63 milliards d’euros. Je propose donc de suspendre ces versements pour forcer ces pays à accepter la répartition des réfugiés.”

(1) Lesbos, Chios, Samos, Leros, Kos. 

Image © RTS

Comment s’occuper des mineurs non accompagnés à Genève?

Certains mois, les migrants mineurs non accompagnés (MNA) sont plus nombreux que d’autres. Ils sont venus de France ou directement d’Espagne. Quelques fois on ne sait pas. Ils font partie des personnes les plus vulnérables d’Europe et de Suisse. Il y en a qui ont “quitté le bled” depuis des années. Aujourd’hui à Genève la grande majorité d’entre eux sont originaires d’Algérie, de Tunisie ou du Maroc.

Genève doit trouver des solutions d’assistance adaptées à ce groupe constitué d’une multitude de profils différents. Ils n’ont jamais déposé de demande d’asile. Certains arrivent, puis s’en vont vers d’autres villes ou d’autres pays européens, d’autres décident de rester dans notre canton pour se poser et se reconstruire. Ils craignent leur 18 ans parce qu’ils ont peur d’être encouragés ou forcés de quitter le territoire suisse et de devoir poursuivre en mode “errance clandestine et dangereuse” ailleurs en Europe.

Les cantons suisses et la confédération se trouveront peut-être bientôt devant des demandes de régularisation et craignent qu’une politique trop accueillante provoque un effet d’attraction. C’est possible mais cette crainte fondée ne justifie pas de laisser des enfants et des jeunes adultes à la rue, sans repas, à la merci de réseaux criminels.

A titre individuel, tous les interlocuteurs avec lesquels j’ai pu m’entretenir, que ce soit du côté des associations, du Service de protection des mineurs (SPMi) ou du DIP estiment que les MNA méritent une assistance plus adéquate leur permettant de vivre dans la dignité et la sécurité.

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Transferts Dublin vers l’Italie: juges et experts sonnent l’alarme

Le Tribunal administratif fédéral (TAF) et plusieurs tribunaux allemands ont reconnu la péjoration des conditions de vie des personnes en procédure d’asile en Italie. Rentrés de mission en automne dernier, les experts de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) dressent aussi un bilan très sombre.

L’OSAR recommande de renoncer aux transferts Dublin vers l’Italie

L’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) vient de publier un rapport alarmant sur la situation des requérants d’asile en Italie. Les personnes renvoyées dans le cadre d’une procédure Dublin n’ont guère accès à un hébergement et le respect de leurs droits fondamentaux n’y est plus garanti. 

Alors que le nombre d’arrivées en Italie a continuellement diminué ces derniers mois, les conditions de vie des requérants d’asile dans le pays se sont dramatiquement détériorées, précise l’organisation. C’est la conséquence de deux politiques simultanée: une réduction importante des allocations financières destinées au système d’accueil et un durcissement de la législation envers les requérants d’asile. 

Une mission d’enquête effectuée en automne 2019 et de nombreux entretiens menés avec des experts, des fonctionnaires italiens, des représentants du HCR et de plusieurs organisations non gouvernementales en Italie ont abouti à ce constat. Résultat des courses, l’OSAR demande de stopper purement et simplement les transferts Dublin vers l’Italie. 

  • Lire le rapport de l’OSAR ici

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