Un drame qui exige une réflexion sur la liberté de mouvement des requérants d’asile

Un drame et une campagne nationale

En mai 2017 un requérant d’asile a été empêché d’assister à la naissance de son enfant parce qu’un employé d’un Centre fédéral l’a puni de sortie.

“L’homme est arrivé en Suisse quelques mois après sa femme, enceinte.  Celle-ci a été attribuée à un canton et va bientôt accoucher. Au lieu de rapprocher le couple, les autorités placent l’homme pour trois mois dans un centre fédéral plus éloigné et isolé de tout: les Rochats, situé à 6 kilomètres d’un arrêt de bus. La veille de l’accouchement, Madame est hospitalisée. Il la rejoint, par ses propres moyens. Mais rentre au centre après le couvre-feu de 17 heures. Or le règlement stipule, en cas de retard, une privation de sortie le jour suivant. Le certificat de l’hôpital attestant de la nécessité de sa présence le lendemain pour assister à l’accouchement n’y a rien fait. Il sera puni, privé d’assister à la naissance de son premier enfant.”

C’est ce que raconte Sophie Malka dans l’éditorial du dernier numéro de la revue Vivre Ensemble. Alors que les modifications apportées aux Ordonnances sur l’asile (1) sont en consultation depuis août 2017, une  réflexion sur la liberté de mouvement des requérants d’asile est au centre d’une campagne nationale. Le 3 octobre 2017, des ateliers et une Table ronde sur la liberté de mouvement des demandeurs d’asile a été organisée par la Coordination asile.ge afin de faire connaître l’avis de droit de la Commission fédérale contre le racisme sur les atteintes à la liberté de mouvement des requérants d’asile.

Comment empêcher de telles bavures?

L’histoire de cet homme est bien triste et sa punition injuste et totalement disproportionnée (2). Néanmoins avec les nouvelles ordonnances sur l’asile, les bavures de ce genre risquent bien de se multiplier.  L’ORS, qui est la société privée en charge de l’encadrement des requérants d’asile dans les centres d’hébergement a déjà été l’objet de critiques fondées sur les décisions incompréhensibles de ses employés souvent dépassés et incompétents.

Dans ce cas précis l’agent a appliqué deux dispositions de l’Ordonnance du DFJP relative à l’exploitation des logements de la Confédération dans le domaine de l’asile, notamment les articles 11 et 12 qui réglementent les autorisations de sortie et leurs conditions de refus. Or, dans un rapport sur la liberté de mouvement des requérants d’asile dans l’espace public, publié en février 2017, la Commission fédérale contre le racisme critiquait ces dispositions comme étant incompatibles avec la liberté de mouvement définie par notre Constitution. “Plutôt que de s’inspirer de ces recommandations, les ordonnances mises en consultations en août 2017 donnent, au contraire, plus de marge de manoeuvre aux employés des centres”, précise Sophie Malka.

Ces derniers pourront sanctionner un requérant d’asile en le faisant placer dans un centre spécifique. Cette sanction grave pourra désormais être prononcée lorsqu’il existe une “atteinte sensible au fonctionnement et à la sécurité d’un centre de la Confédération”. Petit bémol en plus, cette atteinte existerait lorsqu’un requérant d’asile ne respecte pas les consignes de comportement du personnel dudit centre (et non plus uniquement celles données par le responsable du centre ou son suppléant). Le Rapport du Secrétariat d’Etat aux migrations sur la mise en oeuvre du projet visant à accélérer les procédures d’asile qui explique les modifications recommandées précise d’ailleurs “qu’il n’est maintenant plus absolument nécessaire que le personnel soit harcelé, menacé ou mis en danger de manière répétée. Grâce à ce changement, il est possible, en cas de sérieuse menace ou mise en danger du personnel ou d’autres requérants, de réagir immédiatement, sans devoir attendre que l’auteur récidive.” Enfin une décision d’assignation à un centre spécifique ne pourra être  attaquée que dans le cadre d’un recours contre la décision finale.  

Prévoir des garde-fous à la toute puissance d’employés incompétents et dépassés

Le nouvel article 15 de l’Ordonnance 1 sur l’asile relative à la procédure (Ordonnance 1 sur l’asile, OA 1) tel qu’il est proposé par le DFJP causera, s’il était adopté, beaucoup de drames humains inutiles car l’Ordonnance ne prévoit pas de “garde-fous à la toute puissance” du personnel des lieux d’hébergement.

Imaginons que l’homme en question réagisse mal à l’interdiction de sortie du centre le jour de l’accouchement de sa femme. Il insiste auprès des employés pour la rejoindre, s’énerve face à la froideur d’un petit chef insensible, hausse la voix et pique une colère se sentant totalement incompris, soucieux pour la mère de son enfant et loin de tout. Imaginons que les choses tournent mal et que l’employé, se sentant personnellement menacé, décide l’assignation de l’homme dans un centre spécifique, alors sa liberté de mouvement serait encore plus limitée par une décision disproportionnée qu’il ne pourrait contester auprès du Tribunal administratif fédéral qu’après décision sur sa demande d’asile (1).

Interdit d’assister à la naissance de son fils, il serait, à cause d’un employé intouchable et incompétent, interdit de son droit à la vie privée et familiale et interdit d’accès à la justice pendant de long mois. Ce nouvel article 15 ne devrait jamais passer la rampe.

Lire aussi:

Privation des droits dans les centres de la Confédération

Confinement à la zurichoise

Liberté de mouvement des requérants d’asile: un rapport critique les autorités suisses

Notes:

  1. Modification de l’ordonnance 1 sur l’asile relative à la procédure (OA 1), de l’ordonnance 2 sur l’asile relative au financement (OA 2), de l’ordonnance 3 sur l’asile relative au traitement de données personnelles (OA 3) et de l’ordonnance sur l’exécution du renvoi et de l’expulsion d’étrangers (OERE) – Voir les explications du secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) dans le Rapport explicatif sur la mise en œuvre du projet visant à accélérer les procédures d’asile (restructuration du domaine de l’asile) , Juillet 2017.  
  2. En mai 2017, l’histoire a été rapportée par une association qui donne d’autres détails importants. Le mari est arrivé en Suisse quelques mois après sa femme. Le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) l’envoie faire ses trois mois réglementaires de séjour au centre fédéral des Rochats, le plus plus éloigné et inaccessible de tous, au lieu de le placer au centre fédéral de Perreux, plus proche du domicile de Madame et surtout plus facile d’accès. Le personnel du centre isolé refuse de lui remettre un titre de transport pour se rendre auprès d’elle la veille de l’accouchement. Il revient au centre avec deux amendes, pour l’aller et le retour, de CHF 120.- et de CHF 220.- et il arrive au centre après l’heure limite de 17h00 fixé par le centre. Ce retard est sanctionné d’une privation de sortie de 24 heures et la présentation du certificat médical exigeant  sa présence à l’hôpital pour assister à l’accouchement n’a servi à rien.
  3. L’hébergement dans un centre spécifique sera assorti d’une assignation d’un lieu de résidence ou d’une interdiction de pénétrer dans une région déterminée selon le nouvel article 15 OA1 en consultation, voir  le Rapport explicatif page 18.

 

Jasmine Caye

Avec une expérience juridique auprès des requérants d'asile à l'aéroport de Genève, Jasmine Caye aime décrypter l'information sur les réfugiés et les questions de migration. Elle a présidé le Centre suisse pour la défense des droits des migrants (CSDM) et continue d'assister des personnes en procédure d'asile. Les articles sur ce blog paraissent en version courte sur un autre blog ForumAsile.

4 réponses à “Un drame qui exige une réflexion sur la liberté de mouvement des requérants d’asile

  1. En fait cet article ne scandalisera que les gauchistes, spécialistes des droits de l’hommisme.

    Ou est le scandale ? Qu’un requérant d’asile qui n’est ni infirmier, ni médecin, ni sage femme, ni gynécologue, ni obstétricien, et dont la présence le jour de l’accouchement n’est indispensable en rien, ne puisse voir la naissance de son fils ? C’est ça le scandale ?

    Les droits de l’hommistes ont manifestement peu à se mettre sous la dent pour trouver que de toute façon, tout à leurs yeux est un scandale.

    Le fait que la Suisse n’accueille pas toute la misère du monde, le fait que les nations existent avec des frontières, le fait que les requérants soient parqués dans des endroits spécifiques et pas lâchés dans la nature et j’en passe et j’en passe, et j’en passe. Tout cela choque les droits de l’hommistes.

    Par contre, ça ne les choque pas de savoir que des milliers de requérants, environ 5500, soit près de 40 pour cent des demandeurs déboutés, disparaissent dans la nature.

    D’un côté il leur faut des lois qui ne les arrange qu’eux et leur vision utopiste du monde, d’un autre, dès qu’une loi ou une décision ne leur convient pas, on passe sous silence.

    Qu’on soit clair. Il n’est absolument pas contraire à quelque loi que ce soit qu’un père n’assiste à la naissance de son enfant.

    Dans le cas présent, je suis prêt à parier que l’hôpital avait suffisamment de gens compétents pour faire naitre l’enfant et le mot de ce médecin n’a probablement été fait que par empathie plus que par réelle nécessité.

    Bon, l’enfant est né, et maintenant ? Il a été empêché d’aller le voir ?

    Finalement tout est bien qui finit bien, l’enfant est né, entouré de gens dont c’est le métier, et le requérant qui n’a pas pu voir la naissance de son enfant l’a probablement vu plusieurs fois depuis.

    Quel scandale !!!!!!

    1. Non, vous avez raison, ce n’est contraire à aucune loi, juste à la Constitution – et la Suisse est d’ailleurs régulièrement épinglée pour ce type d’infractions. Et il n’est pas nécessaire d’être droit de l’hommiste ou gaucho-bobo pour s’en rendre compte, mais simplement juriste.
      Evidemment que la présence du père n’est pas médicalement nécessaire à l’accouchement. Mais “indispensable en rien” ? Cette petite phrase en dit bien long sur vous…
      Et si l’enfant – ou la mère, ou les deux – n’avaient pas survécu ? Malgré toute la technologie à disposition, l’accouchement reste un acte médical qui n’est pas sans risque.

      1. “Et si l’enfant – ou la mère, ou les deux – n’avaient pas survécu ? Malgré toute la technologie à disposition, l’accouchement reste un acte médical qui n’est pas sans risque.” ——-> A ce moment là et uniquement à ce moment là on aurait pu parler de “drame” comme le fait l’auteure de l’article. Le reste, c’est que du blabla de gauchiste.

Les commentaires sont clos.