Un article récent du Daily Telegraph est passé presque inaperçu. Ellen Whinnet du News Corp Australia Network y expliquait qu’au moins six pays européens auraient récemment demandé conseil à l’Australie pour stopper les traversées en Méditerranée. Les discussions privées ont eu lieu malgré les dénonciations répétées de l’Union européenne contre les refoulement systématiques des requérants d’asile arrivant par bateau en Australie et contre leur détention offshore sur l’île de la République indépendante de Nauru et de celle de Manus en Papouasie Nouvelle Guinée (1).
En novembre 2016, l’Australie aurait même envoyé des membres hauts-placés de la Force frontalière (Border Force) à Varsovie en Pologne afin de discuter avec des “agences européennes de protection des frontières” et trouver des solutions pour bloquer les arrivée de bateaux en Italie et en Grèce. Peter Dutton, Ministre australien de l’Immigration et de la protection des frontières a confirmé des contacts sur ce sujet avec le Royaume-Uni, l’Autriche et d’autres gouvernements qui voient dans la méthode australienne la meilleure solution pour arrêter les arrivées des personnes migrantes en Europe.
La CPI peut empêcher l’exportation du modèle australien
L’Australie ignore depuis longtemps les condamnations des différentes instances de l’ONU (2). Ce pays fait aujourd’hui l’objet d’une plainte à la Cour pénale internationale (CPI) pour crime contre l’humanité. Soumise en février 2017 par des juristes de la Faculté de droit de Stanford et du Global Legal Action Network, il faudra probablement attendre un an avant de savoir si le procureur décide d’ouvrir une enquête. La plainte est très détaillée sur les abus physiques et sexuels commis à l’encontre des requérants enfermés dans ces centres depuis plusieurs années. Elle précise le caractère systématique et arbitraire des détentions et insiste sur la violation par l’Australie du principe de non-refoulement des réfugiés.
Un expert juridique constatait récemment que cette plainte représentait “un enjeu d’opportunité pour la CPI qui pour l’instant s’est concentrée sur les pays africains”. Mais en choisissant de donner suite à cette saisine, la CPI lancerait aussi un signal fort vers les Etats européens qui utilisent, de plus en plus, la détention comme outil de contrôle de la migration.
L’Europe se ferme et enferme
A l’inverse de l’Australie, l’Europe peut compter sur un cadre juridique fort en ce qui concerne la protection des droits fondamentaux des requérants d’asile grâce au pouvoir contraignant de la Cour européenne des droits de l’homme. C’est un barrage important contre les abus mais les partis populistes en Europe ont le vent en poupe et font des allusions régulières en faveur d’une sortie de l’Union européenne et en faveur d’une dénonciation de la Convention européenne des droits de l’homme.
De son côté l’Union européenne a pris trois mesures importantes pour gérer la crise migratoire: elle a donné plus de pouvoir à l’Agence Frontex (3), elle a encouragé la détention des requérants d’asile en Italie et en Grèce et elle a signé des accords contestés avec des pays non-européens (Turquie et Libye) pour contrer les arrivées de personnes migrantes.
L’ouverture de centres Hotspots sur les îles grecques et en Italie a, sans aucun doute, lancé l’ère de la détention en Europe. Et les mauvaises nouvelles dans d’autres pays s’accumulent depuis le début de l’année. La Pologne qui pratique depuis novembre 2015 la détention des requérants d’asile sans papiers souhaite suivre les traces de la Hongrie qui vient de décider la détention systématique des requérants d’asile dans des camps fermés à la frontière serbe, à Röszke et à Tompa.
En décembre 2016, des rapports confidentiels obtenus par le Financial Times accusaient les ONG privées chargées des sauvetages en Mer Méditerranée, de collusion avec les passeurs. Accusées à nouveau en février 2017 d’être responsables d’encourager les trafiquants, il est probable que ces organisations soient bientôt limitées dans leurs actions de sauvetage. Enfin, l’Union européenne vient de promettre un soutien financier aux autorités libyennes pour la gestion des centres de détention et la formation des gardes-côtes libyens. Ces derniers sont régulièrement accusés de collusions avec les trafiquants et de mauvais traitements envers les personnes migrantes interceptées au large des côtes.
Ainsi tout porte à croire que l’Europe est inspirée par l’Australie. Sa stratégie s’apparente de plus en plus aux procédés australiens et inquiète les institutions onusiennes qui craignent des refoulements automatiques de requérants d’asile vers la Libye puis vers leur pays d’origine. Heureusement, la protection des droits fondamentaux des requérants d’asile en Europe est assurée par la Cour européenne des droits de l’homme dont la jurisprudence récente a fermement condamné la détention prolongée des personnes migrantes, leur mauvais traitement et leur refoulement forcés.
On peut rappeler deux affaires importantes: l’Affaire Ilias et Ahmed c. Hongrie (14 mars 2017) qui a condamné la détention abusive de deux requérants d’asile en zone de transit et l’Affaire Hirsi Jamaa et autres c. l’Italie (23 février 2012) qui concernait l’interception et le refoulement de migrants en haute mer et dans laquelle la Cour a précisé que la Méditerranée n’était pas une zone de non droit.
Mais la jurisprudence de la Cour ne s’applique qu’aux Etats parties et ceux qui décideraient de dénoncer la Convention européenne des droits de l’homme ne seraient plus soumis aux arrêts de la Cour. C’est pour cela que l’ouverture d’une enquête de la CPI pour examiner les conditions de détention à Nauru et Manus, serait un signal de mise en garde à l’encontre de pays comme la Hongrie ou la Turquie qui ont émis le souhait de dénoncer la Convention européenne des droits de l’homme.
- Depuis 2013, toutes les personnes interceptées sur mer sont déportées sur les îles de Manus (Papouasie Nouvelle Guinée) et de Nauru et n’ont aucun espoir d’être réinstallés sur le continent. Les centres regorgent d’enfants dont l’état médical et psychique est alarmant, les adultes s’immolent ou font la grève de la faim. La seule porte de sortie est le retour vers le pays d’origine ou vers le Cambodge qui a signé un accord de réinstallation avec l’Australie en 2015. La situation des réfugiés détenus dans ces centres a fait l’objet de nombreuse dénonciations de différentes instances de l’ONU et plusieurs enquêtes australiennes ont révélé les abus physiques et sexuels commis à l’encontre, de femmes, d’enfants et d’hommes dont la grande majorité, 70 à 80 %, obtiennent le statut de réfugiés. Le documentaire “Chasing Asylum” (Eva Orner) qui a été présenté au Festival du Film et Forum International sur les Droits Humains (FIFDH) montre l’horreur de la détention offshore et dénonce le caractère secret et inaccessible des centres.
- L’Australie est partie à un nombre important de traités internationaux qui protègent les droits humains, notamment la Convention des réfugiés, la Convention contre la torture, la Convention internationale sur les droits civils et politiques, la Convention sur les droits de l’enfant parmi tant d’autres. Plusieurs instances de l’ONU ont condamné les refoulements systématiques et la détention offshore: le Haut Commissariat des Nations Unies pour les droits de l’homme, le Comité des Nations Unies contre la torture, the le Rapporteur Spécial des Nations Unies contre la torture, le Rapporteur spécial des Nations Unies pour les droits humains des migrants et le HCR.
- Le règlement adopté le 14 septembre 2016 transforme celle qui est chargée de la « gestion intégrée des frontières extérieures de l’Union » en Agence européenne de garde-côtes et de garde-frontières.
- Dessin de Hani Abbas exclusivement pour cet article.
Les médias ne relayent pas les conditions d’examen des demandes d’asile faites par des individus arrivés par les aéroports australiens.
Elles sont pour le moins particulières. 2 situations sont possibles :
– le demandeur d’asile vient avec un visa étudiant ou touristique au passage de la frontière, il ne dit pas que son but est d’obtenir le statut de réfugié. Par son silence, il commet un délit. En effet, il a franchi la frontière avec un visa inadéquat. Certes sa demande d’asile sera examinée sur le fond par le DIC mais il ne pourra jamais obtenir le statut de réfugié permanent en raison du délit. En cas d’avis favorable du DIC, il est alors placé sous le statut de réfugié provisoire pour 2 ans (avant ce délai était de 3 ans). À la fin de ce délai, le réfugié provisoire est convoqué de nouveau. On lui demande d’apporter de nouveaux éléments de menace sur son existence. Vivant depuis 2 ans en Australie, les réfugiés provisoires sont incapables d’apporter des éléments nouveaux. Leur statut n’est alors pas renouvelé. Leurs appels devant les tribunaux sont voués à l’échec. Seuls ceux qui ont épousé un citoyen australien se voient remettre un titre de séjour de conjoint. Les anciens réfugiés provisoires se retrouvent enfermés dans les centres de rétention (IDC). Pour une durée illimitée. En effet, les ressortissants de pays en guerre sont inexpulsables. Leurs expulsions sont donc suspendues à un retour hypothétique à la Paix ;
– le demandeur d’asile signale son but réel au poste frontière de l’aéroport. Sa demande d’asile ne fera pas l’objet d’un examen sur le fond. Elle sera examinée sur la forme. Cela signifie que le délégué (un haut-fonctionnaire) qui représente le ministre de l’immigration prend seul la décision d’accorder ou non un visa de demandeur d’asile permettant au requérant de franchir légalement la frontière. Ce délégué a reçu des instructions de « sévérité ». D’abord le demandeur d’asile se voit retirer son visa étudiant ou touristique. Puis il est interrogé par les agents des frontières (qui n’ont aucune formation à l’asile) sur ses liens avec l’Australie. Cette question est centrale pour le ministère de l’immigration. Si le demandeur d’asile n’a pas de famille ou l’appui d’une association, il ne représente aucun risque de mauvaise publicité. L’examen étant uniquement sur la forme, les preuves de persécution éventuelles (encore faut-il les avoir faites traduire par un traducteur assermenté) sont exclues de l’examen de la demande d’asile ! La traduction des preuves ne sert donc à rien. C’est le serpent qui se mord la queue. Cela pourrait prêter à sourire si l’existence de personnes n’était pas en danger. Le demandeur d’asile isolé se voit alors refuser la protection provisoire de l’Australie c’est-à-dire le visa de demandeur d’asile qui lui permettrait de rentrer légalement sur le territoire australien pour déposer sa demande d’asile pour un examen sur le fond et d’obtenir éventuellement le statut de réfugié permanent. À la différence des États-Unis d’Amérique, l’accès à un juge n’est pas possible aux personnes n’ayant pas franchi la frontière australienne. La décision administrative du délégué est donc sans appel. Le demandeur d’asile débouté sans examen sérieux – qui n’a pourtant commis aucun délit – est alors placé dans un IDC. Ce centre de rétention peut demeurer son domicile permanent. En effet, si le pays du demandeur d’asile débouté de l’entrée en Australie est en guerre, l’expulsion est suspendue jusqu’au retour de la Paix conformément à un engagement international signé par l’Australie. C’est ainsi qu’en décembre 2017 deux Afghans du Perth IDC attendent leur expulsion respectivement depuis 4 ans et demi et 3 ans.
Sur le plan des conventions internationales, l’Australie explique se conformer à ses engagements notamment pour les demandeurs d’asile venus par les aéroports. En fait le gouvernement australien joue sur les mots. Effectivement le statut de réfugié est accordé fut-il provisoirement. Mais les demandeurs d’asile venus par les aéroports sont bel et bien piégés soit ils commettent un délit et ne peuvent espérer qu’un mariage soit ils sont envoyés sans examen de leur demande d’asile sur le fond et sans aucun accès judiciaire dans les centres de détention en vue de leur expulsion. Et dans le même temps, le gouvernement australien communique beaucoup sur sa générosité à l’endroit des groupes de réfugiés envoyés par le HCR. Son image publique est à ce prix.
Est-ce bien moral ?
Monsieur,
Merci pour votre commentaire très intéressant. Je suis désolée de pas l’avoir approuvé plus tôt.
J’étais en vacances lorsque vous l’avez posté ce qui explique que je ne l’avais même pas vu passé. Vivre ensemble m’a communiqué votre demande.
Avec mes meilleurs messages, Jasmine Caye