Dans deux arrêts récents, la Cour européenne des droits de l’homme déclarait ceci:
“Un mineur étranger non accompagné relève de la catégorie des personnes les plus vulnérables de la société (…) La situation d’extrême vulnérabilité de l’enfant est déterminante et prédomine sur la qualité d’étranger en séjour illégal (…) En vertu de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, les Etats parties sont tenus d’une obligation positive, à savoir celle de protéger et prendre en charge les mineurs étrangers non accompagnés.” (1)
Malheureusement, tout porte à croire que les autorités suisses en sont loin. C’est ce qui ressort d’ une table ronde organisée par la Law Clinic à l’occasion de la sortie d’une brochure d’information sur “Les droits de jeunes personnes migrantes non accompagnées“. On parle ici des requérants d’asile mineurs non-accompagnés RMNA et des mineurs non-accompagnés MNA qui n’ont pas déposé de demande d’asile.
Comment les autorités jugent l’âge d’un enfant? Qu’est ce que cela implique pour les jeunes? Quelles sont les difficultés rencontrées par les mineurs lorsqu’ils atteignent la majorité? Voici quelques questions qui ont été abordées par les intervenants (2).
La problématique de l’expertise d’âge
La question de l’expertise d’âge est cruciale car la situation juridique des jeunes change au moment du passage à la majorité. Pour les personnes en procédure d’asile, la détermination de l’âge se fait en tout début de procédure. En principe les autorités déterminent l’âge en fonction des documents remis par le mineur. Si les documents ne sont pas considérés comme fiables et si les indices d’âge ne suffisent pas, les autorités procèdent souvent à des expertises médicales. Pour les personnes qui ne relèvent pas de l’asile, l’expertise d’âge est exigée lors d’une procédure pénale lorsqu’il y a doute sur la minorité et elle peut être ordonnée par le juge des mineurs ou par les procureurs des Ministères publics.
A Genève, l’expertise d’âge qui est menée par le Centre universitaire de médecine légale est problématique selon Maître Sophie Bobillier de la Permanence juridique MNA/RMNA. L’expertise d’âge n’est pas un moment de plaisir et c’est une procédure très intrusive, l’imposer à un jeune qui se voit reprocher des infractions mineurs comme un séjour illégal ou une entrée illégale en Suisse est problématique au regard de ses droits fondamentaux.
Que disent les pédiatres?
En 2017, la Société suisse de pédiatrie SSP recommandait aux médecins de ne pas participer à la détermination de l’âge des jeunes migrants non accompagnés car la marge d’erreur était trop importante et risquait de mettre en danger des mineurs en les privant de la protection et de l’encadrement auxquels ils avaient droit. Quelques échanges avec le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) et les experts de médecine légale ont conduit à mettre en place la méthode dite « des trois piliers » qui comprend une anamnèse médico-sociale, un examen physique et des radiographies de la main et des dents, parfois complétée par un scanner de la clavicule.
La Doctoresse Nicole Pellaud, pédiatre et ex-Présidente de la Société Suisse de Pédiatrie, regrette que les échanges avec le SEM n’aient pas abouti sur la question de la présomption de minorité, lorsque la marge d’erreur inclut un âge en dessous de 18 ans.
“Notre souci est de protéger les mineurs d’examens inutiles et invasifs (…) Au terme d’un examen médico-légal nous demandons que le SEM parte d’une présomption de minorité puisqu’il y a trois ans de marge d’erreur dans les résultats d’examens, que l’âge minimal soit systématiquement pris en considération. Sur ce point la question n’est pas du tout réglée.”
Enregistrement de dates de naissances fictives
En ce qui concerne les requérants mineurs non-accompagnés, Lucine Miserez, membre du Collectif des Assises, est formelle, le principe de la présomption de minorité n’a souvent pas été appliqué.
“Les autorités ont souvent abusé de leur pouvoir en enregistrant des dates fictives quand les jeunes arrivaient dans des centres fédéraux à la frontière et qu’ils n’avaient pas les documents pour prouver leur âge. Très souvent on leur a imposé une date fictive (…) A Genève et en Suisse on a un nombre très, très, très impressionnant de jeunes arrivés en 2015 qui ont une date de naissance…au 1er janvier 1997. Donc ce sont des dates fictives qui ont été inscrites de manières délibérée pour qu’ils soient considérés comme des personnes majeures”.
A Genève, on dit que la police s’acharne sur les MNA
L’an dernier la ville de Genève a dû prendre des mesures pour trouver des hébergements et améliorer la prise en charge des MNA. La décision de fermer le Foyer de l’Etoile, l’ouverture des foyers de la Seymnaz et de la Roseraie illustrent des progrès. Néanmoins, les arrestations abusives sont encore trop régulières, selon Dario Lopreno, membre du Collectif des Assises.
Autre problème mentionné par Maître Rayan Houdrouge, Membre de la Commission des droits de l’Homme de l’Ordre des avocats, trop de jeunes ne sont pas encore inscrits à l’école et un trop grand nombre de curateurs “sont véritablement absents” et ne font pas leur travail correctement.
“Ce sont les curateurs, nommés par Tribunal des mineurs TPAE qui sont chargés de l’encadrement des MNA. Ils doivent obtenir non seulement un logement, de la nourriture et des vêtements aux jeunes mais aussi les inscrire à l’école et enfin les affilier à une caisse maladie. Lorsque les MNA n’ont pas de curateur, il faut se tourner vers le Tribunal des mineurs TPAE afin qu’il en nomme un. Lorsque le curateur nommé fait mal son travail alors une action juridique auprès du TPAE est nécessaire. Lorsque le curateur est empêché par la résistance des institutions, un recours auprès de la Cour de Justice doit être envisagé. Enfin, des actions en dommages contre le canton sont aussi possibles.”
Attendre la majorité pour donner…une décision négative
De nombreux requérants d’asile mineurs non accompagnés RMNA sont en grandes difficultés au moment du passage à la majorité car l’encadrement et le suivi s’arrête presque complètement. D’ailleurs c’est souvent à leur majorité qu’ils reçoivent une décision négative et lorsqu’elle tombe se sont plusieurs années d’intégration qui sont remises en question. Aujourd’hui on parle d’enfants arrivés en Suisse entre 2014 et 2016.
Lucine Miserez, membre du Collectif des Assise, s’explique:
“Les conséquences d’une décision négative sont très lourdes, indépendamment du statut juridique qui fait que ces jeunes peuvent être renvoyés dans leurs pays, c’est aussi le passage à l’aide d’urgence et donc la fin de l’accompagnement social individualisé. Si les demandes des RMNA devraient être traitées en priorité, ce n’est clairement pas le cas. On peut même soupçonner les autorités d’asile d’attendre la majorité des jeunes pour prendre une décision négative d’asile et ordonner le renvoi.”
Avec le passage à la majorité, les jeunes qui s’en sortent le mieux sont ceux qui entretiennent le lien avec des professionnels du champ social, de la santé, du réseau associatif ou du réseau scolaire et professionnel.
Ce qu’en dit l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés OSAR
Dans un récent communiqué, l’organisation dénonce le fait que la présomption de minorité est rarement appliquée dans la procédure d’asile. Tout aussi grave, les mineurs ne sont pas systématiquement séparés des adultes dans les lieux d’hébergement des centres fédéraux d’asile. Par ailleurs, l’OSAR déplore de grandes disparités dans les placements en détention administrative des mineurs. Genève et Neuchâtel interdisent la détention de mineurs, pas les autres cantons. Je vous invite à lire la prise de position de l’OSAR concernant les mesures de protection de l’enfant dans les centres fédéraux pour requérants d’asile. Elle invite les autorités suisses à se conformer aux lignes directrices internationales sur la procédure d’estimation de l’âge.
Photo © Jasmine Caye, Un jeune mineur au foyer de la Seymnaz, janvier 2020.
—–
(1) Arrêt Rahimi c. Grèce, 5 avril 2011 et Arrêt Kahn c. France, 28 mai 2019.
(2) Liste des participants à la table ronde accessible sur le site de la Law Clinic. Dresse Nicole Pellaud Pédiatre, ex-présidente de la Société Suisse de Pédiatrie et Dresse Sarah Depallens Pédiatre au CHUV, médecin associée au CAN Team et à la DISA Me Rayan Houdrouge Membre de la Commission des droits de l’Homme de l’Ordre des avocats Dario Lopreno, Bilal Ramadan et Lucine Miserez Membres du Collectif des Assises Julie et Noémie Membres du Collectif de lutte des MNA Me Milena Peeva et Me Sophie Bobillier Membres de la Permanence juridique MNA RMNA.
“Dépasser un certain angélisme”.
Je crois que votre employeur n’a pas trop apprécié le manque d’objectivité de votre article.
https://www.letemps.ch/suisse/geneve-jeunes-migrants-deconcertent-juges
Et cela ne vous fait pas mal au coeur de savoir que les autorités sociales genevoises s’interdisent de traiter un MNA comme un fugueur et, donc, de rechercher leurs parents?? Et le Conseil de Genève m’a confirmé qu’ils ne recherchaient jamais les parents de ces enfants, sauf si le juge des mineurs l’exige.
C’est une honte de ne pas traiter ces enfants comme les nôtres et de ne pas chercher à les réunir systématiquement à leur famille. Comme si leur statut migratoire primait celui d’enfant fugueur. Genève, qui est le seul canton à faire cela, devra s’excuser dans quelques années de cette politique honteuse !
Regardez l’inquiétude des parents de cette fille:
https://www.tdg.ch/letudiante-senegalaise-disparue-en-france-de-retour-au-pays-401433637060
Et si cette fille de 20 ans a eu droit aux honneurs de la presse, combien de parents africains meurent d’inquiétude pour leur enfant fugueur ???