Afghanistan: plus de visas humanitaires et l’idée d’un retour à la procédure d’asile en ambassade

Depuis quelque temps, les permanences juridiques et les organisations de défense des requérants d’asile reçoivent de nombreuses demandes de personnes afghanes préoccupées par la sécurité de leurs proches. La Coalition des  juristes indépendants pour le droit d’asile invite donc les autorités fédérales à prendre des mesures rapides en faveur des requérants d’asile Afghans en Suisse et en faveur de leurs familles au pays. 

La suspension des rapatriements vers l’Afghanistan, annoncée par le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM), ne suffit pas. La Coalition demande aux autorités de prendre d’autres décisions importantes. En voici deux:

  1. Accorder l’admission provisoire à toutes les personnes originaires d’Afghanistan – en procédure d’asile ou déboutées de l’asile.
  2. Faciliter l’octroi de visas humanitaires pour les membres de la famille des ressortissants afghans vivant en Suisse, et ce quel que soit leur statut de séjour. Cette possibilité doit être étendue aux femmes et aux filles célibataires apparentées, aux sœurs, aux mères, aux nièces, aux tantes et à d’autres membres vulnérables.

Le monde est sous le choc de la prise fulgurante et sans résistance de Kaboul par les Talibans. En ce qui concerne la Suisse, je m’attends à lire des communiqués de presse sur l’aide humanitaire renforcée au Pakistan, en Iran, au Turkménistan, au Tadjikistan et en Turquie pour aider ces pays dans l’accueil des réfugiés et éviter leur arrivée en Europe.

 

Les Ambassades ont perdu le lien avec le terrain

 

Mais rappelons-nous. Jusqu’à tout récemment le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) comptait encore pouvoir exécuter les renvois vers l’Afghanistan. La situation dans ce pays était “apparemment” sûre, même pour l’ambassade qui, dans sa bulle, s’est trompée sur les capacités de résistance de l’armée afghane, comme toutes les ambassades du monde. 

On ne s’informe pas dans des cocktails ou dans des réunions diplomatiques ou même des conférences mais auprès des personnes concernées par les violences et les abus. Personne ne connaît mieux le terrain que les victimes et les organisations de défense des droits humains. Il suffit de participer aux auditions d’asile pour comprendre que les informations communiquées valent de l’or pour le renseignement. 

 

En aidant on est aidé

 

Ainsi, je me dis constamment que la grande erreur de la Suisse a été d’abandonner, en 2013, la procédure d’asile aux ambassades. Elle permettait au personnel d’ambassade de sonder le terrain, de mieux comprendre la situation humanitaire dans le pays. Auditionner les requérants d’asile sur place c’est aussi gagner en intelligence tout en assurant une voie de passage légale et sûre pour des personnes menacées dans leur pays.

Dans la prochaine loi sur l’asile, il faudra réintroduire la procédure d’asile en ambassade et surtout aligner les pays de l’Union européenne sur cette stratégie qui répond aussi à sa politique migratoire (assurer des voies légales de migration). En attendant, les autorités suisses doivent accélérer la délivrance de visas humanitaires dans les ambassades de la région au Pakistan, en Iran, au Turkménistan, au Tadjikistan et à Ankara et surtout faciliter les démarches des personnes qui ont de la famille en Suisse. 

 

Lire:

Lettre ouverte sur la situation en Afghanistan, Coalition des  juristes indépendants pour le droit d’asile, 16 août 2021. Cette coalition regroupe de nombreuses permanences juridiques et organisations ainsi que des avocats et personnes engagées pour la défense juridique dans le domaine de l’asile.

La prédiction anxiogène et infondée d’un journaliste du Temps

Dans un article récent, Ram Etwareea, journaliste au Temps, parle du “flux des réfugiés (qui) ne tarira pas. Selon lui, le Covid n’a pas empêché des milliers de personnes de “chercher leur bonheur sous d’autres cieux. C’est faux.

Plus loin, Ram Etwareea évoque les traversées “semaine après semaine” de la Méditerranée, de la Manche ou du Rio Grande comme si toutes ces situations étaient semblables. Ensuite, il nous assomme avec les plus de “79,5 millions de réfugiés dans le monde” en précisant au passage que si la Turquie accueille 3,5 millions de réfugiés syriens il n’y a “que”les guillemets sont de lui – “4,2 millions de gens à avoir tenté leur chance en Europe et en Amérique “. Il termine avec le même panache que pourrait avoir, sur sa tribune, un militant d’extrême-droite en citant Jean-Christophe Rufin et son livre L’Empire et les nouveaux barbares (1992). Dans ce livre qui date, l’auteur craint “l’arrivée de hordes de réfugiés, résultat de la fracture planétaire née des travers de la mondialisation”. Et Ram Etwareea de conclure “Nous y sommes“. 

 

Les chiffres peuvent inquiéter. Ils ont été communiqués en juin dernier et répétés en boucle dans les médias à l’occasion des 70 ans de la Convention des réfugiés le 28 juillet dernier. Ce n’est pas toujours une bonne stratégie de communication car ces statistiques inquiètent et sont souvent mal interprétées. Cependant, le Haut Commissaire Filippo Grandi l’a justement expliqué, nous ne sommes de loin pas devant “une horde” et 90 % des réfugiés dans le monde se trouvent dans des pays en développement, pas en Suisse, ni en Europe, ni aux Etats-Unis, ni au Canada.

 

La hausse de demandes d’asile en Suisse ces quatre derniers mois ne ressemble en rien à une horde. Les arrivées sur les côtes italiennes sont en hausse (29’000 au 1er août 2021) mais restent bien loin des chiffres de 2017, 2016 ou 2015 et nous sommes encore en dessous de 2020.  Et puis même avec une hausse, nous avons de la marge. La baisse importante des demandes d’asile en Suisse et dans l’Union européenne  depuis 2015 est très impressionnante. En 2020, les demandes d’asile en Suisse (11’041) n’ont jamais été aussi basses depuis 2007 (10’844). 

 

Ajoutons que la grande majorité des requérants d’asile en Suisse et en Europe ne cherchent pas ” leur bonheur sous d’autres cieux “. Ils aspirent à vivre en sécurité après avoir fui des guerres et des persécutions. Si une minorité passent pour être des migrants économiques, il faut comprendre que ces personnes cherchent surtout un vrai travail pour soutenir leur famille dépendante et endettée au pays. 

 

Avec de tels propos infondés, Ram Etwareea, journaliste au Temps, s’aligne sur la rhétorique nauséabonde de nombreux politiciens européens d’extrême droite.  Il surfe sur le discours de peur et répand des hantises irrationnelles sur les réfugiés et les migrants qu’il soupçonne d’être incapables de ” trouver leur bonheur ” chez eux. 

 

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