L’Italie n’a pas l’infrastructure pour héberger des requérants d’asile vulnérables.
Une étude de Médecins sans frontières (MSF) dévoile comment la négligence des autorités italiennes envers les migrants aggrave leur état sur le plan médical. Ce rapport intitulé « Traumas négligés » dénonce les conditions d’accueils déplorables pour les personnes souffrant de troubles psychologiques et de maladies psychiatriques qui ne font qu’empirer leur état de santé, selon MSF.
Cette situation pose un véritable problème car la Suisse applique le Règlement Dublin de manière automatique et renvoie des familles vulnérables vers l’Italie sans se soucier véritablement de savoir si elles pourront être logées et assistées convenablement. Pourtant, les Bureaux de consultation juridiques insistent sur le fait que ces personnes viennent de pays ravagés par la guerre, elles sont épuisées par leurs parcours et disposent souvent de motifs d’asile sérieux en plus de liens familiaux en Suisse.
La Suisse, meilleure élève pour les renvois Dublin vers l’Italie
Les dernières statistiques en matière d’asile (juillet 2016) indiquent qu’en un an 3’023 transferts Dublin ont eu lieu, en grande majorité vers l’Italie. La Suisse est en seconde place européenne en ce qui concerne les renvois Dublin. Après l’Allemagne, c’est le pays qui transfère le plus de personnes vers l’Italie selon le Conseil italien pour les réfugiés (« CIR »). La France est de loin beaucoup moins mécanique. En 2015, les 12’000 cas Dublin ont représenté 13 % des demandeurs d’asile mais le nombre de transferts est resté très limité avec 525 transferts effectifs.
Au pic de la crise migratoire en 2015, les autorités suisses ont été sous le feu des critiques alors qu’elles continuaient d’ordonner des renvois vers l’Italie, la Hongrie, Malte sans tenir compte du débordement de leurs structures d’accueil.
En juin le Conseil fédéral répondait à une interpellation de Liza Mazzone (Parti écologiste suisse) sur la question l’application de la clause de souveraineté prévue dans le Règlement Dublin. Le Conseil fédéral a déclaré ceci :
“Une analyse au cas par cas est réalisée avant de rendre une décision de non-entrée en matière. La clause de souveraineté peut être appliquée à des personnes vulnérables. En principe, ce sont des situations qui se caractérisent par un cumul de motifs qui sont prises en considération. Les motifs dont il est question peuvent concerner la personne elle-même ou la situation dans l’Etat membre responsable. De surcroît, le Secrétariat d’Etat aux migrations tient compte d’éventuels problèmes de santé lors de l’organisation du transfert. Du 1er janvier 2014 à la fin du mois de mai 2016, près de 4000 personnes ont été mises au bénéfice de la clause de souveraineté, dont 3200 environ pour lesquelles la Grèce aurait été compétente en vertu du règlement Dublin III.”
Je m’interroge sur le fait que le Conseil fédéral ait comptabilisé les renvois vers la Grèce. En 2011, les transferts Dublin vers Athènes ont été déclarés formellement illicites par la Cour européenne des droits de l’homme qui a mis en évidence les défaillances graves dans le système d’asile grec. Il ne sert à rien de gonfler les chiffres, concrètement ce sont 800 personnes qui auraient bénéficié de la clause de souveraineté sur une période de deux ans et demi.
Pour les familles vulnérables la Suisse doit obtenir de vraies garanties d’hébergement
En novembre 2014, la Cour européenne des droits de l’homme a exigé, dans l’affaire qui concernait la famille Tarakhel, que les autorités suisses obtiennent des garanties de prises en charge adaptées « à l’âge des enfants et à la préservation de l’unité familiale » avant d’ordonner le transfert de familles vulnérables vers l’Italie. Résultat : la Suisse comme tous les autres Etats européens soumis à la jurisprudence de la Cour doit avoir l’assurance des autorités italiennes, que l’hébergement dans un foyer leur sera attribué personnellement.
Quelles sont les garanties effectives de l’Italie ? Elles sont pratiquement nulles et figurent dans une petite circulaire du Ministère de l’intérieur italien, datée de février 2016, qui est envoyée à toutes les unités Dublin en Europe y compris l’unité suisse. Elle énumère 23 centres d’hébergement répartis dans 19 provinces différentes pour seulement 85 places réservées aux familles vulnérables…de l’Europe entière. Cette circulaire qui fait, à elle seule, office de garantie, est envoyée à chaque demande de transfert des Etats européens. Non seulement elle ne satisfait pas les exigences de « garanties personnalisées » de la Cour européenne des droits de l’homme, mais encore elle est obsolète.
La Suisse doit appliquer le Règlement Dublin avec plus d’humanité
Rappelons que le préambule et la clause de souveraineté du Règlement Dublin autorisent les Etats parties à ne pas transférer des requérants d’asile vers un autre Etat. Dans le souci d’appliquer l’esprit de ce règlement, beaucoup d’Etats européens prennent à leurs charges les personnes vulnérables. A son tour, la Suisse doit cesser d’ignorer les besoins de personnes vulnérables qui bénéficient de liens familiaux en Suisse car la circulaire italienne de février 2016 n’est de loin plus valide. Exécuter les transferts sur la base de cette liste est indigne de notre pays.
Il est dommage que la Cour européenne des droits de l’homme ne se soit pas prononcée sur les critères de vulnérabilité qui empêcheraient un transfert vers l’Italie. Cela aurait clarifié les choses. L’affaire A.S. contre Suisse a suscité la consternation des juristes et des avocats spécialisés en Suisse et en Europe alors que l’arrêt tombait en pleine crise migratoire (juin 2015). Ce cas malheureux a été défendu par un bureau juridique spécialisé à Genève. Elle concernait un requérant d’asile syrien, victime de torture dans son pays d’origine, qui avait des liens familiaux en Suisse. Il souffrait du syndrome de stress post-traumatique et il était suivi médicalement à Genève. Son médecin préconisait la poursuite des soins en Suisse afin qu’il puisse aussi bénéficier de l’aide de ses sœurs. La Cour européenne a malheureusement jugé que le recourant pouvait obtenir les médicaments dont il avait besoin en Italie. Elle a validé la décision suisse de transfert sans tenir compte des liens familiaux essentiels pour le bien-être psychique et physique du recourant.
J’ai l’espoir que le rapport de MSF éclaire les autorités suisses et provoque un soubresaut d’intelligence et d’humanité. Quand les médecins insistent sur des besoins en soins médicaux spécifiques et sur l’importance des liens familiaux pour les personnes migrantes concernées, celles-ci doivent pouvoir rester en Suisse le temps de leur procédure d’asile. Entre juillet 2015 et juillet 2016, plus de 170’000 migrants sont arrivés par bateau en Italie. Tommaso Fabri, chef de mission pour MSF en Italie a été limpide :
« Les centres d’urgences en Italie ne sont pas adaptés pour accueillir des personnes sur le long terme car trop peu de traducteurs ou de médiateurs culturels travaillent dans ces centres. Cela doit changer immédiatement. Les problèmes de communication causent beaucoup de stress et aggravent le sentiment d’isolement et de précarité parmi les requérants d’asile et les migrants ce qui contribue à augmenter considérablement leur souffrance. »