Pronostique: dans les îles grecques se construiront de grands centres de procédure et de renvoi

Probablement paralysée par la colère et la tristesse, j’ai dit à mon entourage que je n’écrirai pas sur l’incendie de Moria (île de Lesbos, Grèce) qui a ravagé, dans la nuit du 8 septembre, le plus grand camp de réfugiés en Europe (1). Mais je souhaite tout de même partager mon pressentiment sur le rôle de Lesbos et des îles voisinent dans la future organisation du système d’asile et de migration en Europe. 

Sur les cendres du camp de Moria ou à côté, un nouveau centre de procédure verra prochainement le jour. Il sera certainement surveillé et administré par une société privée experte en sécurité (2) dont les marges opérationnelles se feront sur la livraison de repas périmés, de soins médicaux au rabais, de renvois brutaux et bien d’autres exactions. Ce problème est d’ailleurs à l’ordre du jour du Conseil des droits de l’homme, réuni jusqu’au 2 octobre pour sa 45ème session. 

A Lesbos, le gouvernement grec rêve  d’un nouveau camp depuis des mois. Il verra donc le jour malgré l’opposition importante des habitants de l’île. Pour l’instant ce sont les tentes de l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) qui offrent un nouveau toit aux personnes d’accord d’en bénéficier. Beaucoup n’en veulent pas, préférant dormir sur des bouts de cartons en espérant pouvoir être bientôt relocalisés vers un centre de procédure sur le continent. Sauf pour des personnes très vulnérables, les transferts vers la terre ferme ne se produiront pas. Ce serait encourager d’autres feux, dans d’autres camps surchargés, dans d’autres îles. 

L’ incendie de Moria coïncide avec le lancement des discussions autour du Nouveau pacte européen sur la migration et l’asile. La période de consultation vient de terminer et de nombreuses organisations ont soumis leurs positions respectives sur la manière d’améliorer le tout. C’est le cas notamment de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR). 

Le spectre de la politique australienne plane et les gouvernements européens, y compris le gouvernement grec, louchent aussi vers la nouvelle procédure d’asile suisse faite de quelques grands centres de procédure et de renvois. Bientôt, avec l’aide de l’Union européenne, les îles grecques les verront pousser. 

Après l’incendie qui a provoqué une véritable catastrophe humanitaire, neuf pays de l’Union européenne et la Suisse ont promis d’accueillir 400 mineurs non-accompagnés. Encore une fois l’Allemagne et la France sont les plus généreux. La Suisse quant à elle propose d’accueillir seulement 20 enfants. Cette offre de relocalisation survient après deux autres actions de regroupement familial en vertu du Règlement de Dublin pour l’accueil de 23 et 27 mineurs non-accompagnés en mai et en juin.  

En terme d’accueil, notre pays a les moyens et le devoir d’en faire d’avantage. Le nombre de demandes d’asile a considérablement baissé et de nombreux hébergements sont actuellement inoccupés. Plusieurs villes de Suisse, dont Genève, Lausanne et Zürich demandent au Conseil fédéral un geste humanitaire plus important et s’engagent même à offrir des placesMadame Karin Keller-Sutter s’y oppose pour l’instant. Pourtant, un geste supplémentaire de solidarité renforcerait la crédibilité et le poids de la Suisse dans les futurs discussions sur le Nouveau pacte européen sur la migration et l’asile

 

Photo © REUTERS/ A. Konstantinidis

 

Sur la situation des réfugiés bloqués sur les îles grecques, ce blog contient de nombreux articles, les voici:

Des milliers de personnes et 132 organisations demandent que la Suisse accueille un important contingent de réfugiés bloqués sur les îles grecques – 25 juin 2020

Des suggestions pour une aide suisse efficace en Grèce – 20 février 2020

Pour Jean Ziegler, l’Europe a créé des camps de concentration en Grèce – 28 janvier 2020

65 organisations demandent la relocalisation urgente de 1’800 mineurs non accompagnés bloqués sur les îles grecques – 5 mars 2020

Notes:

  1. Sur les choix que doit faire l’Union européenne, sur les raisons de l’incendie et le blocage des demandeurs d’asile sur les îles grecques de Chios, Kos, Leros, Lesbos et Samos, l’éditorial de Catherine Woollard, directrice du European Council on Refugees and Exiles (ECRE), est éclairant. Dans son éditorial intitulé The Pact, Moria and Beyond: Five Reasons Why elle explique comment la situation s’est dégradée dans les îles qui accueillent les camps “hotspots” surpeuplés depuis l’accord impossible entre l’Union européenne et la Turquie (mars 2016).
  2. Le recours aux services de sociétés militaires et de sécurité privées dans la gestion de l’immigration et des frontières et ses incidences sur la protection des droits de tous les migrants est à l’ordre du jour du Conseil des droits de l’homme, réuni maintenant pour sa 45ème session.

 

Jasmine Caye

Avec une expérience juridique auprès des requérants d'asile à l'aéroport de Genève, Jasmine Caye aime décrypter l'information sur les réfugiés et les questions de migration. Elle a présidé le Centre suisse pour la défense des droits des migrants (CSDM) et continue d'assister des personnes en procédure d'asile. Les articles sur ce blog paraissent en version courte sur un autre blog ForumAsile.

Une réponse à “Pronostique: dans les îles grecques se construiront de grands centres de procédure et de renvoi

  1. Tout ça, me fait penser à une histoire sans fin.
    Vous avez peut-être raison la Suisse et l’Europe peuvent en faire plus mais jusqu’à quel niveau ?
    Si demain par miracle le camp de Lesbos est vidé il est clair que le Sieur Erdogan s’empressera de le remplir. Et après… ça recommence.
    Les journalistes feront leurs reportages larmoyants et les humanitaires diront que l’Europe peut faire plus. Il y a quand même un avantage à tout ce b….. c’est que l’emploi des journaleux et des humanitaires est préservé et pour un bon bout de temps. (En cette période de Covid c’est un avantage non négligeable).
    Vous ne vous êtes jamais posé la question que quand un migrant (pardon un réfugié) vient en Europe, vous enlevez des forces vives à leurs pays d’origine. Pour votre info la plupart de ces réfugiés sont jeunes et ont payé plusieurs milliers de dollars pour leur passage.
    Enfin….grâce à votre collaboration l’Europe aura de futurs travailleurs bon marché qui feront concurrence aux travailleurs locaux. (Bonjour les conflits sociaux). Parfois on peut se demander si certains ne sentent pas parfois les idiots utiles d’une Europe ploutocratique.

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