La détention offshore des requérants d’asile: une pratique australienne qui déteint sur l’Europe

Un article récent du Daily Telegraph est passé presque inaperçu. Ellen Whinnet du News Corp Australia Network y expliquait qu’au moins six pays européens auraient récemment demandé conseil à l’Australie pour stopper les traversées en Méditerranée. Les discussions privées ont eu lieu malgré les dénonciations répétées de l’Union européenne contre les refoulement systématiques des requérants d’asile arrivant par bateau en Australie et contre leur détention offshore sur l’île de la République indépendante de Nauru et de celle de Manus en Papouasie Nouvelle Guinée (1).

En novembre 2016, l’Australie aurait même envoyé des membres hauts-placés de la Force frontalière (Border Force) à Varsovie en Pologne afin de discuter avec des “agences européennes de protection des frontières” et trouver des solutions pour bloquer les arrivée de bateaux en Italie et en Grèce. Peter Dutton, Ministre australien de l’Immigration et de la protection des frontières a confirmé des contacts sur ce sujet avec le Royaume-Uni, l’Autriche et d’autres gouvernements qui voient dans la méthode australienne la meilleure solution pour arrêter les arrivées des personnes migrantes en Europe.

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L’affaire Musa bientôt à la Cour européenne des droits de l’homme?

De retour de Croatie où ils avaient été brutalement renvoyés de Suisse en septembre 2016, dans le cadre d’un renvoi Dublin exécuté par le canton de Genève, Slava, Hazna et Walat Musa attendent à présent la décision du Tribunal administratif fédéral (TAF) sur leur recours contre la décision de non-entrée en matière sur leur deuxième demande d’asile. Jeudi 23 mars, le TAF a accordé l’effet suspensif au recours permettant ainsi à la fratrie de rester légalement en Suisse le temps de la procédure.

Selon leur avocat Maître Philippe Currat plusieurs éléments nouveaux exigent une reconsidération du dossier familial.

L’arrivée du reste de la famille, soit de Solin, âgée de 12 ans, et des parents, constitue un fait nouveau justifiant plus que jamais une approche qui permette, dans le respect des Accords de Dublin, de préserver l’unité de la famille. Jusqu’à ce que le TAF statue, il faut encore souligner que le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) garde la possibilité, au vu de ces faits nouveaux, de reconsidérer sa décision. Dans cette hypothèse, le recours deviendrait sans objet, ce qui constituerait sans doute la solution la plus adéquate à cette affaire, en conjuguant la bonne application des Accords de Dublin au respect des droits fondamentaux de mes mandants comme de l’économie de procédure“.

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Pakistan: Human Rights Watch dénonce les refoulements massifs des réfugiés afghans et la complicité du HCR

En 40 ans le Pakistan a accueilli 1.5 million de réfugiés afghans mais depuis six mois, le vent a tourné. Les attaques terroristes au Pakistan et la détérioration des relations avec l’Afghanistan qui s’est rapproché de l’Inde, ont conduit au durcissement du gouvernement pakistanais à l’égard des réfugiés afghans. Depuis juin 2016, les menaces de renvois massifs, les abus et les violences policières généralisées et impunies à l’encontre de la communauté afghane ont forcé 600’000 afghans à fuir le Pakistan.

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Forum économique mondial: l’appel urgent de l’Organisation internationale des migrations aux dirigeants confortablement réunis

Récemment, l’Organisation internationale des migrations (OIM) a dénoncé la passivité des dirigeants politiques à l’égard des migrants. Ces critiques surviennent alors que le froid congèle les requérants d’asile en Grèce et en Serbie, alors que les naufrages continuent de faire des victimes, alors que les frontières renforcées donnent des ailes aux réseaux criminels de passeurs, alors que l’Europe vieillit et qu’elle a besoin d’une main d’oeuvre étrangère légale.

Désespérée par les souffrances des personnes migrantes et par les mauvaises conditions d’accueils en Europe, l’OIM demande aux dirigeants européens de prendre des mesures concrètes pour réviser la Réglementation Dublin afin d’y inclure une répartition européenne équitable des demandeurs d’asile et une meilleure protection des mineurs non accompagnés et pour qu’ils accélèrent immédiatement les relocalisations des requérants d’asile d’Italie et de Grèce vers d’autres pays européens. Le froid glacial exige des mesures urgentes en Europe. Des pressions politiques sur la Serbie seraient aussi bienvenues alors que 2’000 requérants d’asile y croupissent dans des hangars insalubres par moins 10 degrés celsius.

Sur trois ans (2014, 2015, 2016) 18’501 personnes sont décédées au cours de leur périple, la grande majorité durant la traversée de la Méditerranée. Chaque jour ce sont donc 17 hommes, femmes et enfants qui ont perdu la vie durant leur voyage. Bien sûr il y a des jours sans victimes et il y a des jours noirs comme samedi dernier 12 janvier qui a vu encore 100 personnes mourir dans les eaux glacées au large de la Libye. (suite…)

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Appel contre l’application aveugle du règlement Dublin

 

A droite, au centre, à gauche, plus d’une centaine de personnalités ont signé l’Appel contre l’application aveugle du règlement Dublin et vous invitent à le faire.

Parmi les nombreux signataires se trouvent le dessinateur ZEP, Carlo Sommaruga (ancien président du CICR), Ruth Dreifuss (ancienne Conseillère fédérale) et le dessinateur Patrick Chappatte. Cet Appel est aussi soutenu par de nombreuse associations, communes et plusieurs villes dont la Ville de Genève.

Il ne s’agit pas d’être contre les renvois Dublin. Il s’agit de décider de leurs exécutions en respectant les droits fondamentaux des personnes concernées. La Suisse est le pays européen qui applique le plus strictement la procédure Dublin ce qui conduit son administration à ordonner des renvois sans tenir compte des liens familiaux que les personnes ont en Suisse, de la vulnérabilité et de la santé de ces personnes.

L’exécution des renvois est brutale même en présence des enfants et les renvois se font vers des pays (surtout l’Italie) où les structures d’accueils sont saturées et les soins médicaux inaccessibles. Dernièrement plusieurs renvois auraient dû être stoppés pour des raisons humanitaires.

Sur le site de Solidarité Tattes on peut lire les décisions affligeantes de bêtise prises par nos autorités au mépris des principes les plus fondamentaux et au mépris du Règlement Dublin que d’autres Etats européens savent mieux appliquer.

Des drames inutiles seront évités lorsque la Suisse respectera le paragraphe 17 du préambule du Règlement de Dublin III, selon lequel:

« Il importe que tout État membre puisse déroger aux critères de responsabilité, notamment pour des motifs humanitaires et de compassion, afin de permettre le rapprochement de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent et examiner une demande de protection internationale introduite sur son territoire ou sur le territoire d’un autre État membre, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères obligatoires fixés dans le présent règlement. »

Car elle peut et devrait faire usage de la clause discrétionnaire énoncée à l’art. 17 al. 1 du Règlement de Dublin, qui prévoit que :

« (…) chaque État membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. »

Alors comme Patrick Chappatte et ZEP et tant d’autres personnalités, je vous invite à signer cet appel qui implore:

  • Le Conseil fédéral d’utiliser toutes les possibilités offertes par l’article 17 al. 1 du Règlement Dublin, évitant à la Suisse de violer les conventions internationales relatives aux droits de l’enfant et aux droits fondamentaux.
  • Le Conseil d’Etat genevois et les autres exécutifs cantonaux de ne pas procéder aux renvois que des motifs humanitaires ou de compassion permettent de ne pas exécuter, tels que le préconise le paragraphe 17 du préambule du Règlement Dublin lui-même.

Voici le lien qui vous permettra de le faire:  Appel contre l’application aveugle du règlement Dublin

 

2016: l’année de la désobéissance civile en Suisse

A la Chapelle Mon-Gré de Lausanne, le père Gabriel Pittet accueille depuis avril 2016 les protégés du Collectif R qui s’étaient réfugiés à l’église Saint-Laurent en mars 2015. Ce sont toutes des personnes menacées de renvoi dans le cadre des accords de Dublin, donc vers le premier pays européen par lequel ils sont arrivés.

Au même moment, Pierre Bühler, Professeur émérite de théologie à l’université de Zurich lance le manifeste Les églises comme lieux d’asile. En juin 2016, suivant l’exemple du Collectif R, c’est l’Association Solidarité Tattes qui annonçait la création d’un réseau de parrains et marraines de requérants “dublinés” pour les domicilier chez eux et les soutenir dans leurs démarches.

En septembre 2016, Lisa Bosia Mirra, députée socialiste au Grand conseil tessinois, est arrêtée à la frontière tessinoise soupçonnée d’aider des mineurs non-accompagnés bloqués à Côme, à entrer illégalement en Suisse. Le même mois, la perquisition au domicile de deux élus communaux vaudois parrains du Collectif R motive ces derniers à encourager l’hébergement illégal de migrants.

“Faut pas croire” Philippe Leuba mais plutôt Pierre Bühler

Récemment l’émission “Faut pas croire” de la RTS a confronté Philippe Leuba, conseiller d’Etat vaudois et Pierre Bühler sur le sujet de la désobéissance civile. Un débat qui a montré le fossé existant entre deux mondes: celui qui considère le règlement Dublin comme un tuyau de vidange et celui qui le considère comme un texte qui doit être mieux respecté puisqu’il prévoit des dispositions humanitaires trop souvent ignorées (2).

Lors de cette émission, Philippe Leuba a admis qu’une loi ne devait pas être appliquée aveuglément sans réflexion, mais il a condamné la désobéissance civile lorsqu’elle s’oppose à une loi votée par le peuple, lorsque le renvoi s’effectue vers des pays qui ont ratifié la Convention européenne des droits de l’homme et que les requérants peuvent contester la décision de renvoi auprès du Tribunal administratif fédéral.

Ce raisonnement tient la route sur le papier. La réalité est moins rose. Tout d’abord, la Grèce et la Hongrie ont aussi ratifié la Convention européenne des droits de l’homme mais les renvois Dublin vers ces pays sont interdits parce que les conditions d’accueils y sont intolérables. Et puis si les possibilités de recours existent, leurs délais sont trop courts (cinq jours ouvrables) et l’indépendance des juges est un leurre. Une étude récente du Tages Anzeiger nous le confirme, les juges UDC au Tribunal administratif fédéral comme Fulvio Haefeli et David R. Wenger donnent des décisions négatives de manière presque automatique. Le climat politique tendu se distille dans nos tribunaux et même au niveau de la Cour européenne des droits de l’homme qui doit ménager les tendances nationalistes des partis populaires en Europe.

La désobéissance civile grandira en 2017, à moins que….

Pierre Bühler a eu raison de rappeler le climat général tendu à l’égard des requérants d’asile en Suisse et en Europe qui pousse les autorités à chercher des solutions pragmatiques efficaces pour renvoyer autant de personnes que possible vers des pays où les conditions d’accueil sont extrêmement difficiles. Pour lui comme pour beaucoup d’autres philosophes et théologiens, la désobéissance civile ne se justifie que lorsqu’elle se fonde sur des principes fondamentaux éthiques supérieurs aux lois. En Suisse, c’est l’accumulation de mauvaises nouvelles comme la séparation de familles enfin réunies, le renvoi de personnes vulnérables, les méthodes policières très contestables et l’impuissance des avocats au service des requérants d’asile qui alimentent le terreau de la désobéissance civile.

Pourtant 2016 est une année relativement calme en ce qui concerne le nombre de demandes d’asile qui ne dépasseront pas les 24’000 cette année – une baisse de 40% par rapport à 2015. La Suisse, peu solidaire de l’Italie, reste le pays européen qui renvoie en masse vers ce pays. Il y a quelques jours, Amnesty International dénonçait encore l’application rigide du règlement Dublin avec des expulsions illégales et des mauvais traitements et pointait du doigt le mauvais élève suisse.

La désobéissance civile indique une fissure dans la confiance envers les institutions. Le malaise est profond et nos autorités doivent y répondre avec une solution: celle d’étudier mieux les dossiers afin d’éviter des renvois inhumains. Sans prise de conscience de leur part, la désobéissance civile grandira en 2017.


  1. Le Règlement Dublin constitue un cadre juridique qui permet de désigner l’Etat compétent pour examiner une demande d’asile. Les Etats Dublin regroupent tous les Etats de l’UE, ainsi que les quatre Etats associés (Suisse, Norvège, Islande et Principauté de Liechtenstein).
  1. Le paragraphe 17 du préambule et l’article 17 alinéa 1 du Règlement Dublin prévoient qu’un Etat membre puisse déroger aux critères de responsabilité notamment pour des motifs humanitaires afin de permettre le rapprochement des membres de la famille ou tout autre proche ou parent. L’Etat concerné peut examiner une demande d’asile pour ces raisons même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement.  

La chute des demandes d’asile à l’aéroport de Genève inquiète les associations

La procédure de consultation sur les modifications apportées à la Loi fédérale sur les étrangers (LEtr) vient de se terminer. Elle a permis aux milieux intéressés de se prononcer sur les adaptations envisagées. La nouvelle loi qui doit encore être approuvée par les chambres fédérales est sur le point de renforcer le rôle des gardes-frontière en ce qui concerne notamment l’entrée des personnes qui souhaitent déposer une demande d’asile.

Mais depuis quelques temps, de sérieux doutes planent sur l’attitude des gardes-frontière suisses à l’égard des requérants d’asile. Le sujet a été débattu cet été au moment des refoulements à la frontière tessinoise. Il rebondit maintenant avec le durcissement récent de la procédure à l’aéroport de Genève et l’adaptation de cette loi.


Déposer une demande d’asile à l’aéroport est devenu presque impossible

A la lumière des récents événements à l’aéroport, les associations s’inquiètent. La baisse du nombre de requérants d’asile, le cas d’une personne empêchée de soumettre une demande d’asile, l’isolement inadmissible des personnes non-admises (INADs) sur le territoire suisse et enfin la pratique connue des refoulements à la passerelle (1) sont toutes les raisons qui motivent les associations à tirer la sonnette d’alarme.

Lorsqu’une personne se présente à l’aéroport sans remplir les conditions d’entrée, elle reçoit une décision de refus d’entrée et de renvoi. Actuellement c’est le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) qui prend cette décision après avoir été notifié par le Corps des gardes-frontière. Mais, l’avant-projet de la LEtr propose de déléguer cette compétence décisionnelle aux gardes-frontières qui pourront, au moyen du formulaire prévu par le code frontières Schengen, refuser l’entrée d’une personne si elle ne satisfait pas aux conditions d’entrée comme celle d’avoir un visa valide sur un passeport authentique. 


Le déplacement des requérants d’asile vers un lieu isolé simplifie la tâche des gardes-frontières dont le travail est moins visible

De 2008 à 2015, des centaines de personnes ont été autorisées à déposer une demande d’asile à l’aéroport de Genève. Elles étaient logées dans l’espace prévu pour les requérants d’asile situé dans la zone de transit internationale qui se trouvait dans le bâtiment principal de l’aéroport. Beaucoup de requérants arrivaient sans pièces d’identités car ils avaient effectué le voyage avec l’aide de passeurs qui leur fournissaient de faux passeports. La plupart d’entre eux parvenaient à se faire envoyer les documents une fois arrivés et les transmettaient directement aux Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) lors des auditions.

Malheureusement le climat a changé en 2015 avec le déplacement des requérants d’asile vers un bâtiment grillagé, éloigné et isolé qui se trouve loin des regards de l’autre côté du tarmac sur la commune de Meyrin. Ce déplacement très contesté a fait l’objet de recours au Tribunal administratif fédéral (TAF) et au Tribunal fédéral (TF). L’affaire est encore en cours de jugement au TAF. Mais ce qui est étrange c’est que l’espace prévu dans le nouveau bâtiment pour accueillir les “INADs”est inutilisé, vide, sans lits, ni tables. En septembre 2016, un requérant d’asile, considéré d’office comme INAD, n’y a pas été logé. Il a été placé dans une chambre au bout de nulle part et encouragé durant trois jours à embarquer dans un avion, ce auquel il s’est fermement opposé en langue française d’ailleurs. Ces motifs de fuites sont suffisamment crédibles pour justifier un placement immédiat dans la procédure d’asile.

Et les gardes-frontières le savent parfaitement, les personnes qui estiment avoir besoin de protection sont en droit de demander l’asile à la Suisse qui ne peut les refouler à la frontière sans examiner leur demande conformément à l’article 33 de la Convention relative au statut des réfugiés. Le fait de ne pas posséder un document valable pour entrer en Suisse n’est pas un motif pour refuser l’accès à la procédure d’asile. 


La prise de position des CSP

Inquiète, l’Association suisse des centres sociaux protestants (CSP) s’est exprimée dans une prise de position récente. Elle demande des délais de recours étendus avec effets suspensifs pour les personnes s’opposant à leur renvoi. Elle insiste sur une information compréhensible aux personnes concernant la possibilité de déposer une demande d’asile à l’aéroport de Genève et la possibilité de recourir en ayant accès à un conseil gratuit en cas de besoin. Enfin, elle souligne l’importance d’une formation adaptée sur les questions d’asile et de droits humains afin d’affiner le jugement des gardes-frontière et éviter à tout prix qu’une personne ne soit refoulée en présence d’un besoin de protection.

Le Corps des gardes-frontière est une formation armée qui a toujours été confrontée à la détresse des personnes qui fuient leur pays d’origine. Traiter ces dernières avec humanité comme dans le passé ne devrait pas être insurmontable. L’expérience est acquise, il suffit que la hiérarchie corrige le tir. Le signal doit venir de tout en haut.


(1) autorisés par l’annexe 9 à la Convention de Chicago de 1944 sur l’aviation civile.

Réfugiés jusqu’à preuve du contraire

L’usage généralisé du mot “migrant” banalise la détresse des réfugiés. Doit-on considérer que toutes les personnes qui font la traversée de la Méditerranée sont des “réfugiés” ou des “migrants” ? Comment se fait-il que ceux qui fuient les violences au Soudan du Sud pour l’Ethiopie et l’Ouganda sont appelés “réfugiés” pendant que ceux qui fuient les conflits et la violence en Afghanistan, en Syrie, en Erythrée sont généralement appelés “migrants” lorsqu’ils déposent leur demande d’asile en Europe?

En juillet 2016, le Haut commissariat aux réfugiés (HCR) a dû rappeler que les deux termes avaient des significations différentes et que les confondre engendrait des problèmes pour la protection de ces deux groupes de personnes. Les réfugiés sont des personnes qui fuient un conflit armé ou la persécution et traversent la frontière de leur pays pour trouver la sécurité. Ils reçoivent un statut de réfugié lorsqu’un retour vers leur pays mettrait leur sécurité, leur vie en danger.  Ils ont donc besoin d’un statut de protection reconnu sur le plan international. Alors que les migrants ne sont pas des personnes persécutées ou forcées de fuir des conflits. Elles choisissent de se déplacer pour améliorer leur situation économique, rejoindre leur famille, étudier à l’étranger ou d’autres raisons. Elles ont la possibilité de retourner dans leur pays d’origine sans craindre pour leur vie.

L’année dernière, au pic de la crise des réfugiés, cette question du choix des mots a ressurgi et derrière la bataille sémantique se pose évidemment la question des appartenances politiques, de l’impact sur l’opinion publique et de notre considération envers les requérants d’asile. Plus récemment, elle a été débattue lors de la Table ronde organisée par l’Association Vivre Ensemble qui fête cette année ses 30 ans d’existence. Une occasion de débattre avec les journalistes sur la portée des mots. Vivre Ensemble est sur le point de finaliser un manuel-glossaire sur l’asile et les réfugiés destiné aux journalistes.

Il est vrai qu’à force de reprendre les communiqués de presse des agences européennes de sécurité (Frontex) et de l’Organisation international des migrations (OIM), les médias ont souvent préféré utiliser le terme “migrant” au détriment de “réfugié” dans leurs communications au public. Il suffit de “googler” les termes: “migrants, migrants illégaux, illegal migrants” pour le constater. L’affaire des refoulements par les gardes-frontière suisses de mineurs non-accompagnés traités de “migrants illégaux” à Côme cet été a d’ailleurs soulevé des questions sur la formation nécessaire de ces derniers.  

Cette confusion n’est pas uniquement la faute des médias, loin de là. Même si les journalistes sont dans la ligne de mire des politiciens qui n’hésitent pas à réprimander en public ou en privé les journalistes et les rédactions à leurs convenances ce sont surtout les institutions récemment renforcées dans leurs missions pour gérer les flux migratoires qui expliquent aussi l’utilisation accrue du mot “migrant” au détriment de celui de “réfugié”.

Il y a tout d’abord ce système d’asile européen défectueux fondé sur la Règlementation Dublin avec ses milliers de transferts annuels de requérants d’asile qui donne le sentiment que ces derniers sont de passage. Il y a aussi la montée en puissance de Frontex, en charge de la surveillance des frontières européennes et sa mission de contrôle ainsi que celle de l’ OIM qui prône au contraire une solution internationale pour permettre l’entrée légale de personnes à la recherche d’un travail en Europe. Ces développements institutionnels ont certainement contribué à promouvoir la confusion des termes ce qui fait le jeu, malheureusement, des partis d’extrêmes-droite.

En vérité, ceux qui viennent en Europe pour y déposer une demande d’asile, qu’elle soit fondée ou infondée, sont des réfugiés jusqu’à preuve du contraire. Pourquoi? Parce que l’asile est, pour l’instant, la seule porte d’entrée légale en Europe pour la majorité des personnes qui viennent de pays ravagés, en batailles, en faillites comme la Syrie, l’Afghanistan et l’Irak et parce que ce n’est qu’à la fin de l’examen houleux de leur demande d’asile que les autorités sont en droit d’affirmer que ces personnes n’avaient aucun motif de fuite et que leur vie n’étaient pas en danger dans leur pays d’origine. Et d’ailleurs même les autorités d’asile se trompent. L’exemple de Madame S.K d’origine tamoule qui a été, entre 2012 et 2014, requérante d’asile, déboutée de l’asile puis après réexamen de son dossier, reconnue comme réfugiée en Suisse en est l’illustration parfaite.

Applications mobiles au service des réfugiés : la Suisse est une tortue

La Suisse est en retard sur les autres pays européens concernant l’offre d’applications mobiles destinée aux réfugiés. Dans ce domaine, c’est surtout l’Allemagne qui mène le bal de la créativité technologique. Designers, développeurs, ONG et spécialistes de l’assistance aux réfugiés sont les créateurs de ces applications mobiles.

Ils se réunissent quelques fois en « hackatons » ou marathon de hackeurs (développeurs) pour élaborer les meilleures applications mobiles. En ce moment, c’est l’organisation Techfugees qui fait beaucoup parler d’elle car elle ambitionne d’allier le monde technologique et les besoins des réfugiés. Techfugees est une plateforme médiatique permettant l’échange sur les technologies destinées aux réfugiés et l’organisation d’évènements (conférences, séminaires et hackatons) pour répondre aux besoins des personnes migrantes. Techfugees a des antennes en Australie, Belgique, Emirats arabes unis, Espagne, France, Grèce, Hollande, Serbie et Turquie. La Suisse est absente de ce groupe ce qui est étonnant.

Les difficultés sur le terrain force la créativité technologique

Parmi les pionniers dans l’offre d’applications mobiles, un couple hongrois a lancé durant l’été 2015, au pic de la crise migratoire dans les Balkans, l’application mobile InfoAid qui fournit des informations en arabe, farsi, pashto et ourdou utiles aux personnes migrantes. Elle a d’ailleurs aussi sauvé des vies, renseignant sur les champignons mortels à éviter suite à des empoisonnements graves de personnes traversant les Balkans à pied.

En Turquie, un réfugié syrien du nom de Mojanhed Akil, 26 ans, a récemment lancé une application mobile android qui a été téléchargée plus de 40’000 fois. Cette application appelée Gherntna (« solitude en exil ») permet aux syriens de naviguer dans leur nouvelle vie en Turquie. Elle a eu tellement de succès que Mojanhed Akil a été invité par Google à la présenter par vidéo conférence lors d’une réunion de développeurs à Mountain View en Californie.

En Allemagne, Munzer Khattab et Ghaith Zamrik deux jeunes réfugiés syriens ont eu beaucoup de mal avec la bureaucratie allemande. Ils ont, avec quatre autres réfugiés, développé « Bureaucrazy » qui est sur le point de sortir en Allemagne et qui permettra de faciliter les démarches auprès des instances étatiques.

Pendant ce temps en Suisse

La Suisse observe ses pays voisins. Du côté des institutions en charge des requérants d’asile, certaines réactions sont défensives et mitigées ou carrément positives mais un peu tardives tout de même. Il faut dire qu’une application mobile doit être bien pensée sinon elle ne servira jamais et l’effort n’aura servi qu’à brasser du vent pour se mettre en avant.

Parmi les institutions positives qui sont à l’étude de projets sérieux d’application mobiles, il y a le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) dont la porte-parole, Céline Kohlprath, revient juste d’Allemagne où elle a constaté l’avance technologique de l’Etat fédéral et des Länder à ce sujet. L’Hospice-général qui souhaite être « un acteur du mieux vivre ensemble » selon les propos d’Anne Nouspikel, responsable de la communication, envisage sérieusement l’élaboration d’une application mobile pour, par exemple, créé une plateforme d’échange de compétences entre les personnes migrantes et les habitants de Genève (bénévoles, étudiants, associations etc).

Au SEM et à l’Hospice-général la réflexion porte aussi sur une application mobile qui faciliterait l’accès des requérants d’asile à leurs dossiers personnels, aux courriers administratifs par exemple, mais cela soulève des problèmes de protection de données personnelles.

Une perle rare

Mais nous avons une perle rare qui travaille déjà sur plusieurs projets d’applications mobiles au service des réfugiés. Judith Hunziker est Suisse. Elle s’est formée à la HEAD en Communication visuelle et elle a participé à plusieurs séminaires et hackatons technologiques en Allemagne et au Danemark dont deux projets respectifs sont issus, le projet « Amikeco » et le projet « Sport-Bridge », en cours de finalisation. Elle est basée à Leipzig où elle suit des cours de programmation. Avec le soutien de Fanny Giordano, camarade d’étude, elle a élaboré une application mobile suisse appelée « WELCOME » dont l’objectif est de faciliter les contacts entre les locaux et les requérants d’asile par le biais d’activités sportives, culturelles, culinaires etc.

« Je dois encore affiner ce projet, trouver une équipe de développeurs, des institutions qui me soutiennent dans la conception et le financement d’un tel projet afin de le concrétiser, mais je suis convaincue de la nécessité d’une telle application qui facilitera à la fois la vie des nouveaux arrivants en Suisse et pourrait être une ressource novatrice pour le travail des institutions en charge des personnes migrantes. »

Un rattrapage nécessaire et utile

La Suisse peut et doit rattraper son retard. Elle peut s’inspirer des plus ambitieuses applications mobiles si utiles qui existent déjà comme Ankommen ou Moin App, exemples d’applications lancées par les autorités en charges des requérants d’asile en Allemagne, ou Refugees on Rails, ReDi School of Digital Integration engagés dans la formation technologique des requérants d’asile en Allemagne, ou encore l’application connue RefugeesWelcome proposant des logements à l’image de CALM en France, ou celles qui facilitent la communication comme l’application Wefugees, Refugee Phrasebook ou Natakallam, ou encore l’indépendance économique (Startup Refugees, Moni), les dons (Share the Meal, Give Now, Helphelp2) et enfin le partage (Welcome Dinner).

Les idées ne manquent pas, les projets foisonnent, portés par une génération électro-choquée et galvanisée par les besoins des réfugiés en Europe et dans le monde.

 

Mineurs non-accompagnés : pourquoi Lisa Bosia Mirra n’a rien commis d’illégal

 

Jeudi 1er septembre, Lisa Bosia Mirra, députée socialiste au Grand conseil tessinois et fondatrice de l’ONG Firdaus, a été arrêtée à la frontière. Elle est accusée d’avoir facilité et organisé le passage clandestin de quatre mineurs non-accompagnés en ouvrant la route à un fourgon les transportant. Très présente auprès des migrants de Côme refoulés à la frontière de Chiasso, elle avait déjà dénoncé début août les refoulements de jeunes mineurs non-accompagnés, de personnes détentrices d’un document de réfugié du HCR et de celles qui ont de la famille en Suisse. Concernant les mineurs non-accompagnés, de nombreux cas de refoulements arbitraires ont été dénoncés par l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR), l’Alliance pour les droits des enfants migrants (ADEM) et Amnesty international.

Aider des requérants mineurs non-accompagnés à déposer leurs demandes d’asile en Suisse ne peut être jugé semblable à du trafic illégal de migrants. Lisa Bosia Mirra n’a fait que corriger une pratique arbitraire de renvois automatiques en se  fondant sur le Règlement Dublin et la Convention relative aux droits de l’enfant, deux textes qui offrent une protection incontestable aux migrants mineurs et qui exigent des Etats qu’ils prennent des mesures de protection urgentes et adéquates en leur faveur.

Combien de temps l’Italie tiendra-t-elle ?

Evidemment, personne n’a envie d’un Calais à nos portes. Combien de temps l’Italie pourra-t-elle contenir les migrants et se plier au règlement Dublin dont elle subit les conséquences en tant que premier pays d’accueil. Si l’Italie mettait le holà, la Suisse en souffrirait car elle profite du système plus que les autres pays et considère l’Italie comme sa remise. Poussez le bouchon aussi loin que refouler autant de personnes, y compris des mineurs non-accompagnés, ne fait qu’enflammer la situation et ne garanti pas la sécurité aux frontières, au contraire.

Les garde-frontières tessinois ont été critiqués pour leur incompétence alors qu’ils ont obéi aux ordres. Déjà en juin, le chef du gouvernement tessinois, Norman Gobbi, avait donné le ton en déclarant vouloir fermer la frontière afin d’éviter la venue de « migrants illégaux », vocabulaire assez nouveau et inapproprié qui reflète d’avantage l’agacement des autorités européennes vis-à-vis de certains migrants économiques et contribue malheureusement à donner du souffle aux partis d’extrême droite. C’est l’important dispositif sécuritaire, installé depuis, qui a changé la donne puisque les refoulements ont nettement augmenté.

Lors d’une conférence de presse Madame Simonetta Sommaruga a défendu cette stratégie pour deux raisons principales : l’Allemagne ne souhaite plus que la Suisse laisse transiter les requérants d’asile – ils seraient 3000 à avoir traversé la Suisse fin juillet – et elle privilégie depuis longtemps un système de répartition automatique à l’échelle européenne. Appliquer strictement le règlement Dublin selon elle, est la seule solution pour que l’Union européenne avance concrètement sur ce dossier.

Mais son discours ne tient pas la route car la Suisse, malgré une baisse conséquente des demandes d’asile en 2016, a traîné sur le programme de relocalisation européen. Pour l’instant, elle n’a accepté que 34 personnes sur les 1’500 promis et vient juste de communiquer l’accueil de 200 autres personnes dont les dossiers sont seulement en cours d’examen. Il faudra donc encore attendre. En vérité, ni elle, ni les autres chefs d’Etats européens ne montrent de solidarité vis-à-vis de l’Italie ou de la Grèce. Peut-être, faut-il espérer encore plus de désordre et de drames pour déclencher un électrochoc solidaire.

Aucun argument sécuritaire ne justifie que des mineurs soient laissés à eux-mêmes dans des camps de fortune

Le sort des migrants mineurs non-accompagnés en Europe est à prendre très au sérieux surtout lorsqu’on connaît les risques qu’ils encourent en restant bloqués dans un camp de fortune en Italie. Ces risques importants ont été reconnus par la Commission européenne. Jetez seulement un coup d’oeil aux reportages de Nina Elbagir pour CNN (juin 2015) et Thomas Fessy pour la BBC (juin 2016) sur la prostitution de migrants mineurs en Italie et en Grèce et vous constaterez à quel point leur situation est alarmante et absolument lugubre. D’autres rapports récents témoignent des mauvaises capacités d’accueils en Italie. Le dernier rapport de l’OSAR (15 août 2016) et celui du Secrétariat d’Etat américain sur le trafic de personnes et la prostitution forcée en Italie devraient être mieux pris en compte par le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM).

Non en réalité, c’est Lisa Bosia Mirra qui a raison. Son acte est un sauvetage. Il s’inscrit dans une volonté de protection de mineurs, régulièrement abusés durant leurs périples, et dans un souci d’application juste de la loi suisse envers ce groupe de personnes vulnérables.