La prédiction anxiogène et infondée d’un journaliste du Temps

Dans un article récent, Ram Etwareea, journaliste au Temps, parle du “flux des réfugiés (qui) ne tarira pas. Selon lui, le Covid n’a pas empêché des milliers de personnes de “chercher leur bonheur sous d’autres cieux. C’est faux.

Plus loin, Ram Etwareea évoque les traversées “semaine après semaine” de la Méditerranée, de la Manche ou du Rio Grande comme si toutes ces situations étaient semblables. Ensuite, il nous assomme avec les plus de “79,5 millions de réfugiés dans le monde” en précisant au passage que si la Turquie accueille 3,5 millions de réfugiés syriens il n’y a “que”les guillemets sont de lui – “4,2 millions de gens à avoir tenté leur chance en Europe et en Amérique “. Il termine avec le même panache que pourrait avoir, sur sa tribune, un militant d’extrême-droite en citant Jean-Christophe Rufin et son livre L’Empire et les nouveaux barbares (1992). Dans ce livre qui date, l’auteur craint “l’arrivée de hordes de réfugiés, résultat de la fracture planétaire née des travers de la mondialisation”. Et Ram Etwareea de conclure “Nous y sommes“. 

 

Les chiffres peuvent inquiéter. Ils ont été communiqués en juin dernier et répétés en boucle dans les médias à l’occasion des 70 ans de la Convention des réfugiés le 28 juillet dernier. Ce n’est pas toujours une bonne stratégie de communication car ces statistiques inquiètent et sont souvent mal interprétées. Cependant, le Haut Commissaire Filippo Grandi l’a justement expliqué, nous ne sommes de loin pas devant “une horde” et 90 % des réfugiés dans le monde se trouvent dans des pays en développement, pas en Suisse, ni en Europe, ni aux Etats-Unis, ni au Canada.

 

La hausse de demandes d’asile en Suisse ces quatre derniers mois ne ressemble en rien à une horde. Les arrivées sur les côtes italiennes sont en hausse (29’000 au 1er août 2021) mais restent bien loin des chiffres de 2017, 2016 ou 2015 et nous sommes encore en dessous de 2020.  Et puis même avec une hausse, nous avons de la marge. La baisse importante des demandes d’asile en Suisse et dans l’Union européenne  depuis 2015 est très impressionnante. En 2020, les demandes d’asile en Suisse (11’041) n’ont jamais été aussi basses depuis 2007 (10’844). 

 

Ajoutons que la grande majorité des requérants d’asile en Suisse et en Europe ne cherchent pas ” leur bonheur sous d’autres cieux “. Ils aspirent à vivre en sécurité après avoir fui des guerres et des persécutions. Si une minorité passent pour être des migrants économiques, il faut comprendre que ces personnes cherchent surtout un vrai travail pour soutenir leur famille dépendante et endettée au pays. 

 

Avec de tels propos infondés, Ram Etwareea, journaliste au Temps, s’aligne sur la rhétorique nauséabonde de nombreux politiciens européens d’extrême droite.  Il surfe sur le discours de peur et répand des hantises irrationnelles sur les réfugiés et les migrants qu’il soupçonne d’être incapables de ” trouver leur bonheur ” chez eux. 

 

Lire aussi:

 

 

Voir les reportages récents de la RTS:

 

Les Centres fédéraux d’asile fonctionnent comme des boîtes noires hyper sécurisées et mal gérées

Photo © Keystone/Sigi Tischler

 

La mise en oeuvre du nouveau système d’asile en mars 2019 a rendu l’hébergement des requérants d’asile dans les Centres fédéraux d’asile (CFA) extrêmement difficile. A la pression de la procédure d’asile elle-même, s’ajoute des règles de vie absurdes que des agents de sécurité font appliquer avec force, violences, insultes racistes et xénophobes et punitions exagérées.

Le SEM a donné trop de pouvoir aux sociétés privées de sécurité (Protectas et Securitas) sans avoir vraiment les moyens de vérifier leur travail et lorsqu’il sait, il minimise. Pour le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) la parole d’un requérant vaut toujours moins que celle d’un fonctionnaire ou d’un agent de sécurité.  

On doit alors se demander si les conditions d’hébergement dans les CFA permettent la tenue sereine des auditions? Question sous-jacente: dans quelles mesures le SEM et ses sbires mal supervisés peuvent être tenus responsables d’auditions ratées, de mauvaises décisions, de disparitions dans la nature ? 

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Le sale jeu de l’UE en Libye et en Méditerranée

Photo © Flavio Gasperini/SOS MEDITERRANEE

L’excellent reportage de Maurine Mercier pour la RTS parle de la barbarie d’une milice en Libye, de la nécessité de justice dans ce pays et de la relation toxique entre le gouvernement actuel et les milices pour assurer sa sécurité et celle du territoire. En Libye, les milices vivent d’abord de trafics d’armes, de drogue, de migrants et d’essence. Mais, comme le gouvernement n’a pas de police, ni d’armée, ni aucune institution pour les soumettre, il leurs verse des salaires pour tenter d’y parvenir.

 

L’argent de l’UE termine dans les caisses des milices

 

Or, le communiqué récent du Service Européen pour l’Action Extérieure (SEAE) précise les montants astronomiques des transferts effectués en Libye pour favoriser le renforcement de la société civile et améliorer la gestion des migrations. Dans l’ensemble, l’aide de l’UE à la Libye a atteint environ 700 millions d’euros au cours des dernières années. Sur les 455 millions d’euros accordés dans le cadre du Fonds fiduciaire d’urgence de l’UE pour l’Afrique (EUTF), 57 millions d’euros sont alloués pour soutenir les autorités libyennes dans la gestion des frontières, les activités de recherche et de sauvetage (SAR) en mer et sur terre et les forces de l’ordre. 

 

Un autre rapport du Groupe d’experts de l’ONU sur la Libye dit que l’embargo sur les armes décidé en 2011 est une blague. Les armes arrivent de toutes parts. Le groupe d’experts déclare aussi que les personnes migrantes interceptées en mer Méditerranée par les gardes-côtes libyens ne sont pas toujours correctement comptabilisées à leur arrivée aux ports. Certains disparaissent et les différents ministères interrogés n’ont pas donné d’explications. Une chose est sûre, lorsque les migrants sont à nouveau placés dans des centres officiels de détention, ils sont victimes des pires traitements, le groupe d’expert le confirme.

 

En 2019, AP News publiait une enquête ahurissante affirmant que d’importants fonds européens avaient été détournés vers des milices enrichies grâce aux trafics de migrants et bénéficiant de liens spéciaux avec des gardes-côtes. L’ONU était au courant. 

 

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Des artistes et des jeunes migrants ont créé “Checkpoint” une exposition sensationnelle

CHECKPOINT est une exposition fabuleuse créée pour et par une cinquantaine de jeunes migrants non accompagnés. Elle a lieu jusqu’au 20 juin 2021 dans la belle maison de maître rebaptisée la Ferme des Tilleuls à Renens.  

C’est une suite poétique d’immenses gravures, de sérigraphies, de séquences photographiques, de vidéos. Elle présente les œuvres créées lors de quatre ateliers réalisés entre 2019 et 2020 sous la direction artistique de François Burland et d’autres artistes triés sur le volet, la comédienne et metteuse en scène Audrey Cavelius, le “bricoleur professionnel” Stanislas Delarue et l’Agence des Chemins Pédestres, un collectif d’artistes créé en 2020 pour l’exposition. 

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Créatif, le FIFDH 2021 s’adapte et réinvente

Du 5 au 14 mars 2021, la 19ème édition du Festival du film et forum international sur les droits humains FIFDH sera virtuelle et dans la rue. L’équipe s’est adaptée avec brio aux circonstances exceptionnelles de la crise sanitaire en proposant 29 films à voir en ligne, 17 débats qui seront retransmis en direct, des supports sonores, des masterclass et de nombreuses rencontres

 

Covid oblige, le FIFDH va à la conquête du public et sera dans les rues de Genève, sur les murs, dans les gares. Permettre à tout le monde d’interagir sur l’actualité des droits humains, c’est la mission du Festival qui explore de nouvelles formes d’interaction.

 

Cette année, nous avons entièrement repensé cette édition. Nous avons imaginé une expérimentation grandeur nature de ce qu’un Festival autour du cinéma et de l’activisme peut être en temps de pandémie. L’édition 2021 du FIFDH sera encore plus accessible et inclusive que les précédentes” explique Isabelle Gattiker, directrice générale et des programmes. 

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Constats alarmants sur le traitement en Suisse des jeunes personnes migrantes non accompagnées

Dans deux arrêts récents, la Cour européenne des droits de l’homme déclarait ceci:

 

“Un mineur étranger non accompagné relève de la catégorie des personnes les plus vulnérables de la société (…) La situation d’extrême vulnérabilité de l’enfant est déterminante et prédomine sur la qualité d’étranger en séjour illégal (…) En vertu de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, les Etats parties sont tenus d’une obligation positive, à savoir celle de protéger et prendre en charge les mineurs étrangers non accompagnés.” (1)

 

Malheureusement, tout porte à croire que les autorités suisses en sont loin. C’est ce qui ressort d’ une table ronde organisée par la Law Clinic à l’occasion de la sortie d’une brochure d’information sur “Les droits de jeunes personnes migrantes non accompagnées“. On parle ici des requérants d’asile mineurs non-accompagnés RMNA et des mineurs non-accompagnés MNA qui n’ont pas déposé de demande d’asile.

 

Comment les autorités jugent l’âge d’un enfant? Qu’est ce que cela implique pour les jeunes? Quelles sont les difficultés rencontrées par les mineurs lorsqu’ils atteignent la majorité? Voici quelques questions qui ont été abordées par les intervenants (2).

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Détenir pour contrôler la migration, un livre explique une pratique européenne croissante malgré la baisse continue des demandes d’asile depuis 2015

Photo © Yara Nardi/ Reuters. Centre d’accueil à Rome

Depuis la crise migratoire de 2015 et sous l’impulsion des dirigeants de l’Union européenne (1), les États européens ont augmenté les placements en détention pour expulser les demandeurs d’asile déboutés ou les personnes étrangères sans statut légal. Alors que les demandes d’asile ont continuellement baissé de 2016 à 2019, les statistiques en matière de détention ont pris la direction contraire.

 

L’ouvrage intitulé “Immigration Detention in the European Union, In the Shadow of the Crisis” (La détention des migrants dans l’Union européenne, dans l’ombre de la crise), décrit l’évolution de la pratique des Etats  européens sur les cinq dernières années. Les auteurs, Izabella Majcher, Michael Flynn et Mariette Grange y abordent les modifications législatives et les pratiques en matière de détention de nombreux pays de l’UE, y compris le Royaume-Uni.

 

De l’évolution des normes nationales relatives aux motifs et à la durée de la détention en passant par le traitement des enfants et les conditions de détention, le livre est la meilleure source à consulter dans ce domaine puisqu’il fait la synthèse de nombreuses analyses effectuées ces dix dernières années par le Global Detention Project (GDP).

Le livre nous éclaire sur l’influence des dirigeants de l’Union européenne. Dès 2015 ces derniers ont adopté un discours sécuritaire en faveur d’une politique résolument dissuasive à l’égard des personnes migrantes, des requérants d’asile et des réfugiés. Résultat, pratiquement tous les Etats de l’Union européenne ont durcis leurs lois sur l’immigration et l’asile en soutenant une politique de contrôle migratoire à l’extérieur des frontières européenne. Par conséquent, au lieu de renforcer la protection des personnes migrantes contre les détentions jugées arbitraires en droit international, le droit de l’Union européenne l’a affaiblie (2).

 

J’ai souhaité m’entretenir avec Michael Flynn et Izabella Majcher sur l’évolution des politiques européennes en matière de détention des personnes migrantes. Michael Flynn dirige le Global Detention Project (GDP) et Izabella Majcher est juriste à ECRE, le European Council on Refugees and Exiles basé à Bruxelles.

 

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Pronostique: dans les îles grecques se construiront de grands centres de procédure et de renvoi

Probablement paralysée par la colère et la tristesse, j’ai dit à mon entourage que je n’écrirai pas sur l’incendie de Moria (île de Lesbos, Grèce) qui a ravagé, dans la nuit du 8 septembre, le plus grand camp de réfugiés en Europe (1). Mais je souhaite tout de même partager mon pressentiment sur le rôle de Lesbos et des îles voisinent dans la future organisation du système d’asile et de migration en Europe. 

Sur les cendres du camp de Moria ou à côté, un nouveau centre de procédure verra prochainement le jour. Il sera certainement surveillé et administré par une société privée experte en sécurité (2) dont les marges opérationnelles se feront sur la livraison de repas périmés, de soins médicaux au rabais, de renvois brutaux et bien d’autres exactions. Ce problème est d’ailleurs à l’ordre du jour du Conseil des droits de l’homme, réuni jusqu’au 2 octobre pour sa 45ème session. 

A Lesbos, le gouvernement grec rêve  d’un nouveau camp depuis des mois. Il verra donc le jour malgré l’opposition importante des habitants de l’île. Pour l’instant ce sont les tentes de l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) qui offrent un nouveau toit aux personnes d’accord d’en bénéficier. Beaucoup n’en veulent pas, préférant dormir sur des bouts de cartons en espérant pouvoir être bientôt relocalisés vers un centre de procédure sur le continent. Sauf pour des personnes très vulnérables, les transferts vers la terre ferme ne se produiront pas. Ce serait encourager d’autres feux, dans d’autres camps surchargés, dans d’autres îles. 

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Race of the Human Spirit, une course pour rendre hommage à la résilience des réfugiés et des migrants

André Bélibi Eloumou est un sportif Franco-Camerounais de 34 ans qui a couru 3000 kilomètres entre Cherbourg et Rabat en 2018, puis 4’500 km en quatre mois entre Brooklyn et Los Angeles en 2019. Il a fait ces deux courses pour rendre hommage à son père qui a parcouru des milliers de kilomètres entre le Cameroun et la France dans les années septante.  Sa première course (“La Migrante”) puis la deuxième (“AndreRunUSA”) sont aussi des hommages au courage et à la résilience des réfugiés et des migrants qui parcourent souvent des milliers de kilomètres avant d’atteindre un pays sûr. Le 3 octobre prochain, André Bélibi Eloumou sera au départ d’une autre course à Genève. Il vous invite à y participer. Vous trouverez toutes les informations utiles sur la page Facebook Race of the Human Spirit. André Bélibi Eloumou est une étoile positive que rien ne semble décourager. J’ai eu l’occasion de le rencontrer. Il m’a dit ce qui l’anime.

 

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Refoulements illicites vers la Libye, comment punir les Etats responsables?

Photo © UNHCR/Ahmed Ben Madi

 

Depuis le mois de janvier 6’500 requérants d’asile (1) et migrants interceptés en mer Méditerranée ont été refoulés en Libye où la guerre civile et la crise du coronavirus ont encore aggravé leur  situation.

 

La «politique des ports fermés» et la criminalisation progressive des organisations civiles de sauvetage, leur blocage dans les ports italiens, associés au retrait des missions de l’Union européenne de recherche et de sauvetage ont créé le vide en mer Méditerranée où principalement deux acteurs sont présents: les garde-côtes libyens et les navires marchands. Les sauvetages et refoulements opérés par les navires marchands Nivin (novembre 2018) et Panther (janvier 2020)  en sont les exemples parfaits.

 

Renouvellement de l’accord entre l’Italie et la Libye

 

Malgré l’aggravation de la situation humanitaire, l’Italie (soutenue par l’UE) a renouvelé le mémorandum d’entente de 2017 avec la Libye. Avec ce deuxième volet entré en vigueur en février 2020 et durant ces trois prochaines années, l’Italie et l’UE continueront de financer les équipements, les activités et les formations des gardes-côtes libyens afin de juguler les arrivées depuis la Libye.

 

Depuis 2017, l’UE a accordé plus de 300 millions d’euros pour soutenir des projets de sécurisation de la frontière avec la Libye et 41 millions d’euros viennent d’être alloués en décembre 2019. Cette politique migratoire a permis une baisse importante des arrivées sur les côtes italiennes et maltaises mais le coût humain est énorme et des observateurs constatent qu’elle alimente les factions armées en chair à canon.

 

Graphique: The New Humanitarian

 

L’Europe finance la guerre civile en Libye

 

Fin juillet, le meurtre de trois jeunes soudanais commis par des membres d’une milice proche des gardes-côtes, et ce juste après avoir été interceptés en mer, a encouragé l’Organisation internationale des migrations (OIM) à sortir de son silence en avouant que la moitié des personnes refoulées en Libye depuis janvier, soit 3’000 ont littéralement disparu des radars. Parmi elles il y aurait des centaines de femmes et d’enfants.

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