SEP Jordan, un modèle d’entreprise sociale

Crédit pour la photographie d’entête: Farras Oran pour SEP. De gauche à droite: Hiba, Asma et Fatima. 

 

En Jordanie dans le camp de réfugiés de Jerash qui abrite près de 30’000 palestiniens, des artistes rémunérées produisent de très beaux châles, coussins, nappes, vestes, sac à main, serviettes de bains, tous brodés avec soin et précaution. Ces objets raffinés, dont Vogue et plusieurs autres magazines ont parlé cet été, sont maintenant vendus à Genève, Paris, Londres, Beyrouth, Abu Dhabi et Amman. C’est le résultat du travail génial de Roberta Ventura, CEO de l’entreprise sociale privée SEP Jordan lancée en 2013.

 

Le lancement de ce projet inédit est l’aboutissement d’une longue réflexion qui a débouché sur une conviction: l’assistance humanitaire, indispensable dans des situations d’urgence est inadéquate à long-terme car elle instaure une situation malsaine de dépendance économique des populations réfugiées de longue durée. Partout, au Kénya, au Soudan, au Bangladesh, en Malaysie, le marché de l’emploi est difficilement accessible aux réfugiés. C’est aussi le cas en Jordanie à Jerash qui abrite les réfugiés palestiniens depuis 1968.

 

Roberta Ventura s’explique: “Laisser les réfugiés dans une situation de complète dépendance à l’aide humanitaire les rends extrêmement vulnérables et ils deviennent des proies faciles aux groupes extrémistes. Je me suis d’abord engagée envers des projets éducatifs en soutenant des bourses d’études mais je me suis vite rendue compte du danger que pouvait représenter l’éducation sans débouchés professionnels.”

 

C’est en donnant conseil à une ONG basée à Jerash qu’elle a rencontré Nawal Aradeh, une réfugiée palestinienne habituée à l’organisation et à la gestion d’ateliers créatifs pour lesquels elle n’avait jamais reçu de salaire. Ensemble elles ont décidé de se lancer avec seulement vingt artistes brodeuses.

 

Elles sont maintenant trois cents, gagnent leur vie, enfin, et admirent leurs créations exposées sur des mannequins à Londres, dans de magnifiques intérieurs à Genève ou Paris et dans les magazines de mode et de décoration parmi les plus prestigieux.

 

Des artistes oubliées ont refait surface

 

Le camp de Jerash est un camp d’urgence qui a été mis sur pied après la guerre israëlo-arabe de 1967 pour accueillir les palestiniens forcés de fuir la bande de Gaza. Depuis cinquante ans, le camps est sous perfusion humanitaire gérée par l UNRWA. Le camp dispose de plusieurs écoles qui appliquent un système d’enseignement obligatoire en double ou triple rotation. Les débouchés sont quasi nuls, les adultes fonctionnent aux anti-dépresseurs sans solutions d’avenir.

 

Depuis 2013, SEP Jordan a multiplié les espoirs, les rendements et les ventes. Ce modèle d’entreprise sociale a permi aux employées d’accéder à une certaine indépendance financière, à prendre confiance et à envisager leur avenir autrement avec de nouvelles perspectives, un nouvel horizon.

 

Les artistes doivent comprendre que SEP Jordan existe grâce à leurs talents”, explique Roberta Ventura. “Ce sont des femmes douées, créatives et appliquées. Elles ont dû apprendre à faire attention à leur matériel. Elles travaillent depuis chez elles, entourées de leurs enfants qui vont à l’école de manière intermittente. Elles doivent s’occuper de leur ménage, gérer les humeurs de leurs maris pas toujours acquis à leur nouvel emploi. Elles se sont épanouies au fur et à mesure des créations révélées au monde grâce aux réseaux sociaux et grâce aux ventes à l’international.

 

Un beau design et des créations originales

 

Les créations sont de haute qualité car SEP Jordan a une politique de broderie qui bannit les noeuds. Chaque pièce brodée est une oeuvre d’art qui prend plusieurs jours voir plusieurs semaines et qui apporte un bonheur mutuel, celui de l’artiste et celui du client. SEP Jordan ne compte pas sur l’achat charitable mais sur celui d’un client à la recherche de qualité et d’esthétique. En achetant un produit SEP Jordan on achète un produit de luxe. Le design des broderies est une variation de motifs géométriques d’inspiration arabo-mauresque. Les modèles Koutubia, Sultan Han, Alhambra rappellent les murs en zellige des plus beaux palais anciens comme celui de l’Alhambra à Grenade.

Alhambra®Blue upholstery.

 

Chaque année depuis 2013, l’entreprise a doublé son chiffre d’affaires. Pour gérer la croissance de l’entreprise, Roberta Ventura a pris la décision en 2016 de quitter son travail chez Jabre Capital Partners S.A., une société financière genevoise, pour se consacrer à SEP Jordan à plein-temps. Son mari Stefano d’Ambrosio est aussi entré à plein-temps comme directeur financier en charge du développement de la marque. Pour tous les deux c’est un investissement qu’ils comparent à du “capital-risk” responsable et social. Le but est de parvenir à un chiffre d’affaires de plus d’un million d’ici trois ans et surtout de parvenir à transformer la communauté locale de Jerash afin que SEP Jordan puisse inciter d’autres investissements privés dans les camps de réfugiés en Jordanie ou ailleurs dans le monde.

 

 

Nous essayons d’intégrer d’autre entreprises sociales comme TEENAH qui produit des sacs en tissus à Irbid en Jordanie. TEENAH emploie aussi des réfugiés. Leurs sacs sont plus chers que ceux que nous importons d’Inde mais nous souhaitons participer au développement de projets similaires.”

 

Actuellement 100 nouvelles artistes sont en apprentissage à Jerash grâce à la Fondation Tamari qui soutient l’académie de formation. D’autres soutiens importants pour faire connaître SEP Jordan sont venus de Monsieur Thierry Lombard pour le catalogue et les conseils stratégiques ainsi que de la Banque Landolt qui a commandé chez SEP Jordan tous ses cadeaux de Noël aux employés.

 

SEP Jordan bénéficie aussi de nombreux ambassadeurs qui mettent en valeur nos produits qui sont relativement chers parce que nous importons la matière première. Les tissus, le fil, les sacs – sauf ceux d’Irbid – sont soumis à des taxes élevées d’importation que nous devons ajouter aux coûts administratifs et aux coûts de transport de la marchandise entre Amman et Jerash. Et puis les artistes sont rémunérées correctement ce qui explique aussi le prix. Mais nos clients ne sont pas tous fortunés. Nous avons des clients plus modestes qui apprécient la démarche et le concept et qui sont prêts à mettre de côté pour un châle, une nappe ou des coussins. Ils sont tout aussi importants.”

 

Quelques défis à surmonter

 

Roberta Ventura, Founder and Chief Executive Officer, SEP Jordan, Jordan at the World Economic Forum on the Middle East and North Africa 2017. Copyright by World Economic Forum / Benedikt von Loebell

L’entreprise sociale est l’avenir pour les réfugiés et pour les pays d’accueils. Investir sur place est devenu le mot d’ordre de nombreuses personnalités politiques et économiques à l’image de l’engagement important de Georges Soros pour les réfugiés. En mai 2017 Roberta Ventura a été invitée à participer au Forum Economique Mondial (Mer Morte) pour mener une réflexion sur l’entreprise sociale, présenter SEP Jordan et sensibiliser les auditeurs présents sur la situation indigne des réfugiés à Jerash.

 

En augmentant nos ventes nous parviendrons à changer les perceptions sur les réfugiés, à transformer les communautés sur place et certainement la perception qu’ils ont d’eux même.”

 

Mais en travaillant sur place, en discutant avec des organisations internationale comme le HCR, Roberta Ventura s’est rendue compte de la nécessité d’élaborer un cadre légal permettant aux entreprises sociales d’investir dans les camps comme Jerash.

 

Actuellement SEP Jordan réfléchit à la création d’un espace garderie pour les enfants des artistes. Les artistes sont des mères avec plusieurs enfants. Ces derniers ne vont à l’école que de manière intermittente, c’est-à-dire pas plus de trois heures par jour. Elles doivent constamment trouver le moyen de les occuper lorsqu’elles travaillent ce qu’elles font avec des bonbons en général. SEP Jordan est à la recherche d’une fondation partenaire qui pourrait participer au fonctionnement d’une garderie pour les enfants des artistes.

 

 

Consultez les collections de SEP Jordan ici.

SEP Jordan sur Instagram et Facebook

Lire aussi: Twelve Funky Ways to Help, SEP Jordan Blog

Jasmine Caye

Avec une expérience juridique auprès des requérants d'asile à l'aéroport de Genève, Jasmine Caye aime décrypter l'information sur les réfugiés et les questions de migration. Elle a présidé le Centre suisse pour la défense des droits des migrants (CSDM) et continue d'assister des personnes en procédure d'asile. Les articles sur ce blog paraissent en version courte sur un autre blog ForumAsile.